Rares sont les auteurs qui parviennent à rendre avec justesse tout ce que le sentiment amoureux peut avoir de complexe. La difficulté résidant dans ce qu’il a de fuyant, d’implacable et d’inexplicable. Dès lors, comment situer le basculement. Ce moment hors du temps, impossible à fixer, où l’autre cesse d’être un étranger et nous est définitivement lié. Sylvia Rozelier relève le défi avec talent et nous plonge dans une passion violente, un amour destructeur. Sous la forme d’une confession, elle retrace le fil d’une histoire amoureuse, des instants de grâce, aux premières déceptions, jusqu’à la lente désillusion. Cet instant terrible lorsque l’amour a déserté et que l’on prend conscience de sa crédulité. Face à face violent avec la réalité, non plus idéalisée mais telle qu’elle est. L’autre cessant d’être cet être que l’on s’était figuré pour apparaître dans toute sa médiocrité. Et pourtant Douce a conscience d’être manipulée, de jouer le rôle qui lui a été attribué. D’être comme ces pantins désarticulés dénués de volonté. Si toute seule elle peut l’accepter, elle soustrait aux autres la possibilité de la juger. Elle s’exclut petit à petit, fait le vide autour d’elle pour ne plus avoir à supporter les remarques insistantes des proches qui finissent par s’alarmer. Se soustraire à leur désapprobation. L’étau se resserre, elle est prisonnière. Sous l’emprise d’un pervers. Il devient envahissant occupant l’espace rendu vacant tout en lui rappelant que c’est qui mène le jeu. Disparaissant régulièrement, se désistant. L’absence nourrie le manque. Douce perd tout discernement. La confiance se délite lentement. Elle est obstinée, refuse de plier, ne comprenant pas qu’il n’y a rien à gagner juste sa peau à sauver. Elle se trouve des excuses. Réclamant des explications, qu’on lui fournisse des preuves de ces élucubrations, un soupçon de vérité quand en réalité elle ne demande qu’à être bernée, réconfortée. La loi de l’attraction répulsion rythme leur relation. Il faudra que l’un déclare forfait, pour que faute de joueurs, le rideau soit tiré.
Passion amoureuse
N’étant pas particulièrement férue de romans ayant pour sujet la passion amoureuse, puisque souvent assez mal traité, j’avais quelques appréhensions avant de lire celui de Sylvia Rozelier. Celles-ci ont été balayées assez rapidement. L’écriture y étant pour beaucoup puisque atténuant la dureté du sujet. L’auteure évite tous les clichés et trouve le ton juste. Sa façon de décrire la psyché de son personnage est telle que l’empathie prend le dessus sur l’agacement qu’à pu susciter en moi l’incapacité de Douce à s’en tenir à ses décisions. Car tout le long, l’héroïne tergiverse, se pose mille questions. Fait un pas en avant pour deux bons en arrière. Mais finalement n’est-ce pas une situation courante dans laquelle se trouve Douce ? Celle d’une femme amoureuse, tellement éprise qu’elle en perd toute lucidité. Qu’elle en tombe dans un état d’hébétement. Devient incapable de se projeter sans l’être aimé. Toute femme a un jour fait l’expérience d’une relation similaire ou en aura été le témoin. Alors elle sait que dans ce cas-là, seul le temps permet de panser les plaies. Qu’il ne sert à rien de conseiller ou de s’emporter face à la passivité de la personne en face. Il faut attendre le déclic, ce moment fatidique où le voile se déchire et la réalité apparaît. À la lecture de Douce on est nous-mêmes, en tant que lecteur, tiraillé par des émotions contradictoires. La compréhension se mue en exaspération voire en colère lorsqu’on assiste à la lente descente aux enfers de la narratrice qui s’enlise dans une relation dénuée d’intérêt et vouée à l’échec. Sylvia Rozelier parvient à nous toucher. À nous faire réagir et à susciter notre intérêt pour le combat que mène Douce pour ne pas sombrer. Son amant lui faisant vivre au quotidien un calvaire. Jouant constamment avec ses sentiments. À croire qu’il est plus présent quand il est absent. Parvenant insidieusement à occuper chacune de ses pensées. La contraignant malgré elle à l’immobilité, de peur de tout faire vaciller. Équilibre précaire d’une relation incapable de s’épanouir normalement. Oscillant entre effusions et accusations. Sylvia Rozelier décortique le mécanisme psychologique à l’œuvre qui empêche son héroïne de se sauver. Elle nous donne des clés de compréhension sans pour autant placer Douce dans une position victimaire. Victime et bourreau, elle est la principale à blâmer, agissant contre ses intérêts. Et c’est là qu’apparaît toute la complexité de l’esprit humain. Savoir une issue condamner et ne pas pour autant cesser d’espérer.
Conclusion
À l’image du titre, l’ écriture de Sylvia Rozelier est à la fois tendre et délicate. Tout est parfaitement dosé. Douce fait partie des beaux romans publiés en cette rentrée littéraire. Je vous le conseille vivement. En particulier si vous aimez les histoires d’amour compliquées, les êtres torturées en prise avec leurs émotions. Le tout porté par un style net et efficace sans effets de style inutiles.
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