Le soleil des Scorta est le troisième roman écrit par Laurent Gaudé. Cet ouvrage a été récompensé par le prix Goncourt en 2004. Roman solaire baigné de lumière, Le soleil des Scorta retrace le parcours chaotique d’une lignée maudite. Issus d’un viol commis par un malfrat à la fin du 19e siècle dans le sud de l’Italie, à Montepuccio, les Scorta portent dès lors le sceau de la honte et du déshonneur. Laurent Gaudé nous conte l’histoire de cette famille à travers plusieurs générations. C’est un roman magnifique qui aborde avec justesse la notion d’héritage et de transmission entre les membres d’une même famille. À travers les hommes de cette famille, on est témoin de l’oeuvre du temps sur les mentalités. Alors que les deux premières générations associent transmission et malédiction voire destruction, les autres générations s’acharnent à offrir un avenir plus radieux à leurs descendants. La famille est au centre du roman, ce qui lui donne cette profonde humanité. Dès les premières lignes, la plume de l’auteur envoûte le lecteur et le transporte dans le sud de l’Italie, dans ce petit village dardé par les rayons du soleil, à la jonction entre la mer Méditerranée et une terre aride et poussiéreuse. Il émane de la description de ce village une fatalité résignée. Chaque membre du clan devra faire preuve d’abnégation pour espérer conjurer le sort que leur aïeul a fait peser sur eux.
Résumé
L’origine de leur lignée condamne les Scorta à l’opprobre. À Montepuccio, leur petit village d’Italie du Sud, ils vivent pauvrement, et ne mourront pas riches. Mais ils ont fait voeu de se transmettre, de génération en génération, le peu que la vie leur laisserait en héritage. Et en dehors du modeste bureau de tabac familial, créé avec ce qu’ils appellent « l’argent de New York », leur richesse est aussi immatérielle qu’une expérience, un souvenir, une parcelle de sagesse, une étincelle de joie. Ou encore un secret. Comme celui que la vieille Carmela confie au curé de Montepuccio, par crainte que les mots ne viennent très vite à lui manquer.
Roman solaire, profondément humaniste, le livre de Laurent Gaudé met en scène, de 1870 à nos jours, l’existence de cette famille des Pouilles à laquelle chaque génération, chaque individualité, tente d’apporter, au gré de son propre destin, la fierté d’être un Scorta, et la révélation du bonheur.
Actes Sud
La rédemption d’une lignée maudite à travers plusieurs générations
Tout commence en 1875, sur une route sinueuse, une chaleur insoutenable sévit dans cette région de l’Italie du Sud. Un homme, prénommé Luciano Mascalzone, juché sur le dos d’un âne, avance péniblement vers le village de Montepuccio. Interdit de séjour, il connaît le prix à payer pour son effronterie. Brigand notoire, condamné à la prison, il a été banni du village bien des années auparavant. Pétri d’orgueil, il fait fi des menaces, rejoint la femme pour laquelle il pensait être revenu. Une fois la relation consommée, il repart sur son âne. Bientôt rattrapé et roué de coups, il réalise que la femme avec qui il a partagé une étreinte n’est pas celle qu’il pensait et meurt après que la vie lui a joué une ultime et cruelle farce. De cet événement, est issue la lignée des Scorta. Les descendants de cette relation grotesque recevront en héritage la démence du père. La folie destructrice coule dans leurs veines et semble se transmettre de générations en générations.
Ma mère m’a transmis le sang noir des Mascalzone. Je suis un Scorta. Qui brûle ce qu’il aime. […]
« Pour quoi sont fait les Scorta ?
– Pour la sueur », répondit Elia.
