Delphine Minoui nous offre une immersion au cœur de Daraya, ville insurgée syrienne situé dans la banlieue de Damas et torpillée sans relâche par les troupes de Bachar el-Assad. En écrivant Les Passeurs de livres de Daraya, elle rend hommage à ces jeunes syriens qui n’ont pas hésité à braver les dangers pour insuffler un vent de liberté sur la cité assiégée. Delphine Minoui livre à travers ce texte une véritable ode à la littérature, « le livre comme une arme d’instruction massive », le livre comme pied de nez aux chars de Bachar el-Assad, à cette violence inouïe qui ébranle la région depuis cinq ans. Alors que cette région du monde nous évoque un terrain de jeux géopolitique où les ententes stratégiques se font et se défont sur le dos d’une population civile dans une situation toujours plus précaire, cette spécialiste du Moyen-Orient redonne espoir et évoque l’esprit libre qui anime les derniers habitants d’un des derniers bastions de résistance pacifique. Des hommes jeunes, la vingtaine, se sont donnés pour mission de sortir des décombres, des immeubles ensevelis sous les bombes, des milliers de livres. Une bibliothèque clandestine située au sous-sol d’un immeuble voit le jour dans une ville en ruine, aux confins du Proche-Orient, dans une région dévastée. La littérature va leur permettre d’épancher leur soif de liberté et de savoir dans un environnement chaotique rythmé au son des bombes qui s’abattent quotidiennement sur la ville. Le livre leur procure certes un sentiment d’évasion, un moyen de s’extraire du quotidien, mais il est surtout un acte de transgression. Véritable fléau pour les régimes totalitaires pour qui la soumission d’une population passe par l’éradication de toutes formes de contestation. Au préalable encore faut-il s’assurer que nul ne puisse penser par soi-même ni exercer son esprit critique. Ces jeunes forcent l’admiration, ils restent animés par une force vitale indéfectible qui ne les quittera jamais malgré les épreuves.
Daraya dévastée, le berceau de la résistance pacifique syrienne
Delphine Minoui emploie le terme d’urbicide – la destruction d’une ville par tous les moyens – pour décrire les sévices pratiqués par l’armée syrienne. Le dictateur pratique une politique de la terre brûlée et tente par tous les moyens, gaz sarin, napalm, bombardements incessants, de faire plier cette cité assiégé symbole de la résistance syrienne. Le siège dure depuis 2012 et prendra fin en 2016 par l’évacuation de la population civile et l’entrée des chars dans la ville martyre. Les médias en ont fait le Guernica syrien. Les rues sont désertes, la faim tiraille les ventres, la ville est privée d’eau et d’électricité, et pourtant en surfant sur le net Delphine Minoui tombe sur une publication surprenante. Une photo d’une bibliothèque secrète à Daraya, enfouie sous le sol, là où la vie semble se dérouler. Des livres tapissent les étagères. Un règlement, sous la forme d’une feuille A4, est même épinglé sur un mur. Édicter des règles procure l’illusion d’un ordre, d’une structure qui résiste dans une atmosphère chaotique de fin du monde. De fil en aiguille, la journaliste parvient à extirper de la toile les coordonnées d’un certain Ahmad, vingt-trois ans promis à des études d’ingénierie avant que le conflit ne mette un terme à ses ambitions. La réalité le rattrape au coeur du printemps arabe, à l’aube d’une guerre civile sanglante et interminable. À travers ce récit, on assiste aux échanges skype, WhatsApp et facebook entre la journaliste spécialiste du Moyen-Orient et ces jeunes à l’initiative de cette bibliothèque clandestine. Ce qui frappe dans ces témoignages c’est la maturité des interlocuteurs, qui ont la vingtaine et pourtant portent en eux une certaine gravité. Ils ont fait le choix sciemment de ne pas déserter, de rester à Daraya et de la défendre malgré le déséquilibre des forces en présence. Privé de tout, les livres deviennent leur refuge. Outre une promesse d’évasion, la littérature leur donne la force de tenir. Si d’autres qu’eux sont parvenus à obtenir leur liberté, alors l’idéal de démocratie qu’ils portent en eux pour leur pays n’est pas une chimère. Sous la plume de Delphine Minoui on découvre une ville qui n’a jamais cédé aux sirènes du terrorisme et de l’islamisme radical. Une ville qui a résisté durant quatre ans par la seule force vitale de ses habitants habités par une volonté de fer.
« Le livre, une arme d’instruction massive »
Qui n’a pas lu le fabuleux roman d’anticipation de Ray Bradbury, Fahrenheit 451, se doit d’y remédier. Cette dystopie effrayante évoque un monde où la lecture est interdite, où les livres sont bannis. La conservation du patrimoine culturel passe par la transmission orale, chacun se voit assigné une oeuvre qu’il s’efforce de mémoriser pour la transmettre à son tour. Publié en 1953, cet ouvrage s’annonce comme prophétique et se révèle terriblement d’actualité. Un monde dans lequel le livre n’a plus sa place, est un monde mort sur le plan intellectuel mais une véritable aubaine pour un pouvoir despotique. Véritable bête noire des autocrates, le livre risquerait de pervertir les esprits. Ils cesseraient ainsi d’être malléables, perméables à un enseignement idéologique et dogmatique. Brûler les livres c’est purifier les esprits. L’arrivée des régimes totalitaires au pouvoir ne s’est-elle pas toujours traduite par des autodafés ? En 1933, Hitler met en scène de gigantesques autodafés. Plus récemment, il suffit de citer l’incendie de la bibliothèque de Tripoli ou de Mossoul. Le livre fait peur et pour cause, ces jeunes rebelles syriens y puisent la force de résister. La bibliothèque devient un des derniers lieux de partage, d’échanges. Elle incarne les vestiges d’une vie sociale depuis longtemps oubliée. Des débats y sont menés, une salle est consacrée exclusivement aux échanges via Skype avec des professeurs et des dissidents en exil. La littérature a également ce triple enjeu temporel : faire le lien entre passé, présent et futur. Lire c’est s’imprégner du passé, des écrits de ceux qui nous ont précédés, pour déchiffrer le présent et préparer le futur. C’est exactement ce processus qu’expérimente cette jeunesse contestataire.
Conclusion
Les Passeurs de livres de Daraya est une ode à la littérature. Le livre est brandi comme la dernière arme dont dispose une population martyrisée, une arme dont aucun régime ne viendra à bout. Le dernier acte de résistance des habitants de Daraya. Delphine Minoui rend hommage à Ahmad, Hussam, Shadi, Abou Malek et à tous ceux qui ont su faire preuve de courage pour mener à bien ce projet de bibliothèque clandestine au coeur d’un conflit d’une violence inouïe.
« Là où on brûle les livres, on finit par brûler des hommes. » Heinrich Heine
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