Il y a peu d’ouvrages qui marquent à vie, mais La conquête du bonheur écrit par le philosophe et mathématicien Bertrand Russell, prix Nobel de littérature en 1950, est de ceux-là. Ce livre est devenu pour moi un indispensable. Je le garde souvent dans mon sac, pour en lire quelques passages ou seulement le feuilleter. Il est de ces livres également qu’on ne peut s’empêcher de vouloir partager avec les autres. Je pense être une de ses plus ferventes supportrices, j’ai tendance à le brandir dès que quelqu’un a un coup de mou comme remède miracle. J’en reviens encore au pourquoi du comment de ce blog : la littérature et par extension ici j’inclus la philosophie et la psychologie peuvent être des sources de bonheur. Je suis intiment persuadée que c’est en faisant un travail de connaissance de soi et un travail sur soi que l’on peut accéder au bonheur. Vivre sa vie sans jamais rien analyser, s’apparente pour moi au Mythe de Sisyphe – essai écrit par Albert Camus. Mais si, vous voyez très bien qui est Sisyphe j’en suis sûre. Sisyphe a été condamné par Hadès à pousser un énorme rocher jusqu’au sommet d’une montagne, ce rocher une fois arrivé au sommet retombait irrémédiablement au pied de la montagne, ce procédé se répétant pour l’éternité. Ce que je tente de vous dire, c’est que vivre sa vie sans tenter de la comprendre est pour moi similaire à vivre dans l’absurdité d’un éternel recommencement sans perspective d’amélioration. Ce qui vous me l’accorderez n’est pas bien fameux ! 😉 Bref, revenons à nos moutons et donc à ce merveilleux ouvrage entre philosophie et psychologie.
Résumé
Qu’est-ce qui rend les gens malheureux ? Le bonheur est-il encore possible ? Pour répondre à ces deux questions, Bertrand Russell aborde à sa manière, en s’appuyant sur sa propre expérience et les observations qu’il a pu faire, un certain nombre de thèmes, dont la complaisance dans le malheur, l’ennui et l’agitation, la fatigue, l’envie, le sentiment de culpabilité, la manie e la persécution, l’affection, ou encore la joie de vivre. Loin de passions égocentriques, l’homme heureux est hédoniste, curieux, attentif aux autres. Il vit la vie. Telle pourrait être la morale de ce petit livre revigorant – et toujours d’actualité.
Philosophe et mathématicien, prix Nobel de littérature en 1950, célèbre pour son action en faveur du pacifisme et du désarmement nucléaire, Bertrand Russell (1872-1970) est aussi l’auteur, chez Payot, d’une Introduction à la philosophie mathématique et de Problèmes de philosophie.
Petite Bibliothèque Payot
Une construction simple
La conquête du bonheur va à l’essentiel. Bertrand Russell précise dans l’avant-propos, que :
« Ce livre ne s’adresse pas aux gens érudits ou à ceux qui voient dans un problème pratique un simple sujet de bavardage. Dans les pages qui suivent, on ne trouvera pas une philosophie profonde, ou une érudition étendue. »
Nous n’avons pas entre les mains une pensée théorique, bien au contraire l’auteur le dit noir sur blanc, ce travail est le fruit d’observations empiriques personnelles, qui l’ont mené à adopter des comportements positifs. L’ouvrage se divise en deux grande partie : la première partie analysant les causes du malheur et la seconde intitulée les causes du bonheur. Qui a dit que la philosophie était une science obscure ? 😀 Dans la première partie, soit celle consacrée aux causes du malheur, les thèmes abordés sont triviaux : l’esprit de compétition, l’ennui et l’agitation, la fatigue, l’envie, le sentiment de culpabilité, la peur de l’opinion publique… Toute personne trouvera un élément à même de la toucher, on se retrouve tous d’une façon ou d’une autre dans ces comportements négatifs, qui mis bout à bout rendent malheureux. La seconde partie, est destinée à nous éclairer sur les causes du bonheur. De même que précédemment, les thèmes abordés sont d’une grande banalité mais terriblement essentiels : l’affection, la famille, le travail, les intérêts impersonnels… C’est cette construction simple et claire qui facilite la lecture et permet au lecteur d’avoir un fil conducteur. Chaque chapitre, à l’intérieur de ces deux grandes parties, peut se lire indépendamment des autres.
Combattre les élans narcissiques pour se tourner vers les autres
Comme je l’ai dit plus haut, chacun en fonction de sa sensibilité et de ses attentes trouvera son bonheur dans ce petit ouvrage. Dans le premier chapitre « Qu’est-ce qui rend les gens malheureux ? », Russell évoque un intérêt trop important pour sa propre personne, il explique :
« Peu peu, j’appris à manifester de l’indifférence à l’égard de moi-même et de mes défauts; je vins à concentrer mon attention de plus en plus sur les choses extérieures : l’état du monde, les diverses branches du savoir, les personnes pour lesquelles je ressentais de l’affection […] Et tout intérêt extérieur incite à quelque activité, qui, aussi longtemps que l’intérêt demeure vivant, est un préventif complet contre l’ennui. Un intérêt égocentrique, au contraire ne mène à aucune activité progressive […] Une discipline extérieure est la seule voie au bonheur pour ces infortunés dont l’intérêt excessif en eux-même est trop profond pour être guéri d’une autre manière. »
Rappelons que cette ouvrage a été publié en 1930 !!! Il est tout à fait d’actualité, on ne peut faire plus contemporain comme problème sociétal que le narcissisme et l’égoïsme. Russell nous donne les clés pour guérir notre société plus de 70 ans en avance – si l’on considère que tout s’est accéléré depuis les années 2000.
