Les fantômes bronchent, mais ils ne partent pas. Ils recommencent à se balancer, la bouche ouverte. Kayla lève un bras, la paume vers le haut, le même geste que pour essayer de calmer Casper, mais les fantômes continuent, ils ne s’envolent pas, ne s’élèvent pas, ne disparaissent pas. Ils restent.
Le problème des lettres afro-américaines, c’est qu’au sommet trônent quelques figures emblématiques : Toni Morrison, Richard Wright, James Baldwin, Ralph Ellison… Alors quand une jeune autrice comme Jesmyn Ward écrit un road trip comme un voyage dans l’espace – à travers le Mississippi – et le temps – de la traite négrière aux violences policières – sur le même procédé que Beloved, ça coince. À l’instar de Chimamanda Ngozi Adichie, qui nous sert – à mon sens – avec Americanah un ouvrage bavard à l’écriture plate où il est question de déracinement et de quête identitaire culminant en une histoire d’amour d’une mièvrerie déconcertante. Ça sent le réchauffé. Le style hypnotique, dense, suffocant, de Toni Morrison, comme si les mots condensés sur la page, empêchaient l’air de passer, obligeant le lecteur à regarder en face une réalité qu’aucun esprit aussi tordu soit-il n’aurait pu imaginer, en moins. Par le biais d’une narration polyphonique, Le chant des revenants revisite les fantômes de l’Amérique. Il y a Jojo – adolescent et déjà chef de famille palliant les défaillances de ses parents en s’occupant de sa petite sœur Kayla, Leonie, la mère violente et droguée, Michael, le père en prison depuis trois ans et les grands-parents solides comme des rocs, héritiers d’une lignée ayant appris à endurer en silence la violence des Blancs. À côté, les esprits de deux adolescents : le frère de Leonie abattu au fusil « lors d’un accident de chasse » par le cousin de Michael furieux d’avoir perdu un pari et Richie, adolescent noir que le grand-père avait pris sous sa protection dans la prison de Parchman. Coincés dans les strates du temps, ils hantent les vivants dans l’espoir de raconter leur histoire et ainsi de trouver la paix. En usant des codes du réalisme magique, Jesmyn Ward explore comment l’histoire raciale des États-Unis structure les vies, les mariages mixtes non acceptés par la belle-famille, l’existence encore aujourd’hui aux États-Unis d’une certaine vigilance et fatalité face aux biais racistes des autorités, le tout enveloppé d’une dimension surnaturelle et mystique. À privilégier sur le sujet Beloved de Toni Morrison, dont je vais bientôt reprendre la lecture dans la nouvelle tradition éditée aux Éditions Christian Bourgois.
Mon appréciation : 3/5
Date de parution : 2017. Grand format aux Éditions Belfond, poche au Éditions 10/18, traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Recoursé, 288 pages.
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