La louve est une découverte inattendue de cette rentrée littéraire permise par le Magazine Version Femina qui dans le cadre du coup de coeur des lectrices Version Femina m’a fait parvenir un exemplaire du roman de Paul-Henry Bizon. En prenant connaissance du titre et en lisant la quatrième de couverture, j’avais un à priori plutôt négatif concernant ce roman, et pourtant dès les premières pages j’ai été conquise par le style de l’auteur ! Paul-Henry Bizon égratigne d’une plume féroce et alerte le microcosme parisien de l’élite gastronome. Il imagine avec brio une arnaque d’envergure portée par un mégalomane mythomane du nom de Raoul Sarkis et permise par la fragilité d’un homme pétri de remords et idéaliste, Camille Vollot. Paul-Henry Bizon fait s’entrecroiser deux destins aux antipodes : celui de Camille, jeune paysan de la Louve précurseur en faveur d’une agriculture plus responsable écologiquement et Raoul Sarkis homme d’affaires véreux qui va surfer sur la tendance du « fooding » – ou une gastronomie plus accessible s’émancipant du diktat de la gastronomie traditionnelle. La louve est à mi-chemin entre la fiction et une étude sociologique de la société contemporaine. Paul-Henry Bizon décortique avec minutie un sujet terriblement d’actualité : le retour au « bio » et les dérives qui l’accompagnent.
Drame familial & lutte idéologique : un terreau propice à la manipulation
Tout commence par un drame terrible qui va sceller le destin de la famille Vollot. Une haine tenace naît entre Camille et Romain. Cette rivalité fraternelle, qui n’est pas sans rappeler l’épisode biblique d’Abel et Caïn, va pousser Camille dans la gueule du loup. Idéaliste convaincu, Camille croît dur comme fer à son projet agricole même si cela implique de prendre des risques pour le mener à bien. Aveuglé par la rancoeur qu’il éprouve pour son frère et encouragé par la perspective de lui clouer le bec en lui prouvant que son projet tient la route, Camille porte des oeillères et se met à manquer cruellement de lucidité. Raoul Sarkis, magouilleur mythomane, entrevoit son intérêt à travailler avec un tel homme et ne peut que tirer avantage de la situation. L’auteur réussit le personnage abject et pathétique qu’incarne Raoul Sarkis, on éprouve un sentiment féroce de répulsion à l’égard de l’individu. On oscille en permanence entre des sentiments ambivalents pour les personnages principaux. Camille suscite de la compassion mais aussi de la colère face à son manque de méfiance. Tandis que pour Raoul Sarkis, le lecteur oscille entre le dégout et la stupéfaction de voir sa folie opérer. Les personnages sont particulièrement réussis et l’intrigue bien ficelée. La femme de Camille, Victoire, incarne une femme forte imperméable aux pirouettes de Raoul Sarkis ainsi qu’aux paillettes des nantis de la capitale. En prise avec le réel, elle fera son possible pour sortir son mari du mauvais pas dans lequel il se trouve.
Mutations agricoles & nouvelles tendances gastronomiques : une manne tombée du ciel pour un escroc aguerri
L’auteur nous expose en parallèle l’engouement de la capitale pour des produits sains et naturels au service d’une gastronomie revisitée – le fooding – et la lutte idéologique qui sévit dans les campagnes entre une agriculture intensive, confrontée à ses limites depuis de nombreuses années et vivant sous perfusion de l’état français, et une agriculture pérenne permise par la mise en application de techniques novatrices plus soucieuse de l’état des ressources. Paul-Henry Bizon expose clairement les défis agricoles à relever et l’enjeu des méthodes prônées par Camille. Si cette thématique peut laisser de marbre bon nombre de lecteurs, l’auteur parvient à rendre ce sujet passionnant. Puisqu’il s’agit de comprendre l’évolution des mentalités en matière de consommation de toute une génération. Cette problématique est également l’occasion pour l’auteur de dresser un portrait au vitriol du petit monde de la restauration parisienne qui se veut avant-gardiste. Le ton est caustique, emprunt d’humour, la critique acerbe révèle toute la superficialité de cet entre-soi parisien pétri d’orgueil. C’est avec délice qu’on assiste en qualité de témoin à l’engouement de tout ce beau monde pour un pantin manipulateur. À coups de discours enjôleurs et grandiloquents, un petit magouilleur parvient à faire miroiter à chacun un projet pharaonique en plein coeur de la capitale. Paul-Henry Bizon décrit avec brio le magnétisme propre à certaines personnes qui entraînent avec elles tous ceux qui y sont sensibles. Puisque le talent véritable d’un imposteur est le charme énigmatique qu’il dégage et la force de conviction qui en émane. Le projet auquel vont croire tous les protagonistes cristallise tous les espoirs et toutes les dérives de notre époque.
Conclusion
La louve, n’est pas un tableau des us et coutumes de la paysannerie française, comme l’idée que je m’en étais faite, mais bien une satire de notre époque, partagée entre un souci de bien faire et la brèche que cela ouvre pour des individus mal intentionnés guidés par le profit à tout prix. J’ai été totalement conquise par ce roman, d’autant plus que je n’en attendais pas beaucoup. Le ton est mordant, jouissif. L’auteur met en lumière les moindres bassesses d’un univers malsain qui n’a aucune prise avec le réel. La louve est le premier roman de Paul-Henry Bizon. Un premier roman réussi dont on n’entend peu parler face à certains ouvrages vedettes de cette rentrée littéraire, et c’est bien dommage. 😉
>>> RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 (#RL2017)
Date de parution : 2020. Éditions Gallimard, 256 pages.
PREMIER ROMAN
Qu'en pensez-vous ?