Ce n’est pas parmi les Arabes de Gaza, mais en notre propre sein que nous devons chercher la source du sang de Roi. Comment avons-nous pu fermer les yeux et refuser de regarder en face notre sort, refuser de voir, dans toute sa brutalité, la destinée de notre génération ? Avons-nous oublié que ce groupe de jeunes gens installés à Nahal Oz traîne les lourdes portes de Gaza sur ses épaules ? Par-delà le sillon de la frontière grandissent un torrent de haine, et une soif de revanche, qui n’attendent que le jour où la sérénité obscurcira notre chemin. Tel est le sort de notre génération.
Le 7 octobre 2023, 3 000 assaillants du Hamas ont pris d’assaut la frontière entre Israël et la bande de Gaza, dont le kibboutz limitrophe Nahal Oz, infiltré par des centaines de terroristes palestiniens. Comment le massacre sans précédent perpétré par le Hamas sur le sol israélien a-t-il pu arriver ? De quoi la haine se nourrit-elle ? Pourquoi l’armée a mis tant d’heures à secourir les habitants et Tsahal fermé les yeux sur les alertes répétées concernant des entraînements intensifs du groupe terroriste en vue d’une attaque massive ? Qu’est-ce que cet échec des services de sécurité israéliens trahit d’une société divisée politiquement ? Amir Tibon, kibboutznik et survivant du 7 octobre 2023, revient sur cette journée noire : les heures d’attente atroces passées dans une pièce sécurisée avec son épouse et ses deux petites filles dans une communauté civile fondée par des sionistes idéalistes dans les années 50. En entrelaçant le récit de sa survie, avec l’histoire plus vaste du conflit israélo-palestinien, le journaliste au quotidien Haaretz, dont la famille a survécu à la Shoah et qui se décrit lui-même comme Juif israélien libéral de gauche, livre un témoignage factuel, déchirant, dont le choix du titre est éclairant. Puisque faisant directement référence au discours prononcé par Moshe Dayan en 1956, alors que Roi Rotberg le chef de la sécurité de Nahal Oz avait été traîné de son cheval, seul, par des hommes armés palestiniens dans un champ de blé voisin, puis tué et mutilé. L’homme politique israélien alertait déjà du danger de laisser croître le sentiment de haine et de frustration de l’autre côté de la frontière, ainsi que des conséquences dévastatrices des traumatismes au sein des deux camps. La dimension prophétique de son discours, controversé à l’époque, résonne d’autant plus douloureusement aujourd’hui. Le soir du 7 octobre, la communauté de 400 habitants s’apprêtait à fêter les 70 ans de la création – par d’ardents partisans de la paix – du kibboutz. Laps de temps pendant lequel il n’a cessé d’être bombardé, devenant le thermomètre des tensions dans la région. Étant situé à moins d’1 km de Gaza, le kibboutz Nahal Oz ne bénéficie pas de l’incroyable protection qu’offre le dôme de fer israélien. Lors d’un tir de roquette, la population ne dispose que de 7 secondes pour se mettre à l’abri. S’y installer revêtait donc une forte dimension idéologique et de la plus basique approche du sionisme, soit : « assurer l’existence d’Israël en tant qu’État juif et démocratique ». Du rêve utopique au massacre des kibboutzniks, jusqu’à la guerre en cours avec le Hamas et le Hezbollah au Sud-Liban, en passant par la Nakba, Amir Tibon dessine la chronologie des événements qui ont conduit à l’embrasement du Moyen-Orient. Comment l’enclave côtière s’est retrouvée au fil des années entre les feux croisés d’intérêts plus importants, instrumentalisé par l’Iran et sous perfusion du Qatar, dont les financements ont été approuvés par le gouvernement de Netanyahou et sa coalition d’extrême-droite comme un moyen de s’acheter la paix à court terme et à moindre coût. Comment un monstre s’est créé et la politique israélienne radicalisée. Outre la portée émotionnelle terrible d’un tel document, sa valeur réside dans son approche documentaire et historique, faisant état d’un échec diplomatique à tous les niveaux et de l’absence de leaders ayant les épaules suffisamment solides pour mener à bien le processus de paix. Qui un an après, semble définitivement à l’arrêt.
Appréciation : 4/5
Date de parution : 2024. Grand format aux Éditions Christian Bourgois, traduit de l’anglais par Colin Reingewirtz, 480 pages.
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