Gilles Marchand signe un roman magistral, fulgurant de cette rentrée littéraire, intitulé Un funambule sur le sable, et qui de façon parfaitement injuste passe inaperçu. Le funambule c’est Stradi, jeune homme souffrant d’un handicap ou plutôt d’une malformation surprenante puisqu’il naît avec un violon dans la tête. Le sable, c’est la vie jalonnée d’obstacles à surmonter, de défis à relever pour prétendre à une vie normale lorsque justement tous les critères censés attester de notre normalité se sont pas remplis. Ce roman incarne à lui seul toutes les raisons pour lesquelles je trouve la littérature merveilleuse. Alors que rien n’augure d’une telle rencontre, on ouvre un livre et là le miracle se produit, la magie opère instantanément, tout fonctionne. Une intimité immédiate se tisse entre le lecteur et le roman, les pages s’enchaînent avec une fluidité désarmante, les mots s’impriment sur la rétine. Peu de romans ont cette capacité à laisser une trace indélébile une fois refermés accompagnée d’un sentiment de nostalgie. Un funambule sur le sable est de ceux-là, il est d’une beauté inouïe. L’auteur aborde le sujet délicat de la différence en évitant tous les écueils de la rhétorique misérabiliste, dans une langue dépouillée dénuée de pathos et pourtant qui touche en plein coeur. On tourne les pages le sourire aux lèvres et la larme à l’oeil. Le procédé métaphorique s’avère d’une efficacité redoutable. Gilles Marchand s’en sert pour contrebalancer la gravité du sujet traité tout en distillant de l’humour au fil des pages. Puisque si ce roman est extrêmement touchant, il n’en est pas moins désopilant. Et c’est ce savant mélange qui confère à cet ouvrage sa singularité.
Le sujet du handicap et de la marginalisation traité avec finesse ainsi que le caractère dysfonctionnel de nos sociétés contemporaines
Stradi c’est un surnom, un diminutif de Stradivarius, que ses camarades de classe lui ont donné. Puisque que quitte à être différent autant que cette différence se révèle utile et devienne un outil de distinction. Comme souvent la science est inapte à expliquer un tel phénomène, les médecins restent pantois, naître avec un violon dans la tête ce n’est pas banal. Si cette malformation n’est pas visible à l’oeil nu, donc non excluante à première vue, le violon rythme la vie de Stradi. Sa mélodie ponctue les états d’âme du jeune homme, lui refusant toute possibilité d’être assimilé à quelqu’un de normal. Gilles Marchand retrace les étapes de la vie de Stradi, ces événements qui ponctuent la vie de tout individu « normal » – l’école, les amis, les histoires d’amour… – mais qui peuvent revêtir un caractère délicat pour une personne qui ne rentre pas dans les cases prévues par la société. Gilles Marchand développe toute une réflexion sur nos sociétés contemporaines inaptes à proposer une autre alternative à ceux qui involontairement n’ont pas les moyens d’y trouver une place. C’est un double combat que Stradi va mener toute sa vie, une lutte acharnée qui lui demandera deux fois plus d’efforts à fournir que pour une personne normale. D’une part, Stradi devra prouver sa normalité en occultant sa difformité, en taisant son violon donc en se faisant violence. D’autre part, il devra compenser son handicap, le violon ne lui laissant pas une seconde de répit, sa concentration s’en trouve altérée. Pour un résultat équivalent, la charge de travail est beaucoup plus conséquente que pour un élève ordinaire. Au delà des répercussions personnelles et scolaires, surviennent les conséquences sociales de l’infirmité. Dès l’école, les élèves l’observent comme une bête curieuse, il n’est pas convié aux anniversaires, il se retrouve exclu de ce qui ponctue la vie d’un enfant. Cette marginalisation, exclusion s’intensifie avec l’âge. Lorsqu’il occupera une place de marin sur un chalutier, la découverte de son secret l’obligera à démissionner. Quelle solution proposer à une personne qui n’a aucune prise sur son infirmité ?
J’y avais bien réfléchi, ce n’était pas le monde qui n’était pas fait pour moi, mais la société, ce qui était totalement différent […] La société dans son ensemble n’attendait qu’une seule chose de moi : que je sois comme tout le monde. Depuis des années, je me battais pour m’adapter à cette société qui m’avait toléré. Mais cette société faite par des hommes et des femmes n’était pas quelque chose de naturel […] La société avait établi tout un tas de règles mais n’avait rien prévu pour les gens qui n’étaient pas capables de les suivre pour des raisons indépendantes de leur volonté. Elle les acceptait mais ne leur donnait pas une réelle chance à part celle de rester bien sagement assis sans trop déranger et surtout, surtout, sans oublier de lui dire merci.
La découverte d’un auteur exceptionnel qui maîtrise de bout en bout sa narration
Gilles Marchand avec Un funambule sur le sable relève le défi haut la main de traiter, sans agressivité ni complainte, sur un ton juste, un sujet épineux. Le danger aurait été de glisser dans un discours moralisateur et accusateur sur un ton acrimonieux ou à contrario d’abuser de procédés visant à émouvoir le lecteur. Véritable page turner, l’histoire qui peut paraître déconcertante au début, s’avère d’une efficacité redoutable. La douceur de l’instrument choisi atténue la violence du handicap. La poésie imprègne chaque situation. La folie dans laquelle sombre peu à peu le père de Stradi est décrite de manière admirable. Son ami Max, lui aussi victime d’une malformation le condamnant à boiter toute sa vie, est un passionné de musique et choisit les métiers qu’il souhaite exercer en fonction des paroles des chansons qu’il fredonne. Il deviendra tour à tour fleuriste, boucher, poinçonneur… Si l’apparente candeur qui berce l’ouvrage cache une analyse fine des défaillances de nos sociétés contemporaines, celle-ci est habilement tournée et reste en filigrane, elle ne prend jamais le pas sur la narration. Un funambule sur le sable est également un ouvrage désopilant. L’humour a une place centrale dans le roman. Un des passages qui m’a fait hurlé de rire est celui où Stradi sur le point de devenir père se pose la question de l’hérédité, de la possible transmission à sa descendance de son infirmité. Sous couvert d’un ton humoristique, l’auteur aborde un débat sociétal et médical. Gilles Marchand nous offre un morceau d’anthologie :
Pire, et si Lélie n’accouchait pas d’un enfant mais uniquement d’un violon ? Nous aurions l’air malin à le présenter à nos amis, bien installé dans sa couveuse. Un tout petit violon qui deviendrait un alto puis, à force d’être bien nourri, un violoncelle et enfin une contrebasse. En voilà une adolescence qui serait agréable pour tout le monde. Je l’imaginais déjà nous contredire à grands coups de pizzicati geignards « Vous ne pouvez pas me comprendre chui un alto, moi ». Et où pourrait-on le scolariser ? Au conservatoire ? « Bonjour, nous venons pour inscrire notre petit violon en classe de solfège et nous aimerions également qu’il pratique un instrument. »
Conclusion
Un funambule sur le sable est un livre que je vous conseille ardemment, il est l’un de mes gros coups de coeur de cette année avec Un fils parfait de Mathieu Menegaux, Chanson douce de Leïla Slimani et Ma reine de Jean-Baptiste Andrea. On retrouve, comme dans Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry ou encore dans le premier roman de Jean-Baptiste Andrea, ce regard innocent et pur de l’enfance qui a une force incroyable, celle de sublimer les expériences les plus douloureuses d’une vie.
>>> RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 (#RL2017)
POÉSIE
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