Se succéderont plusieurs générations de Scorta. Rocco Scorta Mascalzone incarnera la démesure, criminel notoire, il dépouillera les habitants de la région, pour la veille de sa mort choisir de ne rien laisser aux siens. La troisième génération de Scorta incarnée par Domenico, Giuseppe, Carmela et Rafaele – qui à défaut d’être frère de sang, choisir de le devenir. C’est cette génération qui s’efforce de réhabiliter le nom des Scorta, qui connaîtra le goût de l’effort. Laurent Gaudé nous offre des moments de pure grâce. Le banquet est un de ceux-là. À cette occasion toute la famille Scorta est réunie autour de mets préparés par Rafaele. Laurent Gaudé nous fait partager les rires, les joies, le bonheur de cette tribu. Une plénitude émane de ce repas de famille, où chacun goûte au plaisir de s’extraire d’une existence faite de labeur pour partager un moment hors du temps et qui restera gravé. La manière qu’a Laurent Gaudé de décrire la mort est extrêmement poétique. Il en fait un moment hors du temps, comme si chacun en avait l’intuition. Il représente très bien le décalage entre ce moment quasi mystique qu’est la mort pour une personne – surtout sa propre mort – et l’insignifiance de la disparition d’un être. Le non vide qu’il laisse derrière lui. Laurent Gaudé place des phrases magnifiques dans la bouche du descendant des Scorta qui s’adresse au curé don Salvatore :
Les générations se succèdent, don Salvatore. Et quel sens cela a-t-il au bout du compte ? Est-ce qu’à la fin, nous arrivons à quelque chose ? Regardez ma famille. Les Scorta. Chacun s’est battu à sa manière. Et chacun, à sa manière, a réussi à se surpasser. Pour arriver à quoi ? À moi ? Suis-je vraiment meilleur que ne le furent mes oncles ? Non. Alors à quoi ont servi leurs efforts ? À rien. Don Salvatore. À rien. C’est à pleurer de se dire cela.
Un roman solaire porté par une plume envoûtante, qui décrit avec justesse l’oeuvre du temps
Le soleil des Scorta, contrairement à d’autres romans primés ayant reçus le Goncourt, n’est pas une démonstration de force visant à permettre à Laurent Gaudé de faire étalage de son érudition. Le roman est porté par une plume puissante et envoûtante, qui donne au récit une dimension légendaire. Pour autant, il n’y a aucune lourdeur dans l’écriture. Au contraire, je trouve que la plume de Laurent Gaudé convient parfaitement à l’atmosphère asphyxiante qui se dégage du récit. On se laisse porter par ce doux mélange qui fonctionne parfaitement. La langue est riche. Laurent Gaudé excelle dans l’art de communiquer des émotions au lecteur, on sent le sol caillouteux sous nos pieds, le soleil qui tape sur les tempes, l’éblouissement dû aux rayons du soleil se réverbérant sur les maisons blanchies à la chaux dans les Pouilles en Italie. On sent les effluves d’huiles d’olive et le parfum des oliviers. On sort de ce roman ébloui et imprégné de senteurs du sud. Les paysages s’impriment sur nos rétines pour y rester longtemps après avoir tourné la dernière page du livre. Laurent Gaudé à travers la lignée des Scorta, décrit avec justesse l’attachement aux racines et au sol qui nous a vu naître. Le lien irrationnel qui unit un individu à un lieu qui incarne le passé. Les notions d’identité, d’appartenance à un clan, de solidarité, de transmission sont centrales. Laurent Gaudé fait du travail et non de l’argent, le moyen d’atteindre la liberté. En ruinant ses descendants, Rocco Mascalzone, leur a permis d’éprouver des sentiments purs comme la solidarité entre membres d’un même clan. En leur refusant son argent, il les a sauvés. Le soleil des Scorta, est le récit d’une construction familiale.
Conclusion
C’est un très un gros coup de coeur que Le soleil des Scorta. Laurent Gaudé a un réel talent de conteur. Il manie avec dextérité l’art de faire voyager son lecteur, de le plonger dans des décors solaires baignés de lumière. Je ne peux que vous le recommander ! L’écriture est magnifique, les Scorta sont attachants malgré cette lueur de folie qui ne quitte par leurs yeux. J’ai tendance à ne pas me retrouver dans les romans primés au Goncourt – à par quelques exceptions comme Chanson Douce signé Leïla Slimani ou Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre. Et là je partage l’avis du jury.
>>> Chronique du Prix Goncourt 2016, par ici !
>>> Chronique du Prix Goncourt 2017, par ici !
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