Traduit que récemment, L’infinie patience des oiseaux a en réalité été écrit il y a près de quarante ans par l’un des plus grands écrivains australiens contemporains. Sous la forme d’un conte initiatique, David Malouf livre une réflexion féroce sur l’absurdité de ce que fut la Grande Guerre. Une boucherie humaine à ciel ouvert, ni plus, ni moins. Le temps occupe une place prépondérante dans le roman. Le temps d’avant, celui de l’insouciance, ce temps révolu qui n’existera plus. Le temps présent, celui d’une guerre vaine, d’une boucherie humaine. Et puis, comme un événement hors du temps, la découverte tout près des tranchées ennemies d’un fossile de mammouth. L’occasion d’une mise en perspective, d’un arrêt sur image, d’une prise de conscience de l’absurdité de la situation. Le sentiment d’appartenir à une même humanité, d’être le fruit d’une histoire commune. Puis l’injonction à tuer, à laquelle nul ne peut se soustraire. Alors, survient le sentiment d’être l’acteur de sa propre extinction. Puis celle d’être un pion, substituable et non indispensable, une denrée périssable, de la chair à canon. Tout l’ouvrage est construit sur une succession d’oppositions. L’immuabilité des mouvements migratoires auxquels se plient les oiseaux au fil des saisons, illustrant la permanence de la nature, tranche avec la mise en branle d’une machine à tuer. Leur silence offre un contraste saisissant avec la cacophonie des hommes. La coexistence simultanée de ces deux réalités verticalement opposées ne fait qu’attester de la folie des hommes, leur propension naturelle à s’entre-tuer. Et une fois terminé, à tout recommencer. C’est ce mouvement perpétuel, cette constance avec laquelle l’homme reproduit des schémas déjà expérimentés, que David Malouf décrit dans ce récit. Si le texte se clôt sur une note d’espoir, la perspective d’un renouveau, il émane de ce roman une réalité fataliste. L’homme semble enclin à reproduire inlassablement les mêmes erreurs. Doté d’un tempérament belliqueux, il est aveuglé par sa rage et devient incapable de prendre du recul, de mettre en perspective les événements. Cette caractéristique semble inhérente à l’homme, inscrite dans ses gênes.
Une forme hybride : entre le roman et la nouvelle
L’infinie patience des oiseaux tient plus de la nouvelle que du roman. Il n’y pas à proprement parler d’intrigue qui tient le lecteur en haleine. Ce dernier suit le parcours de Jim. Le passage d’une vie préservée en Australie, consacrée à l’observation des oiseaux, en fin ornithologue qu’il est, à la réalité abrupte de la guerre. La vie des tranchées, l’air putride plein des exhalaisons des corps en charpie. Jim devra apprendre à composer avec un environnement mortifère où sa vie est en jeu à chaque instant. Néanmoins, certains éléments narratifs m’ont laissée dubitative. Par exemple, Ashley présent au début du roman est inexistant par la suite. Pourtant, il aurait pu être intéressant de découvrir une autre vision de la guerre puisque la classe sociale à laquelle appartient Ashley lui confère un statut privilégié au sein du régiment. Il n’est pas simple soldat comme son ami, mais officier. De même, nulle trace d’Imogen, la photographe qui partage la passion des deux hommes. Le récit se concentre sur Jim et les deux autres personnages sont largement éclipsés. Il ne me semblait donc pas nécessaire de les introduire au début du roman pour ensuite ne pas les exploiter. Jim est le témoin de la fin d’une époque. Il n’a pas d’intérêt propre dans la narration. David Malouf le cantonne à son rôle d’observateur. Le seul bémol de cet ouvrage, à mon sens, est le fait que les personnages manquent de matière. Je ne me suis pas attachée à eux.
De l’absurdité de la guerre
L’infinie patience des oiseaux est une critique acerbe de la Première Guerre mondiale. David Malouf y dénonce cette apologie de la violence savamment orchestrée par les états. Jim ne sait pas ce qu’il compte faire de sa vie lorsqu’il fait la rencontre d’Ashley Crowther. De retour au pays natal, ce dernier vient de terminer ses études sur le continent. Il s’installe à Queensland pour administrer la propriété léguée par son père. Les deux hommes vont très vite se découvrir un point commun. Leur amour des oiseaux les conduira à imaginer un projet d’envergure. La création d’un sanctuaire consacré aux oiseaux migrateurs. Ce projet aura à peine le temps de voir le jour que déjà la guerre éclate, projetant les deux hommes au cœur d’une guerre qui n’est pas la leur, à des milliers de kilomètres de chez eux. Jim découvrira l’horreur de la guerre. Les conditions de vie insoutenables dans les tranchées, la puanteur, les rats, les corps surgissant d’entre les murs de boue. La guerre grignotera chaque élément susceptible de le raccrocher à la vie, supprimera le plus infime espoir de revoir son pays, ses oiseaux. C’est cette désillusion, cette lente descente aux enfers, qui est contée ici. David Malouf raconte avec une infinie poésie le parcours initiatique du jeune homme, ses rêves avortés. Les descriptions sont frappantes, pour peu on aurait l’impression d’y être. Malgré le sujet abordé, l’écriture de l’auteur est délicate. Il décrit avec finesse le sentiment de claustrophobie, l’angoisse de se retrouver coincé dans une situation inextricable que l’on n’a pas provoquée. Ce sentiment d’impuissance qui conduit au fatalisme inévitablement. L’épisode du fossile est fulgurant. En peu de mots, David Malouf parvient à saisir l’essentiel. L’inutilité d’une guerre qui fera des millions de morts en vain.
Conclusion
L’infinie patience des oiseaux est le premier ouvrage de David Malouf que je lis. Malgré quelques réserves, je suis plutôt conquise par le style de l’auteur. Il signe un récit initiatique touchant, un appel au respect de la condition humaine.
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