Imaginez, vous ouvrez les yeux et réalisez que vous ne voyez plus. Que le monde, dans lequel vous évoluez, est baigné d’une lumière d’un blanc laiteux, opaque, ne laissant rien filtrer. Tout a fusionné, les reliefs ont disparu, se sont confondus en une étendue monochrome. La cécité, telle une plaie, s’abat sur les habitants, d’un coup, les propulsant dans un monde où seuls l’ouïe, le toucher et l’odorat servent de boussole. Être atteint d’une déficience visuelle à l’échelle individuelle relève du handicap, mais lorsque cette cécité se transforme en épidémie et s’étend à l’échelle du pays, c’est une calamité. Les institutions établies périclitent sous l’effet du « mal blanc ». C’est le chaos. Une anarchie pestilentielle, où chacun œuvre pour sa survie. Une société où l’humain a déserté pour renouer avec ses instincts primaires. Parmi les premiers contaminés, une femme et son mari ophtalmologue ont été placés en quarantaine dans un asile désaffecté. Par miracle, la femme du médecin a conservé la vue. Refusant d’abandonner son mari, elle feint d’être aveugle. Dès lors, elle s’évertue à maintenir un semblant d’organisation pour préserver les vestiges d’une humanité qui tend à s’effacer et pour ne pas sombrer dans la bestialité. José Saramago imagine un scénario terrifiant, le monde tel qu’il serait si l’humain était privé de la vue. L’aveuglement est une dystopie glaçante et terrifiante, mais pas seulement. En filigrane, José Saramago interroge notre capacité à observer. Non pas à ouvrir les yeux et effleurer en surface ce qui nous entoure, mais à regarder véritablement. Pour renouer avec notre humanité, peut-être faut-il en passer par là. Se détacher de l’aspect matériel, apprendre à mettre de côté le superficiel pour se concentrer sur l’essentiel. Déceler la nature profonde des êtres qui nous entourent et les estimer à l’aune de leurs qualités intrinsèques. Écrit en 1995, trois ans avant que l’auteur lusophone ne reçoive le prix Nobel, L’Aveuglement est un appel à faire preuve de lucidité et n’a jamais été autant d’actualité.
LITTÉRATURE PORTUGAISE
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