COUPS DE COEUR LITTÉRATURE FRANÇAISE

Je me suis tue, Mathieu Menegaux : une fable diabolique

22 avril 2017
booksnjoy - je me suis tue - mathieu menegaux

Mathieu Menegaux, nous offre un premier roman aux allures de fable diabolique, un huis clos familial intense et Ă©touffant. Ayant lu son deuxiĂšme roman, Un fils parfait, avant celui-ci, j’ai retrouvĂ© dans la trame des thĂšmes rĂ©currents. J’ai tout de suite reconnu le style propre Ă  l’auteur, ce qui est, en gĂ©nĂ©ral, gage de talent. En seulement deux romans, l’auteur a su crĂ©er une atmosphĂšre particuliĂšre, asphyxiante, Ă  laquelle on reconnait sa plume. La singularitĂ© des romans de Mathieu Menegaux rĂ©side notamment dans cette vision sombre de la famille, comme terreau propice aux crimes les plus abjects. L’auteur fait Ă©tat d’un dĂ©litement des liens familiaux. Il remet en cause la vision de la cellule familiale agissant comme un rempart contre les agressions extĂ©rieures. Puisque dans ses ouvrages, l’agression vient de l’intĂ©rieur, elle s’immisce dans l’intimitĂ© de la famille. C’est ce qui est Ă  la fois terrible chez Mathieu Menegaux, mais Ă©galement ce qui fait la force de ses romans. Pour ceux, qui comme moi apprĂ©cient particuliĂšrement la plume fĂ©roce de LeĂŻla Slimani, vous allez dĂ©vorer ce roman et suivre de prĂšs cet auteur. Un parallĂšle peut ĂȘtre fait entre Je me suis tue et Chanson douce, que ce soit en terme d’Ă©criture ou de thĂšmes abordĂ©s. Mathieu Menegaux rĂ©alise dans cet ouvrage, de mĂȘme que dans son second, une critique acerbe du couple moderne et de ses non-dits. Chez Mathieu Menegaux le couple en tant qu’entitĂ© est fragilisĂ© et le modĂšle familial en crise ! 😉

 

Résumé

Du fond de sa cellule, Claire nous livre l’enchaĂźnement des faits qui l’ont menĂ©e en prison : l’histoire d’une femme victime d’un crime odieux. Elle a choisi de porter seul ce fardeau, en silence. Les consĂ©quences de cette dĂ©cision vont se rĂ©vĂ©ler dramatiques. EnfermĂ©e dans son mutisme, Claire va commettre l’irrĂ©parable. Personne, ni son mari, ni ses proches, ni la justice, ne saisira les ressorts de cette tragĂ©die moderne.

Grasset

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Claire : une femme moderne complÚtement névrosée

Le roman dĂ©bute par l’agression sexuelle dont Claire est victime, alors qu’elle rentre seule d’un diner organisĂ© par un couple d’amis de son mari. Ce qui m’a interpellĂ©e ce n’est pas tant la scĂšne violente dĂ©crite par l’auteur, mais la facilitĂ© avec laquelle Claire parvient Ă  s’extraire du viol et se met à rĂ©flĂ©chir de maniĂšre rationnelle Ă  la situation. À aucun moment, Claire ne se laisse rĂ©ellement envahir par la terreur que lui inspire l’Ă©tranger qui la viole. Elle est dans le contrĂŽle d’une situation, qui lui Ă©chappe totalement. Elle ne laisse Ă  aucun moment ses Ă©motions la prendre de court et la submerger. Ce qui peut ĂȘtre perçu comme une manifestation de la force de caractĂšre de Claire – cette capacitĂ© Ă  gĂ©rer une situation de crise – m’a choquĂ©e. Claire m’est apparue comme inhumaine. Comment peut-on peser le pour et le contre, de façon purement rationnelle, dans un moment comme celui-lĂ  ? N’est-ce pas lĂ , un des symptĂŽmes d’une folie sous-jacente, liĂ©e Ă  une volontĂ© de rĂ©gler sa vie au cordeau et Ă  une quĂȘte de la perfection ? Claire, ne serait-elle pas tout simplement control freak et ce viol perçu comme un simple « contretemps » ?

