Que reste-t-il du Yiddishland, cet espace culturel, linguistique, politique, au cœur de l’Europe de l’Est qui englobait les foyers de la culture juive ashkénaze ? Soit une population de 10 millions d’individus totalement annihilée par les nazis. Parmi les vestiges de cette civilisation aujourd’hui disparue, figurent les manuscrits retrouvés de 6 adolescents juifs ayant participé à un concours d’autobiographie. À l’initiative de ce projet lancé en 1932 : le YIVO – Institut pour la recherche juive – qui, afin d’étayer la « question juive », encouragea sous couvert d’anonymat des jeunes entre 16 et 21 ans à écrire sur leur vie, leur famille, amis, histoires de cœur. À confier au jury leurs petites et grandes peines. Le résultat ? Au prétexte d’un concours d’écriture, une étude ethnographique éclairant huit siècles de la vie d’une communauté, ses coutumes, traditions et aspirations, sublimée 80 ans plus tard par les dessins de Ken Krimstein, dessinateur au New Yorker. De ces témoignages de première main, ressort l’articulation délicate des trajectoires individuelles au sein du collectif, l’engagement sioniste d’une jeunesse moins pratiquante que ses aînées, les divergences politiques internes au judaïsme, l’ostracisation des Juifs dans la Pologne antisémite. L’audace d’un jeune homme qui, rêvant d’immigrer aux États-Unis, entame une correspondance avec Meir Dizengoff et le président Franklin D. Roosevelt. Contre toute attente, ce dernier lui répondra. Un jeune étudiant de Yeshiva brûlant d’amour pour une jeune fille laïque socialiste en rébellion contre les traditions qui l’ignore depuis qu’ils ont rompu, confie ses difficultés à l’oublier. Une jeune fille férue de littérature yiddish que son père encourage à écrire. De par leur sincérité et leur simplicité, ces témoignages touchent au cœur. D’autant plus quand on sait que la remise de prix tomba le jour de l’invasion de la Pologne par Hitler et qu’une seule des 6 adolescents, Biba Epstein, survécut à la Shoah. L’histoire rocambolesque ne s’arrête pas là, puisque pour que ce livre existe, des dizaines d’anonymes œuvrèrent dans l’ombre. Risquant leur vie sous le nez des nazis, la « brigade de papier » dut subtiliser les archives du YIVO, pour les mettre à l’abri le soir dans le ghetto de Vilna. Un travail de sape d’une valeur historique inestimable, à la mesure de leur courage et de la vitalité des jeunes pétris de projets qui ont été exterminés.
Mon appréciation : 3/5
Date de parution : 2024. Roman graphique aux Éditions Christian Bourgois, traduit de l’anglais (États-Unis) par Gaïa Maniquant-Rogozyk, 248 pages.
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