La salle de bal est le second roman de l’auteure anglaise Anna Hope. Un roman au style classique qui n’est pas sans rappeler les oeuvres de l’époque victorienne. L’intrigue imaginée par Anna Hope se déroule en Angleterre dans le comté du Yorkshire, à l’aube de la Première Guerre mondiale. Ella se retrouve enfermée dans l’asile d’aliénés de Sharston pour avoir fait voler en éclats une vitre de la filature dans laquelle elle travaillait. Passé la stupeur de se retrouver cloîtrée dans un institut psychiatrique entourée de fous, la jeune femme finit par y trouver ses marques. Elle se lie d’amitié avec une femme énigmatique et fait l’expérience du sentiment amoureux en la personne de John, un irlandais indocile. Le roman d’Anna Hope s’inscrit dans la lignée des classiques de la littérature victorienne, ainsi que des décors gothiques des romans de Daphné Du Maurier. Le lecteur est plongé dans un décor à la Emily Brontë, des landes à perte de vue, une végétation luxuriante, un climat capricieux. L’asile de Sharston domine par son immensité ce paysage typique de la campagne anglaise. Le vaste manoir contribue à renforcer le mystère qui plane sur ce lieu isolé, une angoisse diffuse imprègne la narration. Les pensionnaires évoluent sous la tutelle du docteur Fuller, mélomane et chef d’orchestre du centre psychiatrique. Sous son impulsion, la vie du centre est rythmée par l’organisation d’un bal chaque vendredi, seul moment où les hommes et les femmes sont autorisés à se côtoyer. Ce moment privilégié leur permet de s’extraire d’une réalité menaçante. En prise avec un contexte historique où la question de la préservation de la race humaine devient prégnante, où les idées eugénistes de purification du sang sont au coeur du débat politique britannique, Anna Hope nous offre un roman d’une beauté inouïe où la réalité, comme souvent, dépasse la fiction.
Un roman historique au style classique : la question de l’eugénisme
Anna Hope stipule à la fin de l’ouvrage que l’asile de Sherston a bel et bien existé sous le nom d’Asile de Menston. L’auteure n’a pas choisi au hasard d’y situer son intrigue, puisque son arrière-arrière-grand-père compta parmi les patients de ce centre au début de 20e siècle. La salle de bal reste une fiction, l’intrigue amoureuse ainsi que les différents protagonistes sont le fruit de l’imagination de l’auteure, néanmoins le cadre existe. Anna Hope s’empare d’un événement historique extrêmement controversé mais pourtant ignoré. Celui du projet de loi sur les faibles d’esprit, finalement ratifié en 1913 sous l’appellation « Loi sur la déficience mentale ». Ce projet s’inscrit dans la mouvance eugéniste qui constitua jusqu’au milieu du 20e siècle un des thèmes centraux du débat politique britannique. Le docteur Fuller dans le roman défend cette idéologie selon laquelle pour qu’une race supérieure d’êtres humains voit le jour, les individus présentant des dégénérescences soient écartés. Pour cela deux conceptions s’affrontent, ceux en faveur d’une stérilisation forcée visant à endiguer le flot des naissances et donc à éviter une transmission héréditaire des tares, et ceux à contrario qui jugent cette mesure excessive et se prononcent en faveur de la ségrégation. La salle de bal m’a permis, non sans stupeur, de découvrir que le ministre de l’Intérieur Churchill soutenait avec véhémence la nécessité d’une éradication des plus faibles. Il fut un ardent défenseur de la cause eugéniste et notamment de la stérilisation forcée. Rappelons que cette conception de purification de la race a servi à justifier des actes d’épuration ethnique tout au long du 20e siècle.
Des personnages complexes psychologiquement
Les portraits psychologiques des personnages de La salle de bal sont brillamment réussis. Anna Hope parvient à insuffler à ses personnages une profondeur psychologique véritable. Le docteur Fuller incarne à merveille cette tension permanente chez l’être humain qui s’explique par un conflit entre les instances freudiennes du Ça, du Moi et du Surmoi, se livrant une lutte acharnée. L’auteure joue sur l’ambiguïté de son personnage. Ce personnage ambivalent est au prise avec des pulsions qu’il tente à tout prix de refréner de peur d’adopter des comportements malsains jugés non conformes à son idéal ainsi qu’aux yeux de la société. Si la question de la sexualité du docteur Fuller n’est jamais abordée de manière explicite, elle n’en est pas moins au coeur du roman. La clé de compréhension de la personnalité du docteur réside dans cet aspect de sa personnalité. Puisque pour éviter de se compromettre, il se met à traquer le moindre comportement susceptible d’être immoral. Le caractère du docteur s’avère versatile, si dans les premiers temps il adopte une attitude progressiste envers les faibles d’esprit en proposant une alternative à la stérilisation, ses propres doutes le font vaciller. Il opère un durcissement de ses positions au fil des pages, jusqu’à devenir totalement intransigeant. La société anglaise du début du 20e siècle condamnent ardemment les pratiques jugées déviantes telle que l’homosexualité. Ainsi, le Surmoi freudien – l’instance moralisatrice – exerce une pression titanesque sur le Ça – l’instance pulsionnelle – à cela s’ajoute la composante extérieure sociétale. Anna Hope décrit avec habileté le basculement psychique opéré par le docteur Fuller. Parallèlement à ce qui se joue dans l’esprit du docteur Fuller, qui ne sera pas sans incidences sur le quotidien des pensionnaires, Ella entame une correspondance avec John. Au fil des lettres une intimité voit le jour, offrant aux deux protagonistes une échappatoire à la monotonie de la vie à Sherston. Pour sauver sa peau, trois solutions se présentent aux malades : mourir, être libéré ou s’échapper. Les circonstances pousseront chacun des personnages principaux à opter pour une de ces solutions. Anna Hope livre un huis clos angoissant, où la menace, telle une épée de Damocles, pèse sur le récit.
Conclusion
La relève des auteurs classiques anglais est assurée en la personne d’Anna Hope, qui parvient à créer une atmosphère gothique angoissante et mystérieuse tout en imaginant une très belle histoire d’amour. La plume de l’auteur douce et fluide se met au service d’une intrigue captivante.
>>> RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 (#RL 2017)
>>> Chronique du premier roman de l’auteure, par ici !
HISTORIQUE
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