« On fait quoi, dans ces cas-lĂ  ? Je comprenais sans ambiguĂŻtĂ© ce qui Ă©tait en train de m’arriver. On dit que l’instinct de survie dicte nos comportements dans les situations d’urgence. Qu’on passe en mode pilote automatique. Des conneries, oui. Ou bien je ne suis pas comme tout le monde : j’ai rĂ©flĂ©chi. Oui rĂ©flĂ©chi, j’ai bien dit rĂ©flĂ©chi. J’ai analysĂ© en un Ă©clair les deux options qui s’offraient Ă  moi : me dĂ©battre, crier, hurler, griffer, rĂ©sister, le repousser, tout cela en vain, il Ă©tait beaucoup plus fort que moi et armĂ© , tout cela pour souffrir encore plus, sans changer l’issue et en risquant de finir la gorge tranchĂ©e, lĂ , dans ce tunnel ; ou bien me laisser faire, me dire que oui ce dingue va me violer, mais que ce ne sera pas forcĂ©ment long et qu’un fois soulagĂ© il me laissera peut-ĂȘtre la vie sauve. Cette vie qui m’ennuie.« 

Mais Claire ne s’arrĂȘte pas lĂ . Elle poursuit ses raisonnement tortueux et malsains. En effet, aprĂšs avoir agit de maniĂšre « optimale », celle-ci va gĂ©rer la situation, selon elle, d’une main de maitre. Ou plutĂŽt, selon ses termes, comme une « apprentie sorciĂšre ». Puisque celle-ci, joue avec son destin comme avec des dĂ©s. Elle parie sur l’avenir, sur sa capacitĂ© Ă  Ă©touffer le traumatisme dans son inconscient, tout en sachant pertinemment qu’elle Ă©chouera. Elle va donc nier en bloc le viol. C’est terrible de voir comment Claire croit pouvoir influer sur le dĂ©roulement des Ă©vĂ©nements, faire plier la rĂ©alitĂ© à sa volontĂ©.

« Je ne voulais pas ĂȘtre un victime. Je voulais oublier. Ou-bli-er. Je ne voulais qu’oublier. MĂȘme si je savais bien que je n’oublierais jamais. Comme en physique quantique, l’observation influe sur la rĂ©alitĂ©. Si vivant ou mort est le chat de Shrödinger, selon la façon dont celui qui conduit l’expĂ©rience le regarde, violĂ©e ou non violĂ©e je peux bien ĂȘtre selon ce que je dĂ©cide. Alors peut-ĂȘtre que si je n’en parlais à personne ce serait comme si cette saloperie ne s’Ă©tait jamais produite. « 

Le regard des autres, l’image de femme belle, forte et sĂ»re d’elle que renvoie Claire, ne peut pas se permettre d’ĂȘtre mise Ă  mal et ternie par ce drame. Le fait de s’interroger, quant aux rĂ©percussions que pourrait avoir la rĂ©vĂ©lation de son agression auprĂšs de son entourage, est normal. Par contre, en faire le centre de ses prĂ©occupations juste aprĂšs l’agression, un peu moins je trouve.

« J’ai compris que tout le monde maintenant allait me regarder comme une victime. Plus jamais je ne serai qui je suis. Plus jamais je ne serai Claire, cette femme et belle et intelligente, qui n’a pas d’enfants mais c’est vraiment la seule chose qui cloche chez elle […] J’ai vu le regard des autres, auquel j’attache tant d’importance, se transformer. »

Claire, prend donc le parti de ne rien dire Ă  personne, surtout pas Ă  son mari, Antoine. La suite, est une succession de choix dĂ©sastreux. Claire va se laisser entraĂźner dans ses fabulations. À partir de lĂ , commence la lente descente aux enfers de cette femme gĂątĂ©e par la vie. Un choix, en particulier, sonnera le glas de son existence. Ce choix grotesque tĂ©moigne de son instabilitĂ© Ă©motionnelle. AprĂšs le second drame qui ponctue le rĂ©cit, Claire laissera place Ă  une femme insouciante, dĂ©tachĂ©e du monde. Elle se retrouvera toute seule en proie Ă  ses dĂ©mons intĂ©rieurs et face Ă  sa folie. Je laisse au lecteur le soin de dĂ©couvrir le passage du restaurant, passage oĂč la personnalitĂ© nĂ©vrotique de cette femme atteint son paroxysme.

