Point cardinal est mon premier gros coup de coeur de cette rentrée littéraire. Léonor de Récondo s’empare d’un sujet hautement casse-gueule et évite tous les écueils en la matière. Elle signe un roman coup de poing, puissant et percutant. La question du changement de sexe est traitée avec maîtrise sans fausses notes dans un style vif et concis qui contribue à la pertinence du propos. Léonor de Récondo aborde avec tact la problématique de la transsexualité. Thème peu présent en littérature, elle réussit l’exercice haut la main. Exercice périlleux qui consiste à interroger dans une langue déliée, dépouillée et crue mais sans aucune férocité excessive la notion d’identité. Elle n’envisage pas seulement le récit à travers le prisme de la personne concernée, mais se glisse dans la peau de chacun des membres de sa famille et décortique leurs réactions. Point cardinal n’est pas un témoignage que nous livre l’auteur mais bien un voyage. On suit pas à pas les étapes qui ponctuent le parcours jonché d’obstacles de Laurent pour devenir Lauren. Du personnage excentrique et malhabile qu’il crée dans un premier temps pour matérialiser son besoin d’être femme, au lent processus de communication avec ceux qu’il aime, de la colère, à l’incompréhension, à l’acceptation ou au rejet. Point cardinal, rien que le titre est lourd de sens et n’a pas pu être choisi par hasard. Deux sens me sautent aux yeux. Point cardinal peut s’envisager du point de vue du sens logique, de la finalité, de la direction vers laquelle Laurent tend. C’est le mouvement inéluctable impulsé par la décision de Laurent de devenir une femme. Point cardinal signifie également cet instant pivot qui suppose une rupture entre l’avant et l’après, rien ne sera jamais comme avant, conséquence évidente d’une décision si importante, qui va chambouler le quotidien de chacun des membres de cette famille. C’est ce moment crucial, essentiel sur lequel repose tout le reste.
Résumé
Point cardinal. Sur le parking d’un supermarché, dans une petite ville de province, une femme se démaquille. Enlever sa perruque, sa robe de soie, rouler ses bas sur ses chevilles : ses gestes ressemblent à un arrachement. Bientôt, celle qui, à peine une heure auparavant, dansait à corps perdu sera devenue méconnaissable. Laurent, en tenue de sport, a remis de l’ordre dans sa voiture. Il s’apprête à rejoindre femme et enfants pour le dîner. Avec Solange, rencontrée au lycée, la complicité a été immédiate. Laurent s’est longtemps abandonné à leur bonheur calme. Sa vie bascule quand, à la faveur de trois jours solitaires, il se travestit pour la première fois dans le foyer qu’ils ont bâti ensemble. À son retour Solange trouve un cheveu blond… […]
Sabine Wespieser Éditeur
Le talent d’un bon écrivain se révèle souvent dès les premières lignes, parviendra t-il en peu de mots à capter l’attention du lecteur ? Ce sont ces premiers instants qui donnent le ton. Léonor de Récondo parvient en un chapitre à nous faire basculer dans le monde de Laurent. On est happé dès les premiers mots. On assiste en témoin muet à un dépouillement. Mathilda redevient Laurent, pour se faire se succèdent une enfilade de verbes construits avec le préfixe -dé, censés exprimer la cessation de son état de femme au profit d’un retour à la « normale ». Ainsi, Mathilda se démaquille, se déshabille, retire, enlève, ôte, disparaît. L’entreprise dans laquelle s’est lancée Mathilda n’est pas celle d’une transformation mais plutôt celle d’une dissolution. Ces premières pages augurent du talent de l’auteure, qui aurait pu se laisser déborder par son sujet, et qui au contraire l’aborde avec une infinie justesse. Chez Léonor de Récondo, tout est une question de dosage. Elle décrit sans ambages le malaise de Laurent, tiraillé entre son besoin de laisser s’exprimer la femme qu’il est réellement et son devoir de mari, de père. La présence de Mathilda se fait plus prégnante jusqu’à devenir comme un éléphant au milieu du salon. Tout bascule le jour où Solange, sa femme, découvre cette mystification. Fini le temps des mensonges, Laurent doit s’expliquer. Au cours d’un dîner familial, Laurent annonce avec des mots clairs, bruts sans circonvolutions inutiles qu’il est une femme. Ces révélations provoquent un tollé, chacun réagit comme il le peut. C’est le temps de la confession pour Laurent, et de son corollaire pour le reste de la famille soit le désarroi, l’impression d’avoir mal fait, d’avoir failli dans son couple, d’avoir été trahi. Mais vient également l’impression de soulagement, d’être délesté d’un fardeau.
La force de Point cardinal est de ne pas embrasser une dimension politique ou sociologique. Léonor de Récondo ne se prétend pas la porte-parole d’une cause politique, mais traite en romancière un sujet de société. Elle appose des mots simples sur des émotions complexes sans chercher à éveiller la compassion chez le lecteur. Et c’est justement cette concision, cette limpidité des propos tenus, qui touchent le lecteur en plein cœur. Elle décrit merveilleusement bien ce sentiment fulgurant qui traverse Laurent lorsqu’il comprend que c’est enfin possible, que de devenir une femme n’est plus un fantasme mais est à portée de main. Elle souligne le caractère égoïste de cette transformation, certes inéluctable. Laurent impose son choix à sa famille, entame seul les démarches. Cette décision prise unilatéralement touche tout le monde par ricochets et entraîne toute sa famille dans son sillage. Le futur de chacun des membres de cette famille en sort transformé. Léonor de Récondo dissèque les réactions de chacun, les met à nu. Elle évoque l’incompréhension puis le rejet du fils aîné effaré de la tournure que prennent les événements. Et comment en vouloir à un adolescent qui voit ses repères voler en éclats. Quelle figure paternelle substituer à celle avec laquelle on a grandi et qui aujourd’hui revêt les traits d’une femme ? Se pose également la question de la sexualité dans le couple. La réaction des collègues au travail. La légèreté de Laurent et sa naïveté peuvent toucher comme agacer. Léonor de Récondo nous laisse libre juge de notre ressenti.
Point cardinal fait partie des livres incontournables de cette rentrée littéraire extrêmement riche. Je vous conseille de filer en librairie vous le procurer, il se lit rapidement – se dévore même puisqu’un après-midi m’a suffi, la langue est simple, claire et le sujet puissant. Une certaine sobriété de ton émane de ce roman. Aucune notes discordantes, le style est aérien.
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