L’épiphanie littéraire c’est cet instant de grâce où les mots d’un auteur font écho, agissent comme une radiographie de notre vie, nous offrant une clé de lecture de notre intériorité. À l’instar de Stefan Zweig, les romans de l’auteure israélienne résonnent en moi. Son champ de bataille ? Le couple, la maternité et la féminité. La question en suspens : peut-on concilier maternité et féminité ? Ses armes ? L’introspection et des livres aux vertus maïeutiques qui, à partir d’un traumatisme – ici un divorce, l’explosion de la cellule familiale et la perte de repères concomitante – décortiquent avec une incroyable justesse les mécanismes psychiques à l’œuvre. Zeruya Shalev analyse méticuleusement chaque infime oscillation et émotion à l’origine d’une prise de décision, permettant de déchiffrer la direction que prend la vie de ses personnages. Pièce après pièce, elle reconstruit le puzzle complexe de la psyché féminine. Un processus décisionnel lent, à l’image de la maturation de ses héroïnes. Dans Thèra, on suit étape après étape la reconstruction émotionnelle d’Ella. Ella qui fantasme la séparation en s’imaginant retrouver sa liberté, que des années de vie de couple ont sapée. Étouffée par un mari en compétition avec son fils de six ans pour attirer son attention. La réalité est tout autre, faite de compromis et de gardes alternées, d’un foyer déserté et d’un fils dont la moitié de la vie lui est occultée. Zeruya Shalev décrit la dissolution d’une famille, les sentiments d’échec et d’abandon qui persistent malgré l’intuition d’avoir pris la bonne décision. Puis, vient le temps de la reconstruction et des désillusions. Une rencontre inespérée. L’éveil des sentiments qui viennent se heurter aux difficultés d’une famille recomposée. Les désirs contrariés et les conflits latents nourris de frustrations, d’incompréhensions et d’une mauvaise communication. La difficulté de trouver sa place dans une famille nouvellement agencée à l’intimité artificiellement recréée, où chacun fait figure d’étranger. Rien n’échappe à Zeruya Shalev qui excelle à sonder l’âme humaine et dit tout des lents cheminements de l’esprit humain.
Le plus grand amour du monde n’est jamais personnel, c’est de notoriété publique, il ne dépend jamais de l’objet et n’est que le reflet des besoins de celui qui aime.
Thèra c’est un long monologue intérieur qui s’ouvre sur la séparation du couple formé par Ella et Amnon depuis dix ans. C’est aussi le nom d’une antique ville grecque située sur l’île de Santorin engloutie il y a des milliers d’années. Sujet d’étude sur lequel travaille Ella, archéologue de métier, et lieu où elle a rencontré son mari. Ella, dont le corps fait penser à celui d’un enfant puisque resté figé à l’âge de douze ans, s’était félicitée d’avoir réussi à attraper dans ses filets ce célibataire endurci. Lui qui rechignait à se marier a fini par l’épouser et lui donner un enfant. Sept ans après, ce qui aurait dû consolider les liens de leur famille les a éloignés. Amnon lui reproche la relation trop fusionnelle qu’elle a avec son fils. Quant à Ella, les reproches incessants d’Amnon ont eu raison de son amour pour lui et ont cédé la placé à la répulsion. Elle est sûre de son choix. Leur histoire est terminée. À partir du constat d’un échec familial, Zeruya Shalev creuse le ressenti de son héroïne. Décortique les émotions contradictoires qui l’assaillent. Ai-je failli dans mon rôle de mère ? Cette séparation est-elle le fruit d’un besoin égoïste de recouvrer ma liberté, un choix qui me sera reproché par mon fils quand il aura grandi ou la conclusion à des années de frustrations ? Zeruya Shalev n’a pas choisi au hasard la profession de son héroïne. Puisqu’elle-même l’est lorsqu’elle fouille dans l’âme d’Ella, qu’elle met à nu les mécanismes psychologiques qui aboutissent à une prise de décision. Qu’elle remonte le fil de son histoire et met le doigt sur le chagrin à partir duquel découlent tous les autres. Un père despotique qui a étouffé dans l’œuf sa féminité. Un père défaillant sur lequel elle n’a jamais pu compter et une mère trop occupée à s’effacer et courber l’échine.
Mon fils a-t-il été condamné dans ses premières années à combler sans le savoir tout ce que je n’ai pas eu, à me réconforter et à me dédommager de ce que je n’ai pas trouvé chez son père et qui s’était soudain concrétisé en lui ? […] j’ai un enfant, pas le salut divin ni mon reflet radieux, un enfant qui ne peut plus être l’éternel réceptacle d’amours frustrés […]
Comme dans Douleur, Zeruya Shalev offre une seconde chance à son héroïne. La rencontre entre Ella et Oded annonce un renouveau. Ella entrevoit la possibilité de se réinventer et de construire un nouveau foyer. Les décisions se prennent dans la précipitation. Chacun arrivant avec ses enfants et son lot de complications. Cette situation fait émerger le problème de la délicate articulation entre féminité et maternité, l’amour peut-il se diviser sans perdre en intensité. Peut-on assurer son rôle de mère et de femme sans en privilégier un au détriment de l’autre ?
La maternité est-elle vraiment incompatible avec l’amour, l’amour maternel, le plus primaire, le plus fort de tous les amours, ne supporte-t-il vraiment aucun concurrent ?
L’enseignement à retenir des romans de Zeruya Shalev, que ce soit dans Douleur ou dans Thèra, c’est l’urgence de se rattacher à la vie, à ce qui est. À ne pas vivre dans le passé ou dans une réalité fantasmée, mais dans le présent. À apprendre à apprécier ce que l’on a et à faire le deuil de ce que l’on n’a pas. À LIRE ABSOLUMENT !!!
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