« Alors la fraternité trans s’est remise en route. La musique de nos talons montant les escaliers de l’hôpital, le tintement de nos bijoux dans les couloirs semblait capable, un instant, de réhabiliter le monde. » Femme transgenre, et ancienne prostituée, l’autrice argentine Camila Sosa Villada a puisé dans son histoire personnelle chargée pour camper l’héroïne des Vilaines. Roman court, mais poignant, relatant le quotidien d’un groupe de travailleuses sexuelles trans dans le Parc Sarmiento à Córdoba. L’héroïne – double de l’autrice, nous introduit au sein d’une communauté soudée virevoltant autour du personnage flamboyant de Tante Encarna. Une louve protectrice au cœur d’or, seins siliconés et corps remodelé à coups d’injections d’huile de moteur, une guerrière à la poigne de fer, recueillant les âmes trans orphelines dans sa maison rose bonbon. Ses filles putatives fardées qui, au cœur de la nuit, arpentent le pavé, plateformes en plastique taille 44 aux pieds. Jonglant entre humiliations et clients refusant de payer. Un quotidien plombant rehaussé par une solidarité à toute épreuve, procurant le sentiment vivifiant de faire partie intégrante d’une communauté. Avec la violence pour fil rouge, la colère pour moteur et l’amour comme vecteur de cohésion, Camila retrace le chemin tortueux de la transidentité nous plongeant dans la vie nocturne argentine et ses excès. Une femme oiseau au plumage argenté, un bébé tombé du ciel, des hommes sans-tête…tous ces êtres de misère émeuvent par leur extrême vulnérabilité. Leur fébrilité nerveuse. Vibrant sans être larmoyant, ce premier roman est un manifeste engagé brossant un portrait brut d’une communauté mise au ban de la société. Un coup de projecteur qui, malgré les éclats de rire, les tenues clinquantes, paillettes, débordements d’amour et rituels visant à maintenir l’illusion, révèle sous une lumière crue des abîmes de solitude et des enfances gâchées. Au fil des persécutions, les masques se craquellent, jusqu’à ce que l’écosystème artificiel, enveloppé de réalisme magique et piqué de touches poétiques, périclite en un dénouement décourageant.
Mon appréciation : 3/5
Grand prix de l'héroïne Madame Figaro
catégorie roman étranger
Date de parution : 2021. Grand format aux Éditions Métailié, poche aux Éditions Points, traduit de l’espagnol (Argentine) par Laura Alcoba, 216 pages.
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