Mathieu Menegaux, nous offre un premier roman aux allures de fable diabolique, un huis clos familial intense et étouffant. Ayant lu son deuxième roman, Un fils parfait, avant celui-ci, j’ai retrouvé dans la trame des thèmes récurrents. J’ai tout de suite reconnu le style propre à l’auteur, ce qui est, en général, gage de talent. En seulement deux romans, l’auteur a su créer une atmosphère particulière, asphyxiante, à laquelle on reconnait sa plume. La singularité des romans de Mathieu Menegaux réside notamment dans cette vision sombre de la famille, comme terreau propice aux crimes les plus abjects. L’auteur fait état d’un délitement des liens familiaux. Il remet en cause la vision de la cellule familiale agissant comme un rempart contre les agressions extérieures. Puisque dans ses ouvrages, l’agression vient de l’intérieur, elle s’immisce dans l’intimité de la famille. C’est ce qui est à la fois terrible chez Mathieu Menegaux, mais également ce qui fait la force de ses romans. Pour ceux, qui comme moi apprécient particulièrement la plume féroce de Leïla Slimani, vous allez dévorer ce roman et suivre de près cet auteur. Un parallèle peut être fait entre Je me suis tue et Chanson douce, que ce soit en terme d’écriture ou de thèmes abordés. Mathieu Menegaux réalise dans cet ouvrage, de même que dans son second, une critique acerbe du couple moderne et de ses non-dits. Chez Mathieu Menegaux le couple en tant qu’entité est fragilisé et le modèle familial en crise ! 😉
Résumé
Du fond de sa cellule, Claire nous livre l’enchaînement des faits qui l’ont menée en prison : l’histoire d’une femme victime d’un crime odieux. Elle a choisi de porter seul ce fardeau, en silence. Les conséquences de cette décision vont se révéler dramatiques. Enfermée dans son mutisme, Claire va commettre l’irréparable. Personne, ni son mari, ni ses proches, ni la justice, ne saisira les ressorts de cette tragédie moderne.
Grasset
Claire : une femme moderne complètement névrosée
Le roman débute par l’agression sexuelle dont Claire est victime, alors qu’elle rentre seule d’un diner organisé par un couple d’amis de son mari. Ce qui m’a interpellée ce n’est pas tant la scène violente décrite par l’auteur, mais la facilité avec laquelle Claire parvient à s’extraire du viol et se met à réfléchir de manière rationnelle à la situation. À aucun moment, Claire ne se laisse réellement envahir par la terreur que lui inspire l’étranger qui la viole. Elle est dans le contrôle d’une situation, qui lui échappe totalement. Elle ne laisse à aucun moment ses émotions la prendre de court et la submerger. Ce qui peut être perçu comme une manifestation de la force de caractère de Claire – cette capacité à gérer une situation de crise – m’a choquée. Claire m’est apparue comme inhumaine. Comment peut-on peser le pour et le contre, de façon purement rationnelle, dans un moment comme celui-là ? N’est-ce pas là, un des symptômes d’une folie sous-jacente, liée à une volonté de régler sa vie au cordeau et à une quête de la perfection ? Claire, ne serait-elle pas tout simplement control freak et ce viol perçu comme un simple « contretemps » ?
« On fait quoi, dans ces cas-là ? Je comprenais sans ambiguïté ce qui était en train de m’arriver. On dit que l’instinct de survie dicte nos comportements dans les situations d’urgence. Qu’on passe en mode pilote automatique. Des conneries, oui. Ou bien je ne suis pas comme tout le monde : j’ai réfléchi. Oui réfléchi, j’ai bien dit réfléchi. J’ai analysé en un éclair les deux options qui s’offraient à moi : me débattre, crier, hurler, griffer, résister, le repousser, tout cela en vain, il était beaucoup plus fort que moi et armé , tout cela pour souffrir encore plus, sans changer l’issue et en risquant de finir la gorge tranchée, là, dans ce tunnel ; ou bien me laisser faire, me dire que oui ce dingue va me violer, mais que ce ne sera pas forcément long et qu’un fois soulagé il me laissera peut-être la vie sauve. Cette vie qui m’ennuie.«
Mais Claire ne s’arrête pas là. Elle poursuit ses raisonnement tortueux et malsains. En effet, après avoir agit de manière « optimale », celle-ci va gérer la situation, selon elle, d’une main de maitre. Ou plutôt, selon ses termes, comme une « apprentie sorcière ». Puisque celle-ci, joue avec son destin comme avec des dés. Elle parie sur l’avenir, sur sa capacité à étouffer le traumatisme dans son inconscient, tout en sachant pertinemment qu’elle échouera. Elle va donc nier en bloc le viol. C’est terrible de voir comment Claire croit pouvoir influer sur le déroulement des événements, faire plier la réalité à sa volonté.
« Je ne voulais pas être un victime. Je voulais oublier. Ou-bli-er. Je ne voulais qu’oublier. Même si je savais bien que je n’oublierais jamais. Comme en physique quantique, l’observation influe sur la réalité. Si vivant ou mort est le chat de Shrödinger, selon la façon dont celui qui conduit l’expérience le regarde, violée ou non violée je peux bien être selon ce que je décide. Alors peut-être que si je n’en parlais à personne ce serait comme si cette saloperie ne s’était jamais produite. «
Le regard des autres, l’image de femme belle, forte et sûre d’elle que renvoie Claire, ne peut pas se permettre d’être mise à mal et ternie par ce drame. Le fait de s’interroger, quant aux répercussions que pourrait avoir la révélation de son agression auprès de son entourage, est normal. Par contre, en faire le centre de ses préoccupations juste après l’agression, un peu moins je trouve.
