« Le doute est un état mental désagréable, mais la certitude est ridicule. » Énoncée par Voltaire, cette vérité est finement incarnée dans le premier roman jubilatoire de Fabio Bacà, où le héros, homme rationnel et cadre supérieur au siège londonien de l’Organisme national de statistiques, voit son système de pensée chavirer face à une succession d’événements défiant les lois de la probabilité. Kurt O’Reilly a la trentaine, de l’argent, un statut social enviable et une femme brillante jouissant d’une certaine notoriété dans le milieu littéraire. Bien que les élans créatifs d’Elizabeth Brooks aient redéfini la géographie de leur vie conjugale : contraignant le couple à occuper des appartements adjacents et à s’allonger sur le divan de diverses praticiens londoniens pour trouver matière à alimenter ses romans. Pourtant, depuis trois mois, la chance semble s’acharner. Le moindre événement tourne à l’avantage de Kurt, bousculant ses préjugés : cotations boursières à la hausse, indemnités gouvernementales, promotion injustifiée, impôts remboursés, sex-appeal décuplé ou encore arme pointée sur la tempe s’enrayant lamentablement… Ironie du sort pour un statisticien peu enclin à laisser l’imprévu s’immiscer dans sa vie. Préférant l’espoir à la certitude, Kurt refuse obstinément de voir tout un pan des sentiments lui échapper en baignant dans le bonheur sans aspérités d’une existence toute tracée. Bien décidé à élucider le mystère, le héros nous balade dans les rues londoniennes dans une quête existentielle drôle et enlevée. Chaque aventure, chaque confrontation avec l’altérité l’invitant à repenser sa façon d’appréhender le monde, à se laisser cueillir par l’inattendu, se décentrer et se délester d’un sentiment de culpabilité dont il ne s’est jamais défait. La City en toile de fond donne sa dimension satirique au roman, qui sous couvert d’une fable flirtant avec le surnaturel croque les travers d’un système capitaliste polarisé autour du mythe laïc : de l’individu et de l’argent. L’intelligence avec laquelle les enseignements sont délicatement amenés culmine dans un épilogue tendre et savoureux, comme un clin d’œil malicieux.
Mon évaluation : 4/5
Date de parution : 2022. Éditions Gallimard, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, 240 pages.
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