« S+L, le goût du sel. » Association éphémère, duo précaire, passion amoureuse partie en fumée le jour où Lucas – vingt ans, étudiant engagé – tombe, roué de coups par des militants excités à l’idée de casser du « pédé ». Premier roman époustouflant de la rentrée de janvier, De sel et de fumée est un des plus beaux textes que j’ai lus ces dernières années ! L’incipit ravageur donne le ton. Annonciateur d’un roman fulgurant, d’une histoire d’amour tragique portée par une langue sèche, contenue, brute, parfaitement maîtrisée, incisive, creusant des sillons chargés d’émotions. Une lame de fond d’une puissance inouïe qui ravit, laisse exsangue, vidé, le lecteur assiégé. Dévasté par la perte de son amant, Samuel remonte le fil de leur relation. Lucas, hétérosexuel, le regard aguicheur et le charme dévastateur, provincial « monté » à Paris, transfuge de classe – statut qu’il peine à assumer, rencontre Samuel, juif, bisexuel, bourgeois de gauche, né au sein d’une famille aisée où les langues sont déliées et la sexualité un sujet librement évoqué. Lentement le désir sape les fondations de leur amitié, s’insinue dans leur intimité, obsédant, entêtant jusqu’à les faire flancher. Le choc est violent. Avant d’assumer, ils vont devoir s’apprivoiser. C’est un processus qui prend du temps. Un ballet maladroitement exécuté, oscillant entre un amour incandescent et une haine viscérale. Si les sentiments sont là, les différences de classe persistent et le combat de Lucas auprès des antifas maintient Samuel en retrait, exaspéré par le bandana rouge, les fumigènes, l’attirail général que Lucas revêt pour aller manifester. Samuel demeure étranger à la nécessité qui habite Lucas d’aller défendre des droits dont il a toujours bénéficié. Agathe Saint-Maur saisit avec acuité la fugacité des relations et retranscrit brillamment l’impermanence de nos existences. La rapidité avec laquelle l’autre peut nous échapper et l’amour s’évaporer, pour laisser place à l’effroi d’habiter un monde privé de l’être aimé. Une vie tronquée enveloppée d’un sentiment d’insécurité qui ne la quittera plus jamais. Chapeau bas !
Date de parution : 2021. Éditions Gallimard, 240 pages.
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