Les stéréotypes ont la dent dure et le monde de l’espionnage n’est pas en reste. François Waroux nous livre un témoignage passionnant qui a pour matière ses vingt années passées au sein de la DGSE en tant qu’officier traitant (OT). Lorsque nous entendons agent secret nous pensons immanquablement à l’agent 007 aux charmes ravageurs et à l’élégance si « british », la réalité est en fait toute autre. Loin des clichés, François Warroux évoque son passé d’agent et nous dévoile les dessous des services de renseignement français. Contrairement à ce que l’on peut penser, le quotidien d’un agent en mission n’est pas ponctué de vodka martini ou de courses-poursuites en voitures de luxe. La discrétion comme le souligne François Warroux en est le maître mot. Ce document se lit d’une traite, l’auteur évoque en des termes simples et une écriture fluide les différentes missions qu’il a été amené à réaliser ainsi que les différents postes qu’il a exercés au sein de la DGSE. Le lecteur découvrira les méthodes pour approcher une cible, comment manipuler un agent, toutes les étapes d’une filature réussie, comment endosser une nouvelle personnalité créée de toutes pièces sans se compromettre… L’auteur interroge le rôle intrinsèque d’un service de renseignement et remet en perspective les discours moralisateurs quant au bien fondé d’un tel service. Ponctué d’anecdotes savoureuses, cet essai se révèle instructif à qui s’intéresse aux arcanes du pouvoir et à la diplomatie internationale.
Comment devient-on agent secret ?
Promis à une carrière militaire toute tracée en sortant de Saint-Cyr, François Waroux évolue au sein de l’armée. Il monte les échelons, occupe des fonctions relativement importantes sans pour autant se montrer satisfait de son parcours. Rompu aux démonstrations militaires et désireux de relever de nouveaux défis, François Waroux tourne rapidement en rond dans ses fonctions. Avant de lire ce témoignage, je ne vous cache pas que le mythe de l’orphelin tête brûlée qui se retrouvait enrôlé dans les services secrets était bien ancrée dans mon esprit 😉 . Cette lecture m’a donc permise de faire le deuil de mes illusions enfantines. Devenir agent s’avère en réalité bien plus aisé qu’on ne le pense. C’est en tombant par mégarde sur une note de service interne, proposant la participation à des journées portes ouvertes à la caserne de Mortier – qui dans le jargon militaire est synonyme de services spéciaux, que son destin bascule. Après avoir assisté aux portes ouvertes, tout s’enchaîne. De tests psychologiques, en épreuves physiques et techniques, François Waroux rejoint finalement les services secrets en 1977, à trente-deux ans. L’auteur insiste sur la distinction entre le Service information et le Service action, bras armé de la DGSE et seul apte à mener des opérations armées. Deux types d’opérations existent. Les opérations « arma » visent à des destructions matérielles du type sabotage. Tandis que les opérations dites « homo » s’apparentent à des « assassinats ciblés ». Ces opérations doivent rester dans le domaine de la clandestinité, en aucun cas l’instigateur, soit l’état français, ne doit être directement impliqué. François Waroux évoque notamment le dérapage médiatique malencontreux survenu après l’opération Rainbow Warrior au cours de laquelle les membres du service action avaient été appréhendés puis jetés en prison par la police néo-zélandaise. Ce type d’expériences devant à tout prix être évité, la discrétion est plus que jamais de mise. Ceux parmi vous qui se prédestinent à une carrière dans les services secrets sans pour autant être passés par l’armée, pas d’inquiétude la DGSE recrute dans dans le civil. La prochaine fois que vous tomberez sur une annonce de type « Nous recherchons des analystes niveau maîtrise ou doctorat. » n’hésitez pas à tenter votre chance ! 😉
La vie « ordinaire » d’un agent secret
L’auteur commence par intégrer une cellule ultra-secrète du renseignement en charge de la surveillance nucléaire aux États-Unis. Il encadre les OT envoyés sur le territoire américain. Envoyé à son tour, pour des missions ponctuelles, aux États-Unis il ne peut se résigner à revenir travailler sur le territoire français. Sa hiérarchie décide donc de le muter en Éthiopie, où accompagné de sa femme et de ses cinq enfants, il endossera les fonctions de deuxième secrétaire à l’ambassade de France. Sa mutation aura son lot de rebondissements, la vie d’un agent n’est pas de tout repos. Au cours de sa mission longue durée, il réchappera de justesse à une tentative d’assassinat à la salade (oui, oui, vous m’avez bien lue). À l’Éthiopie succèdera le Pakistan. Les enjeux ne sont pas les mêmes, l’atmosphère y est pesante. La situation explosive du Pakistan des années quatre-vingt dix implique une vigilance de tous les instants pour éviter tout incident diplomatique. Chaque mission requière un engagement particulier qui diffère d’une opération à une autre. Le retour en France sera une véritable délivrance. Au cours des années qui suivront François Waroux sera envoyé au Sénégal puis en Tunisie dans le cadre de stages de formation.
