Aliénor d’Aquitaine semble exercer une étrange fascination sur Clara Dupont-Monod, qui lui a déjà consacré son précédent roman. L’auteure a su saisir la dimension romanesque d’un destin de femme hors du commun. Reine insoumise et féministe avant l’heure, son règne fut marqué par la transgression de tous les codes de la société médiévale, sur laquelle elle exerça une influence considérable. Elle fut deux fois reine, de France et d’Angleterre, divorça de Louis VII pour convoler deux mois plus tard avec le futur roi d’Angleterre. De dix ans son cadet. Durant ce court laps de temps, elle échappa à deux tentatives d’enlèvement. Puisque à la tête d’un territoire plus vaste que le royaume de France, elle ne manquait pas d’attiser toutes les convoitises. La révolte raconte à travers les yeux de son fils adoré, Richard Coeur de Lion, un épisode épique de son règne. Devenue reine d’Angleterre et mère de huit enfants en seulement treize ans, elle réalise que le contrat scellé le jour de son mariage est caduque. Le Plantagenêt a fait main basse sur l’Aquitaine. Elle, pour qui les mots ont valeur de promesse, a le sentiment d’avoir été trahie et humiliée. Dépossédée d’une terre qui lui revient, elle est piquée au vif. La colère gronde en elle. Le Plantagenêt commet l’erreur de négliger son orgueil blessé. Et pourtant il n’y a pas pire qu’une femme bafouée. Surtout quand celle-ci est dotée d’une poigne de fer. En coulisse, elle prépare sa vengeance. Elle ourdit un complot, exécuté par ses fils et dont elle est le cerveau, en bénéficiant du soutien de son ex-mari. Douce ironie. Le roman s’ouvre sur cette scène, Aliénor convoque ses fils et leur ordonne de renverser leur père. Fine tacticienne, elle maîtrise l’art de la guerre. Elle est un personnage idéal de roman, une femme de pouvoir pourvue d’un esprit guerrier qui a su s’imposer à une époque où les hommes dominaient. D’une liberté absolue, elle se soustrait à toute forme d’autorité. Bien qu’il lui manque le souffle épique des grands romans, La révolte n’en est pas moins passionnant.
Une figure féminine fascinante
Étant une grande adepte des romans historiques et des destins de femmes exceptionnels, je ne pouvais sur le papier qu’apprécier ce roman. Et cela a été le cas. Clara Dupont-Monod parvient à communiquer à son lecteur l’admiration qu’elle éprouve pour un personnage historique à l’aura magnétique. Elle maîtrise parfaitement son sujet, ponctuant le roman d’anecdotes savoureuses. Comme lorsqu’elle souligne l’incapacité d’Aliénor d’Aquitaine à exprimer ses sentiments. Peu encline à témoigner son affection par les mots, elle le fait par le biais de petits gestes tendres où se cristallise toute l’affection qu’une mère a pour ses enfants. Elle multiplie les attentions, fait venir des épices d’Orient pour soigner une toux récalcitrante ou glisse délicatement dans les cheveux de ses filles des rubans de Bagdad. En choisissant d’adopter le point de vue du fils sur sa mère, c’est une facette plus humaine qui nous est révélée. Le masque se fissure pour laisser entrevoir une femme constamment inquiète. Sur le qui-vive, prête à défendre ses intérêts. Sa méfiance à l’égard des hommes trouve racine dans ses déceptions. Lorsqu’elle épouse le Plantagenêt, ce dernier lui promet de respecter ce qui lui appartient. Or il la trahira afin d’assouvir son ambition. Clara Dupont-Monod nous rappelle que le poids des mots était fondamental à cette époque. La paix pouvant être entérinée sur la base d’un seul mot prononcé, un destin scellé sur une promesse effectuée. Le Moyen-Âge est une époque où les hommes respectaient la parole donnée. Alors quand son époux lui fait défaut, sa décision est irrévocable. Il doit payer. Il y a quelque chose de très beau dans le portrait réalisé par Clara Dupont-Monod qui consiste à insister sur le fait qu’Aliénor d’Aquitaine doit constamment prouver sa légitimité. Dissimuler ses faiblesses et se comporter comme un homme pour se faire respecter.
De l’historien ou du romancier, qui privilégier ?
Clara Dupont-Monod explique très clairement que le travail du romancier ne tend pas à se substituer à celui de l’historien. Leur terrain de jeu n’étant par nature pas les mêmes. L’un est au service de la vérité, tandis que l’autre s’octroie la liberté de combler les vides d’une histoire fragmentée. Invitée de l’émission littéraire La Grande Librairie, la romancière insiste sur le travail essentiel de l’historien. Puisque c’est lui qui fournit la matière première à l’auteur. Qui riche de ces enseignements, pourra s’aventurer là où l’historien s’est arrêté dans un souci de conformité avec la réalité. Son intervention durant l’émission sur ce sujet est très intéressante. Elle souligne justement la complémentarité des deux métiers. À voir en replay si vous l’avez manquée 😉
Quelques faiblesses dans le traitement du sujet…
Mon seul regret est que Clara Dupont-Monod n’ait pas laissé se déployer pleinement son sujet. Et pourtant ce n’est pas la matière qui manquait. Certains aspects de la vie d’Aliénor d’Aquitaine sont survolés alors qu’ils auraient mérité de s’y attarder. On sent que l’auteure a privilégié l’efficacité. Les phrases sont courtes, ciselées, le temps employé est le présent et non pas le passé, que j’aurais trouvé plus approprié. La seconde partie consacrée à Richard Cœur de Lion m’a semblé plus faible que la première. La succession des scènes de guerre étant un brin lapidaire. Plein de petits détails qui mis bout à bout ne font pas de cette lecture un coup de cœur. Dommage…
Conclusion
Si vous êtes friands de romans historiques, de destins de femmes menés tambour battant et de sagas familiales romanesques, alors je mets ma main à couper que La révolte vous plaira. La vie d’Aliénor d’Aquitaine est une véritable épopée. J’ai pris du plaisir à m’y plonger et je trouve la manière qu’à l’auteure d’imbriquer fiction et faits avérés très réussie. Dans le contexte de #metoo, revenir sur une figure féministe si avant-gardiste prête à méditer 😉
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