COUPS DE COEUR

Bakhita, Véronique Olmi : Grand Prix des Blogueurs Littéraires 2017 & Prix du roman Fnac 2017 (#RL2017)

18 septembre 2017
booksnjoy - Bakhita, Véronique Olmi : Grand Prix des Blogueurs Littéraires 2017 & Prix du roman Fnac 2017 (#RL2017)

Bakhita, signé Véronique Olmi, est LE roman de cette rentrée littéraire ! Impossible de passer à côté, il est sur toutes les lèvres, toutes les listes de prix. En lice pour le Prix Goncourt et le Prix Femina, et déjà lauréat du Prix du Roman Fnac 2017, elle succède ainsi à l’émouvant Petit pays de Gaël Faye. Bakhita s’inscrit dans la tendance de cette rentrée littéraire qui confirme le succès d’un genre littéraire hybride : l’exofiction. L’exofiction est un roman inspiré de la vie d’un personnage réel dont l’auteur s’octroie la liberté de romancer et d’inventer certains passages. L’exofiction – biographie romancée ou encore fiction biographique – apparue dès la rentrée littéraire 2015, s’impose sur les étals de librairie. Véronique Olmi dans ce formidable roman retrace le parcours d’une jeune esclave soudanaise, enlevée à l’âge de sept ans, séquestrée, torturée, revendue à des négriers musulmans qui la revendront à leur tour au plus offrant. Sa vie basculera à l’âge de douze ans, lorsqu’elle fera la connaissance de Calisto Legnani, consul italien à Khartoum. Entre temps, elle aura connu cinq maîtres, été confrontée à la barbarie des hommes et à la sauvagerie déchaînée de ceux qui se revendiquent d’une race supérieure. Véronique Olmi livre un récit puissant, raconte une violence inouïe avec une pudeur telle que le texte confine au sublime. Bakhita émeut au plus profond, son histoire nous serre le coeur, les larmes montent, il est impossible de reste de marbre face à un destin si tragique. Bakhita incarne cette résistance passive, qui passe par la volonté de ne pas céder, de survivre. Après les affres de l’esclavage, elle entrera dans les ordres et consacrera sa vie aux autres. Elle mènera une vie de piété et de dévotion, sans qu’aucun désir de vengeur ne vienne effleurer cette âme pure. À femme hors du commun, destin d’exception puisqu’en 2000 le pape Jean Paul II la canonise, elle devient ainsi la première Sainte soudanaise.

Le temps de l’esclavage (1876/77 – 1883) 

Bakhita naît dans un petit village du Darfour nommé Olgossa autour de l’année 1869. À cette époque et dans cette région du monde, le traffic d’êtres humains sévit ardemment. Les négriers procèdent toujours de la même manière et leur technique est connue. Un village en feu est synonyme d’enlèvement. C’est ainsi qu’à cinq ans Bakhita perd sa grande soeur, Kismet. Deux années s’écoulent avant qu’elle ne soit ravie à son tour, telle une malédiction qui plane sur le village. Sa mère l’envoie chercher de l’herbe, elle ne reviendra jamais. Enlevée par deux hommes, elle est jetée dans un trou et séquestrée. Incapable de se souvenir du nom que sa mère lui donnait, elle devient Bakhita, nom que lui donnent ses ravisseurs. Bakhita qui signifie « la chanceuse ». Ironie funeste. En réalité son patronyme jamais elle ne le retrouvera, laissé au village avec sa famille et l’enfant qu’elle était avant qu’elle ne découvre les facettes les plus sombres de la nature humaine. Elle devient Bakhita mais surtout Abda, « esclave« . Condition dont elle ne parviendra jamais vraiment à s’affranchir. Ce calvaire, elle ne le vivra pas seule. Binah partagera les douleurs et les humiliations avec elle, elle s’enfuira avec Bakhita dans la forêt pour échapper à leurs tortionnaires. Bakhita n’est encore qu’une enfant quand une force puissante et invisible se manifeste une première fois à elle au coeur de cette forêt et lui redonne des forces. Elle est affamée, assoiffée, a son corps meurtri par le soleil et la marche, mais s’éveille en elle cette certitude qu’elle résistera. Mue par une force invisible et une volonté indéfectible de vivre, elle continuera à avancer.

