« Les hommes issus de toi seront riches. » La prophétie du Rebbe de Worké à la naissance des jumeaux Ashkenazi s’est avérée exacte, mais quel fut le prix à payer pour que les deux frères se hissent en haut du panier ? De leur fidélité au judaïsme, rien n’est dit, lacune de la prophétie qui prédit les sacrifices auxquels ils consentiront pour former une élite juive cultivée et sécularisée dans la Pologne chrétienne de la fin du 19e. Issus de Lodz, les jumeaux sont diamétralement opposés. La mine sévère et l’œil sagace, l’aîné est un fin stratège. Sournois, calculateur, il ne laisse passer aucune opportunité pour être sacré « roi de Lodz », quand son frère à la mine débonnaire s’attire d’emblée la sympathie et sait tirer profit des occasions que lui présente la vie, sans même chercher à les provoquer. Face à la facilité de son frère à attirer le succès, Simha Meyer est rongé par la jalousie. Ce qui n’était qu’une simple rivalité entre frères, s’est transformé en une sourde colère. Pour entériner son statut d’aîné, Simha Meyer anéantit le moindre grain de sable susceptible d’enrayer ses projets. Consent à épouser la femme que son frère désirait épouser, et dont il était aimé. Alors que la Pologne est colonisée par les Allemands, plie sous le joug russe, devient le berceau de l’industrialisation, des luttes ouvrières et du socialisme, l’antisémitisme est instrumentalisé par les politiques pour endiguer la colère des classes populaires, de ceux qui se savent floués mais ne possèdent pas le recul suffisant pour comprendre qu’ils sont manipulés. Les pogroms se succèdent, prémices de ce qui, des années plus tard, recouvrera une autre réalité : l’extermination généralisée d’un peuple désigné comme bouc émissaire. C’est la manière avec laquelle l’auteur de La famille Karnovski restitue le processus de stigmatisation qui fait la force de cette grande fresque sociale sur fond de misère et d’obscurantisme religieux. Saga familiale foisonnante qui aurait gagné à être élaguée pour que le propos gagne en intensité.
Date de parution : 1936. Éditions Livre de Poche (Collection Biblio), traduit par Marie-Brunette Spire, 648 pages.
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