Serge Joncour, comme le titre l’indique, signe un roman à cheval sur deux époques où deux mondes s’entrechoquent. La nature hybride du chien-loup agissant comme un trait d’union entre le monde sauvage et la civilisation. En 2017, un couple de parisiens – Lise et Franck – décide de s’offrir une retraite en pleine nature dans un gîte isolé. Totalement déconnectés, sans moyens de communiquer, ils font pour la première fois l’expérience d’une solitude totale. Si l’impression de liberté succède à l’angoisse initiale, une intuition concernant cette maison ne les quitte pas. Un faisceau d’indices laisse suggérer qu’elle est détentrice d’un secret. La rencontre avec un chien-loup, mi sauvage, mi domestiqué, se laissant facilement apprivoisé, conforte leur ressenti. Un drame s’est joué ici. Plus de cent auparavant, alors que la guerre éclate, un dompteur de lions d’origine allemande refuse de s’enrôler. Faisant le choix de protéger ses fauves de la folie des hommes. Il s’installe dans cette maison abandonnée qui surplombe le village d’Orcières. Très vite, sa présence cristallise toutes les tensions, réveillant les peurs irrationnelles nourries de fantasmes et de superstitions chez les habitants. Les hommes renouent avec leurs instincts primaires que la civilisation avait vainement tenté d’étouffer sous le vernis en réalité écaillé des civilités. Notre époque ne fait pas exception. Sous la plume délicate de Serge Joncour l’homme est resté un animal sauvage prêt à renouer avec ses instincts de carnassiers dès qu’il flaire le danger. Le cerveau reptilien prenant le pas sur nos dehors civilisés. En créant un écosystème préservé, quasi aseptisé, l’homme pensait avoir définitivement coupé avec sa nature de prédateur. Son désir de dominer. Pourtant si les acteurs ne sont plus les mêmes, les règles restent inchangées. Amazon et Netflix traquent dorénavant le gros gibier. Serge Joncour s’applique à nous prouver que la chaine alimentaire en vigueur dans le règne animal l’est tout autant dans la sphère humaine. Un roman juste et envoûtant.
L’homme, un animal sauvage
Lorsque Lise tombe sur l’annonce d’un gîte à louer perdu en pleine nature et difficile d’accès, elle est tout de suite conquise. Végétarienne, remise depuis peu d’un cancer, elle est persuadée que de renouer avec un mode de vie plus sain aux antipodes du citadin est le meilleur moyen de se reconnecter. Quant à lui, Franck semble totalement dépassé par cette idée. Il n’envisage pas étant producteur de films de disparaître des réseaux aussi longtemps. En réalité le vrai danger ce sont ses associés. Deux jeunes loups avec lesquels il vient de signer et qui tentent de lui soustraire son catalogue de films, soit le travail de toute une vie. Les forces lui manquent, il se laisse dépasser espérant les essouffler. Pourtant, il est évident que Liam et Trévis s’étant fait les dents dans l’industrie du jeu vidéo sont prêts à en découdre. Ils n’en démordent pas, s’associer avec des géants comme Amazon et Netflix est une aubaine à ne surtout pas laisser passer. Sous peine de se voir distancer. On assiste au choc des générations. Contre toute attente, ce retour à la nature va s’avérer salvateur pour Franck. Il prend en assurance, se reconnectant avec ses instincts de chasseur. L’idée de se voir délester d’une partie de son travail et mener par le bout du nez par deux petits cons tout juste sortis de l’université le révulse. Jusqu’à que l’idée affleure. Celle qui inversera les rôles. Redistribuera les cartes. Cette idée qu’avant il n’aurait jamais eu l’audace de formuler. À croire que la nature influe sur les tempéraments jusqu’à guider les comportements. Elle infuse les pensées et offre un regain de vitalité. Tout comme un siècle auparavant, ce lieu exerce une force d’attraction sur ses occupants. Serge Joncour ne bascule jamais dans le mystique mais le touche du doigt. En 1914, un terrible drame s’était produit venant affirmer la légende qui voulait que ce lieu soit maudit. Une terre aride où la nature hostile avait repris ses droits. Serge Joncour aime convoquer le beau, le faire émerger des situations les moins aptes à l’encourager. L’amour devenant un bien précieux à préserver. C’est dans ce contexte de guerre, dans ce climat hostile et vengeur, qu’il imagine une histoire d’amour hors du temps entre deux êtres tiraillés par la solitude. Avides de tendresse. Le bonheur sera de courte durée. L’homme ne peut s’empêcher de convoiter ce qu’on se refuse à lui donner. La jalousie est sans nul doute le pire des péchés. Rares sont les écrivains qui savent écrire sans parodier l’amour, Serge Joncour dans Chien-Loup est de ceux-là. Pour ne rien gâcher, l’auteur a cette manie de porter un œil bienveillant sur ses personnages. Ce qui nous les rend d’autant plus sympathiques et attachants.
Conclusion
Serge Joncour fait partie des auteurs les plus attendus de cette rentrée littéraire. J’avais quelques appréhensions à lire ce roman, puisque son précédent Repose-toi sur moi – lauréat du Prix Interallié 2016 – ne m’avait pas vraiment convaincue. J’étais restée hermétique à l’histoire d’amour que je trouvais un peu faiblarde et à laquelle je n’avais pas cru. Ici, c’est tout l’inverse je me suis laissée emportée et ça a fonctionné. C’est un roman foisonnant, riche en interprétations. J’ai aimé qu’il ait imbriqué deux récits en un. Le regard qu’il porte sur notre société est très juste. Faire un parallèle entre le monde animal et le fonctionnement humain est une façon pertinente de mettre le doigt sur les dérives du monde dans lequel on vit. Pour moi, c’est une vraie réussite ! Je vous le conseille vivement 😉
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