« Maram et moi venions de franchir la porte d’un voyage sans retour. » De ce voyage entamé au milieu du XVIIIe siècle qui nous conduit de l’Europe des Lumières au Sénégal, alors que triomphe la raison et prospère le commerce triangulaire, David Diop se sert pour sonder la culpabilité de l’homme blanc impliqué dans la traite négrière. Dans des cahiers qu’il lègue à sa fille, l’éminent botaniste français Michel Adanson se confie sur une tragédie survenue au cours d’une expédition. Un voyage en terres étrangères qui ne cesse de le hanter. Le savant n’a pas toujours été ce vieil homme rongé par l’ambition, dont les prétentions académiques avortées ont échoué à soulager la culpabilité. Puisque c’est pour échapper au souvenir brûlant de n’être pas parvenu à sauver la femme qu’il aimait, que l’homme de science de retour en France a décidé de se consacrer avec ardeur à la rédaction de son encyclopédie, laissant de côté sa famille. En rédigeant ses confessions, le naturaliste ravive le souvenir de Maram Seck. Son Eurydice, celle qu’il a désespérément tenté d’extirper des enfers de la traite négrière cinquante ans auparavant. Jouant sur plusieurs registres : le récit de voyage, le roman d’aventures, le conte philosophique et le roman historique, David Diop – remarqué avec Frère d’âme, transpose le mythe grec d’Orphée et d’Eurydice au temps de l’esclavage. Plus qu’une simple histoire d’amour contrariée, la force du roman réside dans l’illustration de la désinvolture de l’homme blanc, fort de sa posture de dominant. Puisque l’entreprise de Michel Adanson est avant tout guidée par la curiosité, les sentiments venant après. Et à défaut de libérer celle, que dans un monde meilleur, il aurait désiré épouser – tout en sachant qu’elle n’en a jamais formulé le souhait, il contribuera au contraire à la condamner. Ce qui peut être lu comme un roman d’amour, illustre plutôt l’aveuglement de l’homme blanc, qui unilatéralement projette ses sentiments sur l’être aimé, sans mesurer les conséquences de ses agissements.
Mon évaluation : 3,5/5
Date de parution : 2021. Grand format aux Éditions du Seuil, 256 pages.
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