La disparition de Josef Mengele signé Olivier Guez, est un des romans importants de cette rentrée littéraire. Sous la forme d’une enquête journalistique romancée, l’auteur retrace le parcours en Amérique latine de l’ancien haut dignitaire nazi, médecin à Auschwitz où on lui attribua le surnom de « l’ange de la mort ». Tout le monde connaît les atrocités commises par cet homme dans les camps de concentration et le zèle hors norme qu’il déploie dans l’exercice de ses fonctions médicales. L’homme en uniforme à tête de mort a mutilé, torturé, arraché des membres, collectionné des yeux, fait cuire des êtres humains, disséqué, stérilisé, massacré, réalisé des prélèvements sur des êtres vivants… Tout cela au nom de la science. En sévissant à Auschwitz, il disposait d’un nombre inestimable de cobayes humains pour pratiquer ses expériences médicales. Digne représentant de l’idéologie nazie, ses idées concernant la pureté de la race et son rôle dans la diffusion des idées eugénistes, ainsi que leur mise en pratique, lui valent le statut de criminel de guerre. Si chacun connaît Josef Mengele sous les traits du scientifique sans scrupules, moins connue est sa fuite en Argentine et sa cavale pour échapper à la justice des hommes. Olivier Guez dans une langue journalistique dépouillée s’applique à démêler le vrai du faux, les faits réels des rumeurs avec minutie afin de mettre en lumière la véritable organisation de son extradition. Comment un criminel de guerre recherché par tous les états de la planète a-t-il pu passer entre les mailles du filet ? Finalement c’est la question qui apparaît en filigrane dans ce récit et à laquelle l’auteur tente d’apporter une réponse convaincante.
L’Amérique latine : terre d’asile des anciens dignitaires nazis
La réputation des régimes militaires sud-américains de la seconde moitié du XXe siècle est bien connue. L’émergence de régimes militaires en Amérique Latine à partir des années 70 a permis aux criminels du monde entier de trouver refuge et assistance. Pour Josef Mengele, exfiltré vers l’Argentine en 1949, le régime du général Perón s’avère être un allié de taille dans sa fuite hors de l’Europe. Le général Perón, alors au pouvoir, voue un culte à l’Allemagne nazie ainsi qu’à l’Italie fasciste du temps de Mussolini. En accueillant d’anciens nazis, il espère faire de l’Argentine une nation qui compte aux yeux du monde instigatrice d’un troisième axe visant à faire péricliter les États-Unis et la Russie communiste. Ce qui, vous n’êtes pas sans le savoir conduira bien évidemment à un échec, à sa destitution et à l’arrivée au pouvoir de la junte militaire. Alors que l’on aurait pu imaginer que Josef Mengele, tel un cancrelat, se serait terré une fois arrivé en Argentine, on découvre avec stupeur qu’il y circulait librement en toute impunité. Nul besoin de se cacher dans un pays qui se targue de rassembler le nec plus ultra des déviances de l’esprit humain : nazis, fascistes, tortionnaires, criminels de guerre, trafiquants… Que du beau monde en somme ! Pire, il existait alors un réseau d’exfiltration d’anciens nazis parfaitement huilé. Lorsque le gratin du défunt parti national-socialiste – « la nazi society de Buenos Aires »- se réunit, la valeur de chacun se mesure à son bilan meurtrier, baromètre morbide déshumanisant. Ainsi Ante Pavelíc compte à son actif pas moins de huit cent cinquante mille victimes serbes, juives et tsiganes, Eduard Roschmann, alias le boucher de Riga, fait état de trente mille juifs lettons assassinés, Gerhard Bohne, le directeur administratif du programme d’euthanasie T4, deux millions de stérilisés et soixante-dix mille handicapés gazés. Il faudra attendre 1960 pour que Josef Mengele, informé de la capture d’Eichmann par les services secrets israéliens, se sente acculé et décide de fuir au Brésil sous une fausse identité pour échapper au Mossad. Pendant 10 ans, alors que l’Europe tente de se reconstruire sur des ruines, les anciens nazis auront vécu une vie de pacha. Cette réalité décrite par Olivier Guez de manière factuelle est pourtant teintée de consternation, les puissances occidentales semblent avoir mieux à faire que de traquer les origines du mal.
La lenteur du dispositif judiciaire consacré à la traque des anciens nazis
Second point d’étonnement, la lenteur du processus judiciaire. L’Europe d’après guerre, en ruine, tente de se reconstruire et pour cela décide d’ajourner son devoir de mémoire. Il faudra attendre 1995 en France pour que soit reconnue officiellement la collaboration avec le régime de Vichy. De même, ce ne sera qu’en 1985 que la tête de Josef Mengele sera mise à prix, soit 6 ans après sa mort. Il est étonnant de voir que Josef Mengele a laissé tant de traces derrière lui, qu’il a pu correspondre toutes ces années de cavale avec sa famille restée en Allemagne à la tête d’une entreprise extrêmement lucrative – sous le nom de Mengele !!!, qu’il a pu rencontrer son fils, se marier, sans être intercepté. Olivier Guez rappelle à plusieurs reprises la coopération entre les États-Unis et l’Allemagne de l’Ouest avec d’anciens nazis. Il est de notoriété publique que la CIA collaborait avec eux sur certaines missions. Certains d’entres eux ont continué à exercer leur profession pour le compte de puissances occidentales peu regardantes sur le passif de leurs collaborateurs. L’Allemagne a longtemps été gangrénée par ces hommes, qui au lendemain de la guerre et jusqu’à leur mort n’ont cessé d’occuper des postes au sein de l’administration allemande. Comme le souligne Olivier Guez, il faudra attendre l’arrivée d’une nouvelle génération prête à faire la lumière sur les heures sombres de son histoire, pour espérer faire véritablement le deuil. La disparition de Josef Mengele n’est qu’un prétexte qui permet à Olivier Guez de dénoncer les dérives de la realpolitik. La realpolitik désigne « la politique étrangère fondée sur le calcul des forces et l’intérêt national ». Dans la seconde moitié du 20e siècle, la guerre froide fait rage et les états ont bien mieux à faire que de traquer un ancien dignitaire nazi, fût-il « l’ange de la mort ».
Conclusion
Ce roman publié pour la rentrée littéraire est intéressant car il s’inscrit dans la veine des récits mêlant journalisme et biographie au service d’une vérité crue. La disparition de Josef Mengele participe au travail de mémoire, comme le rappelle Olivier Guez à la fin de son ouvrage l’être humain a la mémoire courte. L’exposé est factuel, l’auteur ne se perd pas dans les méandres de l’histoire. J’ai trouvé cet ouvrage passionnant et particulièrement instructif, Olivier Guez maîtrise son sujet et nous en fait profiter. Seul petit bémol, j’aurais aimé que le récit soit moins désincarné, factuel. Il manque un peu la patte de l’auteur, le journaliste a tendance à se substituer au romancier par moments. Si on omet ma dernière petite remarque, vous pouvez foncer, vous ne vous ennuierez pas une seconde ! 😉
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HISTORIQUE
Aniouchka
octobre 31, 2017Je n’ai moi non plus pas pu lâcher ce livre ! C’est un formidable travail d’enquête et d’écriture qui va à la rencontre de ce que le genre humain a de plus abject.
Books'nJoy
octobre 31, 2017Je partage totalement votre avis, Olivier Guez livre un document indispensable ! C’est particulièrement frustrant de savoir que cet homme, dénué de conscience morale, soit passé toute sa vie entre les mailles du filet de la justice…