« En secret, ma voix intérieure n’a cessé de me le dire : tu n’arriveras pas à faire que son œil te regarde, tu n’atteindras pas la bonté de son cœur, parce que tu ne l’as point semée, ni plantée. » Un vieil homme, seul, assis sur un banc, songe avec mélancolie au passage du temps, à ce qu’il a manqué et aurait assuré sa postérité. Tandis qu’ailleurs, par-delà les montagnes bleutées, un adolescent jouit pleinement de l’instant présent, sans imaginer que son destin se situe à un tournant. Chez l’écrivain autrichien Adalbert Stifter – dont le génie littéraire empreint de romantisme a été salué par Nietzsche, Kafka, Hermann Hesse ou encore Thomas Mann, on évolue dans un temps suspendu. Tout est retenu. Nulle effusion lors des retrouvailles entre un jeune orphelin et un oncle inconnu, que ce dernier a jugé bon de rencontrer avant d’en faire son unique héritier. Victor – qui a été confié à une femme d’une extrême bonté après le décès de ses parents, s’apprête à entamer un voyage à pied pour honorer l’invitation de son dernier parent à le rencontrer. Le vieil homme taciturne qui ne s’est jamais marié vit en ermite sur une île isolée. Aussi sauvage que Victor est aimable, il peine à exprimer ses sentiments. Devant ce mutisme déstabilisant, Victor ne comprend pas les intentions du vieillard qui le retient prisonnier. Les jours s’égrènent dans un silence plombant, les mêmes activités se répétant inlassablement, jusqu’à ce que peu à peu commence de sourdre la vérité, qu’un geste trahisse l’émotion procurée par la vue de cet adolescent qui, si les choses s’étaient passées autrement, aurait pu être son fils, et sera par procuration son unique descendant. Tel un aquarelliste, Adalbert Stifter compose par touches successives un roman d’apprentissage délicat où, derrière l’apparente banalité des thèmes évoqués, l’émotion affleure au détour d’une ombre portée, d’un regard surpris ou d’un mot glissé. Cette quête de filiation manquée se révèle d’une éclatante beauté.
Mon évaluation : 3,5/5
Date de parution : 1978. Poche aux Éditions Libretto, traduit de l’allemand par Georges Arthur Goldschmidt, 160 pages.
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