« Entrez en vous, sondez les profondeurs où la vie prend source ; vous y trouverez la réponse à la question « dois-je créer ? » ». Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke dépasse le cadre d’un échange épistolaire entre un aspirant poète et le grand écrivain autrichien. Manifeste philosophique, guide spirituel, ce petit ouvrage d’une intensité rare sonde les origines de la création artistique et propose une réflexion ontologique, en faisant de la patience une vertu cardinale. Rilke fonde la valeur d’une œuvre, sa légitimité à exister, sur la nécessité existentielle qui la fait naître. Le caractère impérieux d’écrire ressenti au fond de soi. Au préalable encore faut-il avoir éprouvé son individualité, avoir creusé profondément en soi, accepter le vertige, l’angoisse que peuvent procurer une extrême solitude : « votre solitude, vous sera un appui, et c’est à partir de vous-même que vous trouverez tous vos chemins ». La solitude est aussi une manière d’appréhender le monde, les autres. L’altérité n’est envisageable que si au préalable nous faisons l’expérience de notre individualité. Rainer Maria Rilke développe une réflexion sur l’amour, le couple, cette épreuve ultime comme un aboutissement du processus de maturation. L’éloge de la solitude se fait éloge de la sexualité. L’union entre deux êtres nécessite une phase de préparation, une réclusion pour atteindre une forme de maturité, de disposition à aimer véritablement. Ce voyage intérieur, cette réclusion volontaire n’est pas une exclusion, bien au contraire, mais permet in fine de s’ouvrir sur l’extérieur, d’appréhender l’autre dans le respect de son individualité. Aussi, la procréation, l’acte charnel et la création intellectuelle participent d’un même mouvement. La volupté est une nourriture terrestre. Une affaire sérieuse, qui ne souffre pas la légèreté. Puisque l’intellect y puise son inspiration. Et l’amour un apprentissage, non un processus inné. « Ceux qui, dans les nuits, se rejoignent et s’enlacent dans les bercements de la volupté, ceux-là font un travail sérieux, ils amassent des provisions de douceurs, de profondeur et de force pour le chant d’un poète à venir. » Un monument de philosophie à garder près de soi.
Mon évaluation : 4,5/5
Date de parution : 1929. Édition enrichie : 2020. Éditions du Seuil, traduit de l’allemand par Sacha Zilberfarb, 160 pages.
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