À l’image du titre choisi, Gaëlle Nohant ressuscite sous une plume douce et délicate le poète surréaliste Robert Desnos. Légende d’un dormeur éveillé rejoint la longue liste d’exofictions à succès de cette rentrée littéraire. Roman dense et touffu, Légende d’un dormeur éveillé rend hommage à l’homme, au poète, au résistant qu’était Robert Desnos, décédé le 8 juin 1945, à l’âge de quarante-quatre ans, au camp de Theresienstadt des suites du typhus. L’auteure réhabilite la mémoire de celui qui fut une figure emblématique du mouvement surréaliste né au lendemain de la Première Guerre mondiale sous l’égide d’André Breton, qui en est le théoricien. Gaëlle Nohant se révèle être une conteuse hors pair, la précision avec laquelle elle décrit le parcours du poète est confondante de réalisme. Si le lecteur ploie sous une abondance de détails, cela n’altère en rien la force du propos et contribue à recréer cette atmosphère caractéristique de ces années d’effervescence artistique et de liberté débridée. On découvre un homme engagé ne souffrant aucun asservissement à une autorité dogmatique ou doctrine politique. Capable de tenir tête à la tyrannie d’André Breton et de s’opposer publiquement aux idées du troisième Reich, Robert Desnos est un homme d’une droiture exemplaire. Dans cette période trouble où chacun devra se déterminer et beaucoup se montreront versatiles, changeant de camp au gré des événements, Robert Desnos fait figure d’exception. C’est cette franchise et cette bonté indéfectible que Gaëlle Nohant excelle à mettre en lumière. L’auteure a cette phrase très belle : « […] Robert n’est pas naïf, c’est un rêveur lucide, il rêve les yeux ouverts. »
L’homme libre : du surréaliste au révolté
Cette liberté, propre à la période de l’entre-deux-guerres, il l’exerce dans tous les domaines. Conscient de se retrouver dans les valeurs prônées par le mouvement surréaliste, il n’hésitera pas à se présenter lui-même à André Breton. Remarqué très vite pour son talent, il se prêtera avec dévotion à des expériences mystiques propices à la création artistique et à l’expression de l’inconscient. Ainsi, il expérimentera les sommeils hypnotiques, censés libérer le psychisme du contrôle de la raison. Le manifeste du surréalisme, publié en 1924, explicite cette pensée novatrice et cet art de vivre. D’autres Manifeste du surréalisme suivront, prenant la forme de brûlots symboles d’une guerre fratricide et de règlements de comptes internes entre André Breton et ceux qu’il considère comme des dissidents. Gaëlle Nohant dresse un portrait peu glorieux du chef de file des surréalistes. L’homme est bouffi d’orgueil, avide de pouvoir et entend régenter la vie quotidienne de ses disciples. Il s’octroie le droit de répudier ceux qui osent contester son autorité hégémonique. Robert Desnos fera les frais de son courroux, sa liberté ne souffrant aucun asservissement à une autorité dogmatique. En effet, André Breton dont l’insistance se fait de plus en plus pressante se prononce en faveur d’une adhésion au parti communiste. Robert Desnos refuse de se rallier à une quelconque doctrine politique et décide de prendre le large, s’attirant les foudres du maître. Pétri d’une pensée d’obédience communiste, André Breton accuse Desnos de se compromettre avec la presse bourgeoise, et ainsi d’altérer le message surréaliste. Comme le souligne l’auteure :
S’il accepte la tyrannie de l’amour, pour tout le reste, il est un poète sans dieu ni maître.
À la liberté politique, s’ajoute la liberté de moeurs. S’il est un amoureux passionné et dévoué, Robert Desnos n’imposera jamais de contraintes à ceux qu’il aime. Ainsi, l’on découvre qu’il partageait sa compagne avec le mari de celle-ci. Foujita, Youki et Desnos incarnent une liberté sexuelle sans entrave. Même dans cet arrangement, transparaît la singularité du poète qui se révèle être un amant fidèle. Il souffrira de la frivolité de sa compagne sans jamais tenter de brider sa liberté. Si Robert Desnos sait se montrer intransigeant, il est un amant doux et tendre.
Un homme engagé
L’engagement de Robert Desnos se fait à tous les niveaux et recouvre toutes les facettes de sa personnalité. En tant qu’écrivain face à la montée du nazisme, il s’engage à publier en parallèle des textes anonymes diffusés sous le manteau puisqu’interdits par la censure, mais également des poèmes dont le sens caché est à déchiffrer. Conscient de la puissance de l’écrit, il fait de la culture et notamment de la littérature une arme de contestation, un acte de résistance.
Un poème a plus de force qu’un discours, par l’émotion qu’il fait naître.
Il décide dans le même temps de publier des recueils pour enfants à l’image du poème La fourmi, qui laisse entrevoir la violence inouïe qui sévit dans une nation asservie à l’autorité nazie. Son activité de journaliste lui permet d’exprimer son opposition virulente à l’hégémonie allemande. En tant que critique littéraire, il refuse de s’adonner à la critique de complaisance et attaque sans détours les auteurs dont le fonds de commerce est l’antisémitisme ambiant. C’est avec finesse et répartie qu’il épingle Louis-Ferdinand Céline dont l’antisémitisme notoire suinte à travers ses écrits. Robert Desnos ne se départ jamais de son ton caustique et de sa plume incisive, surtout lorsqu’il rédige avec finesse une réponse à Céline, Ce dernier l’accusant de « s’enjuiver ». Robert Desnos s’engagera plus avant dans la résistance en revêtant les habits de faussaire dans un premier temps puis en s’enrôlant dans l’action directe. Il participera à des actions telles que le sabotages de lignes de trains. Il s’engagera dans la résistance armée avec la prise d’assaut du commissariat du 15e arrondissement. Il accueillera chez lui ceux dont l’existence est menacée. Gaëlle Nohant rend hommage à un homme qui a su faire preuve d’un courage exemplaire et dont il émane une humanité lumineuse. Cette humanité le conduira dans les camps à pratiquer la chiromancie et à promettre des jours heureux à ceux que l’espoir a déserté.
Conclusion
Gaëlle Nohant signe un très bel ouvrage à la fois passionnant et instructif qui tout en réalisant le portrait d’un homme remarquable, retrace une époque qui s’étend de la fin de la Première Guerre mondiale à la fin de la Seconde. Cette période de bouillonnement intellectuel, de liberté totale et de création artistique sera balayée par le troisième Reich. La gouaille de Robert Desnos dérange, ce refus de flatter l’égo des puissants lui vaudra entre autre sa déportation. Le poète fit toute sa vie preuve d’une insolence farouche à l’égard de ceux qui cherchaient à entraver sa liberté de mouvement. C’est cette image qui reste marquée sur la rétine une fois le livre achevé.
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