Une critique acerbe du couple moderne

Dans Je me suis tue, tout comme dans Un fils parfait, Mathieu Menegaux Ă©voque la fragilité du couple moderne. Le mensonge, le manque de confiance, la vulnĂ©rabilitĂ© de l’enfant…sont des thĂšmes rĂ©currents dans ses romans. Il dĂ©cortique avec brio les travers du couple moderne. Cette entité apparaĂźt comme superficielle, attachĂ©e Ă  son image et Ă  la fĂ©licitĂ© factice qu’elle inspire aux autres. J’ai Ă©voquĂ© dans le paragraphe prĂ©cĂ©dent le mutisme de Claire comme rĂ©action à l’agression subie, afin de maĂźtriser son image. Mais le choix de Claire peut-il se concevoir indĂ©pendamment du couple qu’elle forme avec Antoine ? Ou au contraire, Ă  la lumiĂšre de celui-ci ? En effet, si Claire fait le choix seule de se taire, c’est pour protĂ©ger son couple, l’image que pourrait avoir Antoine d’elle. Elle aurait donc peur de briser l’Ă©quilibre de son couple, qui semble pourtant dĂ©jĂ  bancal. Ce couple n’apparaĂźt pas comme une seule et mĂȘme entitĂ© mais bien comme deux individus cohabitant ensemble, partageant certains plaisirs, mais conservant bien prĂ©cautionnesement son jardin secret. Ce qui aurait pu se rĂ©soudre par la communication, va s’enliser et devenir le terreau du drame. Le silence est un des principaux maux de la sociĂ©tĂ© moderne. C’est ce silence pesant qui rĂšgne dans le roman. Certes, le silence de Claire mais surtout je trouve le silence au sein mĂȘme du couple. Chacun a ses envies, mĂȘme le dĂ©sir d’enfant on ne le sent pas partagĂ©, il ne les rĂ©unit pas. Claire le vit Ă©goĂŻstement. Il lui faut ĂȘtre mĂšre, et pour l’ĂȘtre, elle est prĂȘte Ă  tout accepter. Ce besoin d’enfant, n’est pas vĂ©cu comme la matĂ©rialisation de l’amour qu’elle porte Ă  son mari, mais comme une Ă©tape Ă  franchir dans son parcours de femme moderne. À la page 158 – je ne peux citer le passage sans tout dĂ©voiler 😉 – Claire se rend compte que son mari a un seul dĂ©sir, celui de l’oublier. Il ne cherche Ă  aucun moment le mobile du crime, ce qui a poussĂ© sa femme Ă  agir de cette maniĂšre. Non, ce qu’il veut tout comme elle c’est oublier. Balayer 16 ans de vie commune, qui font tache. Antoine est incapable de faire preuve d’une certaine « intelligence Ă©motionnelle » et d’empathie Ă©motionnelle, encore moins. On se rend compte que Claire et Antoine, sont deux Ă©trangers.

Je tiens Ă  prĂ©ciser, que comme toujours, cet avis est le mien et est donc par nature purement subjectif. Tout autre lecteur pourra dĂ©velopper une analyse totalement diffĂ©rente des personnages et du rĂ©cit 😉

Un minimalisme stylistique d’une grande intensitĂ©

J’ai dĂ©couvert la plume de Mathieu Menegaux grĂące à son second roman et j’avais Ă©tĂ© conquise. J’ai beaucoup de mal avec les Ă©critures lourdes, alambiquĂ©es, travaillĂ©es Ă  outrance qui font tomber le rĂ©cit dans le pathos. Je prĂ©cise que je ne mets absolument pas dans cette catĂ©gorie des auteurs comme Maylis de KĂ©rangal, dont le style trĂšs littĂ©raire est magnifique. Ici, les phrases sont courtes, percutantes, on va Ă  l’essentiel, on ne s’embarrasse pas de dĂ©tails inutiles. Mathieu Menegaux est trĂšs factuel, il laisse le soin au lecteur d’interprĂ©ter, de chercher le pourquoi du comment comme un grand. C’est cela Ă©galement que j’apprĂ©cie chez cet auteur.

booksnjoy - je me suis tue - mathieu menegaux

Conclusion

Ce roman m’a enchantĂ©e, il est d’une force incroyable, je ne peux que le conseiller ! 😀 Je trouve que dans son deuxiĂšme roman, le style de l’auteur gagne en maturitĂ© et en intensitĂ©. Je conseille donc de lire celui-ci avant Un fils parfait. Dans ce second roman, l’auteur gagne en aisance, le style est plus fluide, son talent se dĂ©ploie pleinement. Cet auteur est Ă  suivre de trĂšs prĂšs ! Je ne serai pas du tout Ă©tonnĂ©e qu’il remporte un jour un grand prix littĂ©raire 🙂

Du mĂȘme auteur…

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