À quel moment une mère décide-t-elle d’abandonner ses enfants ? Peut-être quand sa propre expérience de la maternité est télescopée par le souvenir de sa mère étant enfant. Une femme peut-elle se soustraire à son rôle de mère ? Faire passer ses engagements au premier plan et privilégier ses convictions au détriment de l’instinct de protection ? Chris sait que sa fille ne reviendra pas. Elle le sait d’autant mieux que, l’ayant élevée, elle sait ce qui lui a manqué. Ni son mari, ni ses deux fils de six et deux ans, parviendront à compenser le peu d’affection qu’elle a reçue étant enfant. Si certains reproduisent un schéma par mimétisme, d’autres s’acharnent à faire différemment, à pallier la défaillance de leurs parents en projetant sur leurs enfants. Et insuffisante, Chris reconnaît l’avoir été. La maternité n’a pas eu sur elle l’effet escompté. Ses priorités et la hiérarchie de ses envies sont restées inchangées. La veille de noël, entourée de son gendre et de ses petits-enfants, elle prend conscience que ce qui se joue est entre elle et sa fille. Louise la met au défi. La fuite de Louise est un aveu d’impuissance, une forme de revanche corrélée à l’incapacité de Chris à avoir su la rassurer quand elle était enfant. Si quelqu’un doit la ramener, c’est à elle de s’en charger. Le même jour, une étrangère entre dans sa vie et lui demande d’enquêter sur sa mère. Membre d’un réseau de résistants polonais, elle a été arrêtée et tuée. Ludmila a souffert de cette mère qui sous couvert de libérer son pays, n’a pas hésité à mettre la vie de sa fille en danger. Marion Muller-Colard explore avec délicatesse, dans une langue parfaitement maîtrisée, la complexité des relations mère-fille. Grandir implique de faire la paix avec son passé. S’extraire de l’histoire de ses parents et mettre de côté des frustrations dont les causes se situent hors de notre champ d’action. Mais, c’est aussi savoir reconnaître que l’on a échoué, et tenter d’y remédier en réparant ce qui a été brisé.
Cette femme apparaît dans ma vie au moment où Louise disparaît. Et l’une comme l’autre alliant une brutalité féroce à une indéfinissable lenteur – ce genre de mouvement décisif qu’un réalisateur déciderait de monter au ralenti. Je ne me résous pas à attribuer cette synchronicité au hasard. Voilà ce que je pense : Louise sort de scène, Ludmila y entre, et j’ai manqué l’instant où, en coulisse, elles se sont passé le relais.
À tous les dieux en lesquels nous ne croyons pas, nous jurons que, s’ils nous rendent Louise, nous nous satisferons pour toujours de cette définition simple du bonheur : que tout le monde soit à sa place.
Il existe des femmes qui tiennent trop fort à autre chose pour se laisser prendre par les retournements de la maternité.
Alors on risque sa vie pour sauver l’avenir de ses enfants. Mais ce qu’on n’a jamais fait, il me semble, c’est risquer la vie de ses enfants pour sauver son pays.
Si vous avez aimé ce roman, découvrez L’homme qui s’envola d’Antoine Bello !
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