« J’ai compris que tout le monde maintenant allait me regarder comme une victime. Plus jamais je ne serai qui je suis. Plus jamais je ne serai Claire, cette femme et belle et intelligente, qui n’a pas d’enfants mais c’est vraiment la seule chose qui cloche chez elle […] J’ai vu le regard des autres, auquel j’attache tant d’importance, se transformer. »
Claire, prend donc le parti de ne rien dire à personne, surtout pas à son mari, Antoine. La suite, est une succession de choix désastreux. Claire va se laisser entraîner dans ses fabulations. À partir de là, commence la lente descente aux enfers de cette femme gâtée par la vie. Un choix, en particulier, sonnera le glas de son existence. Ce choix grotesque témoigne de son instabilité émotionnelle. Après le second drame qui ponctue le récit, Claire laissera place à une femme insouciante, détachée du monde. Elle se retrouvera toute seule en proie à ses démons intérieurs et face à sa folie. Je laisse au lecteur le soin de découvrir le passage du restaurant, passage où la personnalité névrotique de cette femme atteint son paroxysme.
Une critique acerbe du couple moderne
Dans Je me suis tue, tout comme dans Un fils parfait, Mathieu Menegaux évoque la fragilité du couple moderne. Le mensonge, le manque de confiance, la vulnérabilité de l’enfant…sont des thèmes récurrents dans ses romans. Il décortique avec brio les travers du couple moderne. Cette entité apparaît comme superficielle, attachée à son image et à la félicité factice qu’elle inspire aux autres. J’ai évoqué dans le paragraphe précédent le mutisme de Claire comme réaction à l’agression subie, afin de maîtriser son image. Mais le choix de Claire peut-il se concevoir indépendamment du couple qu’elle forme avec Antoine ? Ou au contraire, à la lumière de celui-ci ? En effet, si Claire fait le choix seule de se taire, c’est pour protéger son couple, l’image que pourrait avoir Antoine d’elle. Elle aurait donc peur de briser l’équilibre de son couple, qui semble pourtant déjà bancal. Ce couple n’apparaît pas comme une seule et même entité mais bien comme deux individus cohabitant ensemble, partageant certains plaisirs, mais conservant bien précautionnesement son jardin secret. Ce qui aurait pu se résoudre par la communication, va s’enliser et devenir le terreau du drame. Le silence est un des principaux maux de la société moderne. C’est ce silence pesant qui règne dans le roman. Certes, le silence de Claire mais surtout je trouve le silence au sein même du couple. Chacun a ses envies, même le désir d’enfant on ne le sent pas partagé, il ne les réunit pas. Claire le vit égoïstement. Il lui faut être mère, et pour l’être, elle est prête à tout accepter. Ce besoin d’enfant, n’est pas vécu comme la matérialisation de l’amour qu’elle porte à son mari, mais comme une étape à franchir dans son parcours de femme moderne. À la page 158 – je ne peux citer le passage sans tout dévoiler 😉 – Claire se rend compte que son mari a un seul désir, celui de l’oublier. Il ne cherche à aucun moment le mobile du crime, ce qui a poussé sa femme à agir de cette manière. Non, ce qu’il veut tout comme elle c’est oublier. Balayer 16 ans de vie commune, qui font tache. Antoine est incapable de faire preuve d’une certaine « intelligence émotionnelle » et d’empathie émotionnelle, encore moins. On se rend compte que Claire et Antoine, sont deux étrangers.
Je tiens à préciser, que comme toujours, cet avis est le mien et est donc par nature purement subjectif. Tout autre lecteur pourra développer une analyse totalement différente des personnages et du récit 😉
Un minimalisme stylistique d’une grande intensité
J’ai découvert la plume de Mathieu Menegaux grâce à son second roman et j’avais été conquise. J’ai beaucoup de mal avec les écritures lourdes, alambiquées, travaillées à outrance qui font tomber le récit dans le pathos. Je précise que je ne mets absolument pas dans cette catégorie des auteurs comme Maylis de Kérangal, dont le style très littéraire est magnifique. Ici, les phrases sont courtes, percutantes, on va à l’essentiel, on ne s’embarrasse pas de détails inutiles. Mathieu Menegaux est très factuel, il laisse le soin au lecteur d’interpréter, de chercher le pourquoi du comment comme un grand. C’est cela également que j’apprécie chez cet auteur.
Conclusion
Ce roman m’a enchantée, il est d’une force incroyable, je ne peux que le conseiller ! 😀 Je trouve que dans son deuxième roman, le style de l’auteur gagne en maturité et en intensité. Je conseille donc de lire celui-ci avant Un fils parfait. Dans ce second roman, l’auteur gagne en aisance, le style est plus fluide, son talent se déploie pleinement. Cet auteur est à suivre de très près ! Je ne serai pas du tout étonnée qu’il remporte un jour un grand prix littéraire 🙂
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