Vivre le moment présent, une maxime positive
Bien avant que se généralise la pratique du yoga ou de la méditation de pleine conscience – dont l’ouvrage Méditer jour après jour, 25 leçons pour vivre en pleine conscience, de Christophe André explique les principes de façon très claire – Bertrand Russell entrevoyait déjà la nécessité de vivre le moment présent.
« L’habitude de vivre dans le futur et de croire que toute la signification du présent réside dans ce qu’il engendrera est une attitude qui porte malheur. Il ne peut y avoir de valeur dans le tout à moins qu’il n’y ait de valeur dans les parties. »
Cette pensée constructive permet de vivre au jour le jour de façon apaisée sans être tournée uniquement vers la finalité de notre action, qui par définition se situe dans le futur, ce qui a pour conséquence que l’on ne prend pas le temps de savourer le moment où l’on réalise cette action. En adoptant cette vision positive nous enrichissons notre présent.
L’esprit de compétition
Ce chapitre est d’une très grande richesse. Bertrand Russell évoque la course vers le succès des sociétés modernes :
« […] la course dans laquelle il est engagé a le tombeau pour but. »
Ce même chapitre illustre la corrélation qui existe entre le déclin de la culture dans les sociétés modernes et l’esprit de compétition :
« L’importance de l’esprit de compétition dans la vie moderne est en rapport avec le déclin général du niveau de culture […] »
Cet esprit de compétition à outrance s’expliquerait par la recherche de ce qui est mobilisable, utile, monnayable. Aujourd’hui, et cela valait déjà en 1930, on ne cherche pas à développer sa richesse intérieure mais à rentabiliser ses atouts et à masquer ses défauts. Russell résume cette pensée comme une volonté de faire primer la puissance sur l’intelligence. L’esprit de compétition peut guider certaines de nos actions évidemment, l’envie de se dépasser est importante mais l’ériger en principe moteur de nos vies, ne peut mener qu’au désarroi et à l’ennui. Puisque par définition, il y aura toujours quelqu’un pour être meilleur que nous, nous ne vivrions que dans l’insatisfaction, la frustration, au lieu d’apprécier ce que l’on a déjà.
Le sentiment de culpabilité
Le chapitre 6, consacré au sentiment de culpabilité est particulièrement intéressant, je vous invite à le lire avec attention. 🙂 Il étudie la naissance chez l’être humain de ce sentiment négatif – que l’on associe à tort à la moralité – dont les racines se situent dans l’enfance et dans la morale religieuse. Russell nous propose de toujours chercher la rationalité dans nos afflictions et si celles-ci n’ont pas pour fondement la rationalité, nous ne devons pas nous faire envahir par ce sentiment de culpabilité. Cela suppose donc comme toujours un vrai travail sur soi.
« À vrai dire, le sentiment de culpabilité est loin de produire le bonheur. Il rend l’homme malheureux et fait naitre en lui un sentiment d’infériorité. L’homme qui se sent malheureux est enclin à avoir à l’égard des autres des exigences excessives et qui l’empêchent de trouver le bonheur dans ses relations personnelles. » « L’homme ainsi divisé contre lui-même recherche des stimulations et des distractions; il aime les passions fortes non pour des raisons saines mais parce que momentanément elle le font s’évader de lui-même et écartent de lui la pénible nécessité de penser. »
Pour conclure, Bertrand Russell affirme que :
« Le bonheur qui exige l’intoxication à tout prix est faux et n’apporte pas de satisfaction. Le bonheur qui est naturellement satisfaisant s’accompagne de l’exercice le plus complet de nos facultés et de la compréhension complète du monde dans lequel nous vivons. »
Conclusion
Ce « petit » ouvrage est une mine d’or pour qui cherche à vivre pleinement. L’homme heureux pour Bertrand Russell, est résolument tourné vers l’extérieur, il porte son attention sur des choses étrangères, seul moyen de ne pas se laisser envahir par l’inquiétude et ses angoisses.
« […] celui qui ne fait rien pour détourner son sprit de ses tracas et leur permet d’acquérir un empire complet sur lui agit en imprudent, car il sera moins capable de lutter contre ses ennemis lorsque le moment décisif sera venu. »
Ce livre est d’une modernité incroyable et totalement d’actualité. Je le recommande comme livre de chevet, pour s’y réfugier dès que nous nous laissons envahir par des pensées négatives et donc nécessairement non constructives. 🙂
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