« Nul ne savait que la musique l’avait sauvé. Que, grâce à elle, il l’avait échappé belle. Diplôme de Cadbury ou pas, sans musique il n’était rien. Sans musique, il serait encore, et toujours, cet enfant vague, faible, aussi évanescent qu’une volute de fumée. » New York, années quarante. À six ans, Claude Rawlings vit avec sa mère dans un appartement en sous-sol, où, du soupirail, il observe le ballet des passants. Le rythme de leur pas dessinant les contours d’une mélodie dans son esprit. Intrigué par des partitions trouvées dans un piano désaccordé qu’il ne peut déchiffrer, Claude pousse la porte du magasin de musique Weisfeld. Accueilli par celui qui deviendra son mentor, Claude commence un apprentissage lent et exigeant. Ses prédispositions se révèlent rapidement. Les mains sur le clavier, il s’oublie, grandit en marge du monde entraîné par les plus grands. La musique sera son ticket d’entrée dans l’univers privilégié des artistes new-yorkais : écoles d’élite, entrée dans les grandes familles, professeurs émérites, concerts à Carnegie Hall… Des débuts fracassants rattrapés, pourtant, l’âge avançant, par un sentiment d’imposture lancinant. Le malaise, prenant racine dans ses origines familiales floues – une mère défaillante, un père inconnu, érige un mur sur lequel se heurte son inspiration. Lui, qui a « travaillé la musique toute sa vie, poussé par le besoin de pénétrer de plus en plus profondément ses mystères, soutenu par son aptitude à le faire ». Sa carrière à l’arrêt, frustré, Claude comprend que pour créer, déployer ses talents de compositeur, il doit s’émanciper de son statut de jeune musicien ultra doué et trouver sa vraie valeur. Transcender « la question de sa naissance », « la honte de ne pas savoir la vérité » et rendre hommage à ceux qui l’ont aidé. Brassant une galerie de personnages chaleureux et mystérieux, Frank Conroy nous embarque pour une traversée des apparences, de Brooklyn à la 5e Avenue, embrassant le destin exceptionnel d’un prodige de la musique. Corps et âme est un roman d’apprentissage bouleversant dans sa retranscription douloureuse de la fin de l’enfance et du temps de l’innocence.
Mon appréciation : 4,5/5
Date de parution : 2004. Poche aux Éditions Folio, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nadia Akrouf, 704 pages.
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