Véronique Olmi trouve les mots justes pour décrire la bestialité des hommes. Dans une langue dépouillée, l’auteure retranscrit cette violence brute. Je ne m’attendais pas à être si profondément bouleversée par certains passages, comme celui de la mère et de son enfant qui font le voyage avec Bakhita jusqu’au centre caravanier d’El Obeid, qu’ils n’atteindront jamais. Cet épisode dont est témoin Bakhita semble irréel, hors du temps, tout simplement inconcevable par sa barbarie.

Elle essaye de l’attraper, elle sautille et elle s’élance, le chef recule en riant. Il tient le bébé par un pied et le fait tourner en l’air, comme une corde pour attraper un animal. Le bébé vomit et puis l’homme l’abat contre une pierre. Le bébé convulse. Ses yeux saignent et il tremble comme le poisson que l’on sort de la rivière. […] Un esclave crie au chef des mots furieux, d’autres font comme lui, et c’est un bourdonnement de colère, de dialectes, de prières et de révolte. Alors le chef lève son fouet et il frappe la maman, jusqu’à ce qu’elle tombe à genoux, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien d’elle qu’une grande peau déchirée.Et soudain tous les esclaves se taisent. On n’entend plus que le bruit des coups et les rugissements du chef, suant et bavant de fureur. Le corps de la maman tressaute et puis il s’ouvre sous les coups, et les pierres deviennent rouges.

Elle sera tour à tour, un animal de cirque auquel on demande de faire des tours, un objet sexuel sur lequel s’entraîner, un exutoire à la colère des hommes… Mais la perversité et l’inventivité de ces êtres déshumanisés n’a pas de limites lorsqu’il s’agit de trouver de nouveaux rites macabres auxquels soumettre leurs esclaves. Bakhita sera soumise au jeu ou plutôt à une « torture raffinée » qui consiste à habiller sa maîtresse sans jamais la toucher, sous peine de violentes corrections. Bakhita gardera à vie les traces de son esclavage, mutilée par ses maîtresses, sa peau conservera à jamais la marque des sévices subis.

L’espoir d’une autre vie (1883 – 1947)

La vie de Bakhita bascule en 1883. Elle entre au service d’un nouveau maître, le cinquième depuis qu’elle a été enlevée, Calisto Legnani consul italien à Khartoum. Elle entame alors un processus d’affranchissement qui passe par la réappropriation de son corps. Il l’interroge sur ses origines, d’où vient-elle ? À quelle tribu appartient-elle ? Quel est son nom ? Autant de questions qui resteront sans réponses. Bakhita a oublié ou ne sait pas. Désoeuvrée face à ce constat, le souvenir de sa mère présent jusqu’à sa mort, lui rappellera ses racines. Elle embarquera pour l’Italie où elle fera comme elle a toujours fait, elle dévouera sa vie aux autres. En particulier, Alice une enfant qui lui doit la vie. Un homme entamera les démarches pour lui offrir une éducation religieuse. Cet homme qui la considérera comme sa fille s’appelle Stefano Massarioto. Le 29 novembre 1988 « Bakhita arrive enfin chez elle ». Elle entre au pieux institut des catéchumènes de Venise. Elle se libérera de ses chaînes au terme d’un procès retentissant. Elle sera baptisée puis décidera d’entrer dans les ordres en 1895. Elle change de nom encore une fois pour prendre celui de « soeur Giuseppina Bakhita » mais restera pour tous La Madre Moretta. Elle traverse les époques avec cette abnégation tranquille de ceux qui ont vu le pire et en sont revenus. Bakhita incarne la figure de la mère, celle qui apaise les esprits tourmentés, qui panse les plaies, que rien ne peut ébranler.

Conclusion    

Ce roman est un de mes gros coups de coeur de cette rentrée littéraire. Véronique Olmi signe un roman magistral, d’une puissance inouïe. Bakhita est le portrait d’une femme hors du commun, une icône au destin extraordinaire. C’est une traversée dans l’histoire, à travers les époques, de l’esclavage aux deux guerres mondiales qui vont ébranler l’Europe. Ce roman est extrêmement réussi et j’espère qu’il sera récompensé à la hauteur de sa valeur. 😉

Je vous glisse ci-dessous le communiqué de presse rédigé par la super équipe qui a permis au Grand Prix des Blogueurs Littéraires de voir le jour 😀

https://agathethebookdotcom.files.wordpress.com/2017/12/cp-laurc3a9at.pdf

>>> RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 (#RL2017)

>>> Chronique du Prix Goncourt 2017, par ici !

>>> Chronique du Prix Renaudot 2017, par ici !

>>> Chronique du Prix Renaudot Essai 2017, par ici !

>>> Chronique du Prix de Flore 2017, par ici !

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