Longtemps j’avais souhaité sa mort, mais dès l’instant où je compris qu’il pouvait mourir rapidement, je me mis à l’espérer.
Ce n’est pas un hasard si l’écrivain norvégien inaugure son cycle autobiographique par la mort de son père. Après quelques errements, doutes sur sa légitimité et ses qualités d’écrivain, Karl Ove Knausgaard s’est lancé il y a quelques années dans une entreprise romanesque ambitieuse. Une hexalogie : 6 tomes disponibles au format poche chez Folio, 4 736 pages d’émotions à fleur de peau et de règlements de compte au couteau – une encoche après l’autre, où le geste est clair : tuer le père par les mots. « J’avais écrit le livre pour papa. Sans le savoir. C’était à lui que j’avais écrit. Je posai le manuscrit et m’approchai de la fenêtre. Était-il si important pour moi ? Oh oui. Je voulais qu’il me voie. » De grandes plages d’écriture fluide, distendue, à l’image de la mémoire lacunaire racontant des épisodes banals du quotidien, jouxtent des épisodes chargés en intensité dramatiques, entrelacés de réflexions sur le temps, la création, la paternité, les mimétismes comportementaux que seule la promiscuité de la cellule familiale favorise. À croire que l’auteur ayant trouvé son sujet, a écrit au fil de la plume. Dans cette somme colossale affublée d’un titre plus que douteux – Min Kamp : « Mon combat » référence directe à « Mein Kampf » dont le lien de corrélation n’est pas révélé dans ce premier opus – l’écrivain norvégien dit tout. N’occulte rien des petits détails de sa vie. Quitte à égratigner au passage sa famille. Rien de grandiloquent, le style est à l’économie mais les images défilent. Il y a quelque chose de l’avidité et de l’urgence chez l’auteur. Humilié par un père tyrannique, rejeté, cherchant son approbation là où ce dernier incapable d’un geste tendre se plaisait à souligner chacun de ses manquements, comme ces « rrr » que son fils peinait à articuler. « J’avais aussi voulu montrer que j’étais mieux que lui. Que j’étais plus grand que lui. Ou avais-je simplement voulu qu’il soit fier de moi ? Qu’il m’accorde sa reconnaissance ? » Cette sensibilité exacerbée longtemps assimilée à de la fragilité, Karl Ove Knausgaard l’expose, sublime ses angoisses en les écrivant, les fixe pour tenter de comprendre. Comment sort-on de l’ombre paternelle ? Peut-on se défaire de l’emprise des parents ? « Pour rien au monde je ne voulais faire quoi que ce fût pour lui, être poussé à quoi que ce fût par lui, de positif ou de négatif. » Quelle est l’incidence du temps sur le processus de détachement ? Le risque de reproduire les échecs avec ses enfants existe-t-il réellement ou relève-t-il d’une construction psychologique liée aux souvenirs des jeunes années, quand vulnérable l’enfant est suffisamment modulable pour adopter la forme qu’on souhaite lui donner ? Introduction à une méditation personnelle superbe sur le poids des souvenirs, les mécanismes du refoulement. La mort d’un père jette les bases d’un travail psychanalytique titanesque, que son père mort juste avant que le manuscrit ne soit publié ne lira jamais. Un texte intimiste fort qui dépasse largement son sujet pour toucher au cœur et à l’universel.
Mon appréciation : 4,5/5
Date de parution : 2012. Grand format aux Éditions Denoël, poche chez Folio, traduit de l’anglais par Marie-Pierre Fiquet, 544 pages.
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