« Cette vie qui se tricotait presque malgré eux, jour après jour, dans ce trou perdu qu’ils avaient tous voulu quitter, une existence semblable à celle de leurs pères, une malédiction lente. » Dans une vallée paumée, au cœur d’une région sinistrée de l’Est de la France, Anthony, Hacine et Steph se délestent des derniers oripeaux de l’enfance pour entrer de plein pied dans la frénésie de l’adolescence. Les sens en éveil et l’esprit échauffé. L’envie d’en découdre aussi. Loin des ambitions limitées et des vies étriquées des parents : prolos, alcolos, shootés au xanax, immigrés faussement intégrés, englués dans un temps figé, ponctué par des plaisirs conjoncturels, masquant un malheur structurel… Entre désir d’émancipation et résignation, Nicolas Mathieu embrasse dans une fresque sociale se déployant sur quatre étés – 1992, 1994, 1996, 1998 – les aspirations de trois adolescents. Âge charnière où tout semble possible et rien n’est encore acté. Où l’ivresse de la liberté s’éprouve dans un premier baiser donné dans une usine désaffectée ou sur le dos d’une moto volée lancée à pleine vitesse sur une départementale. Leurs enfants après eux est une histoire de violence sociale et de désirs refoulés, de premiers émois, de premières fois, de corps maladroits qui se cherchent, de trajectoires fauchées avant d’avoir pu démarrer, de la nostalgie d’une jeunesse perdue, et de choix consentis malgré soi. L’écriture à l’os, hyper réaliste, faussement négligée, mais magnifiquement travaillée, saisit l’énergie vibrante de ces vies de la périphérie qui se déploient sans éclat, dans l’anonymat. Les mécanismes du déterminisme social aussi. Avec une acuité folle, Nicolas Mathieu nous propulse dans les années lycées, celles des fêtes déchaînées, des baisers mouillés et des corps brouillons électrisés, de la vodka bue au goulot et des coups qui partent pour un mot de trop. L’auteur goncourisé est définitivement le romancier des illusions perdues et du passage du temps. De la vie tout simplement, qu’il restitue avec un talent éblouissant. Avec cette question qui sous-tend le roman : que reste-t-il de nos plus belles années ?
Mon évaluation : 4,5/5
Date de parution : 2018. Grand Format aux Éditions Actes Sud, poche dans la collection Babel, 560 pages.
APPRENTISSAGEPRIX LITTÉRAIRES
Jérôme
mars 31, 2022Ce roman a été aussi un coup de cœur. En plus de me retrouver, j’ai grandi aussi en province dans une région qui a connu la désindustrialisation u début des années 2000 (un peu plus tard que la région de Nicolas Mathieu) et ado dans les années 90, j’ai aimé la musicalité des phrases.
Il y a une rythmique dans l’enchaînement des mots, des phrases, des paragraphes. C’est original.
Books'nJoy
novembre 17, 2022Avoir une expérience personnelle proche de ce qu’un romancier décrit apporte une résonance particulière à une lecture. Donc je comprends parfaitement votre ressenti, mais si de mon côté cela a plutôt été l’inverse 😉 Le roman de Nicolas Mathieu a d’autant plus été un coup de cœur que je ne m’attendais absolument pas à être touchée par le sujet de la désindustrialisation dans cette région de France. Les personnages très incarnés, les scènes rendues avec un réalisme et une écriture impeccables, ont participé à m’immerger dans le récit. Je vous rejoins également sur la musicalité. Celle-ci même qui m’a autant fait apprécier Connemara d’ailleurs. L’avez-vous lu ?