Le fonctionnement interne des services de renseignement
Le champ lexical propre aux services secrets fourmillent d’acronymes peu clairs dont je vous donne un petit échantillon. Le métier d’OT, exercé par l’auteur pendant près de vingt ans, consiste à engranger du renseignement sur un lieu ciblé. L’OT – officier traitant – doit faire preuve de rigueur dans son tri de l’information et de lucidité dans sa collecte. Les agents, quant à eux ne font pas partie intégrante du service interne, en réalité un agent est une source. Tous les agents ne se valent pas encore faut-il distinguer l’agent dormant, de l’agent principal ou encore de l’agent inconscient. Enfin, l’honorable correspondant, ou HC, est un intervenant qui facilite l’installation de l’OT et peut occasionnellement lui rendre des services. Les ONG, ambassades, institutions diplomatiques mais également les banques regorgent d’honorables correspondants et d’agents, pour la plupart prêts à trahir leurs entreprises ou pays d’accueil pour des motifs purement pécuniaires. On apprend par exemple que les Alliances françaises sont un lieu propice au recrutement d’agents. L’on découvre notamment (à mon grand étonnement) que Gérard de Villiers, l’auteur à succès de la célèbre série SAS de romans d’espionnage, était un HC. Pendant de longues années il a entretenu des liens étroits avec des membres du service de renseignement qui lui fournissaient maintes détails afin d’alimenter son oeuvre. L’autre possibilité de gratification d’une source est le renvoi d’ascenseur, pouvant aller jusqu’à la remise d’une distinction nationale. Chaque infiltration est savamment calculée, fruit d’un travail extrêmement long et fastidieux de collecte de données. Contrairement à l’imaginaire collectif, tous les agents ne sont pas envoyés sur le terrain. Le manquement aux ordres de la hiérarchie est sévèrement sanctionné, l’enjeu est d’effectuer une mission en un maximum d’efficacité et un minimum de traces. François Waroux met en lumière les mécanismes de fonctionnement d’une infrastructure méconnus du grand public et à la mécanique bien huilée.
Conclusion
François Waroux signe un document très intéressant sur le quotidien des agents secrets qui œuvrent dans la clandestinité au service de la France. La force de ce témoignage réside dans le fait que l’auteur rende intelligible les rouages d’une structure mystérieuse, voire parfaitement opaque pour les non initiés. James Bond n’existe pas est une lecture facile et agréable que je conseille vivement.
ESSAI
Laurent
novembre 2, 2017Quel article complet je suis impressionné, et ca me motive pour mon propre blog que je viens tout juste de démarrer ! À bientôt 🤗👍
Books'nJoy
novembre 2, 2017Merci pour le compliment, je suis ravi que cet article vous plaise 🙂
Bonne chance à vous !