Portrait grinçant de l’aristocratie versaillaise, Les belles ambitieuses est un roman délicieux. Une petite friandise, qui passé les premiers instants révèle un parfum acidulé qui vous pique le nez. Sous des airs faussement légers, Stéphane Hoffmann se plaît à épingler tout ce que la bonne société compte d’opportunistes et d’ambitieux. Tout droit sorti du sérail, Amblard Blamont-Chauvry fait figure d’exception puisqu’il n’entend pas suivre la route qui lui a été tracée depuis qu’il est né. Il a beau être polytechnicien et énarque, sa vie il la conçoit autrement qu’à se tenir le doigt en l’air en espérant sentir le vent tourné en vue d’être bien placé sur l’échiquier pour ne surtout pas manquer une belle opportunité. À tous ces agités prêts à tout pour se hisser au sommet de l’État, il oppose une douce léthargie. La perspective de profiter des avantages que lui octroie sa naissance semble bien plus alléchante pour cet hédoniste de nature qui se dédie à une vie de plaisirs et d’oisiveté. Et pourtant, ironie du sort, il se retrouve affublé, cinq mois seulement après l’avoir rencontrée, d’une épouse dont les dents rayent le parquet. De ce couple mal assorti, Stéphane Hoffmann tire une satire à peine dissimulée de notre société. Égratignant au passage l’élitisme poussiéreux à la française. L’auteur se délecte à observer la stérilité déconcertante des diners mondains, où les tirades enflammées de ceux qui les meublent ne servent que les intérêts particuliers de ceux qui les prononcent. Au ballet des affamés, notre anti-héros se contente d’assister en qualité d’invité, amusé de constater que ses anciens camarades dépensent une énergie folle là où lui se contente de se laisser porter. Amblard a choisi son camp. Quitte pour cela à être persona non grata. Stéphane Hoffmann par le biais de cet anti-héros pose la question du bonheur. Habitué à déplacer le cursus de ses exigences, l’homme le place constamment hors de portée. Ne serait-il pas plus judicieux de se libérer de cette condition d’être éternellement insatisfait ?
Un hédonisme assumé, comme pied de nez à l’ambition de ceux incapables de saisir le bonheur là où il est
Lire Les belles ambitieuses revient à se laisser envelopper par le charme suranné d’un milieu social particulier. Celui des illustres familles versaillaises, dont les patronymes alambiqués semblent tout droit sortis du bottin mondain. Amblard Blamont-Chauvry n’a que vingt-cinq ans mais comprend vite que son temps est compté, et que pour assurer la lignée il lui faut trouver une épouse dans les plus brefs délais. Avec une ironie mordante, Stéphane Hoffmann imagine l’union de deux êtres parfaitement désaccordés. Alors qu’Amblard se plaît dans la paresse et la mollesse, son épouse cravache pour se faire un nom. Ambitionnant de rejoindre le gouvernement. Et pour cela, pas de petites concessions. Passe-droits, ententes et hypocrisie rythment sa vie. Tout ce petit monde, composé de la plupart de ses anciens amis, excelle à tirer les ficelles d’une démocratie fatiguée, illusoirement fondée sur un principe méritocratique. Chacun acceptant, au gré des changements de gouvernement, de nuancer ses positions. Oscillant ostensiblement de droite à gauche et de gauche à droite avec habileté. L’auteur dresse un portrait peu glorieux de notre élite politique. Comédie pathétique qui prêterait à sourire si elle n’était pas si dramatique. Puisque si tout est faux, tout sonne vrai. Stéphane Hoffmann alterne en permanence entre un ton désinvolte et une plume acérée. Le travail, longtemps perçu comme une source d’aliénation pour les classes sociales les plus basses, touche le haut du panier. Les hauts fonctionnaires sont pieds et poings liés à la dynamique de leur carrière. Leur nom ne suffit plus à assurer leur légitimité. Il leur faut sans cesse exceller, faire leurs preuves, être le premier, au risque d’être écarté du cercle des initiés. Rien de pire que d’être mis sur le banc de touche. Comme d’Amblard, méprisé pour son refus de se plier aux codes tacites du milieu dans lequel il a été élevé. Finalement, las de les voir pérorer, s’invectiver et débiter des stupidités qui leur vaudraient de voir leur nez s’allonger à chaque mensonge proféré, on en vient à envier la douce léthargie de d’Amblard. Vivre retiré de la société n’est pas une si mauvaise idée.
Conclusion
J’admire le style de Stéphane Hoffmann, qui manie avec doigté l’art de critiquer avec subtilité. Les belles ambitieuses est une lecture qui se veut à la fois gourmande, intelligente, mais également cinglante. Tout le plaisir réside dans cette alternance délicatement orchestrée. C’est une très jolie découverte de cette rentrée littéraire. Je recommande ! 😉
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