Hélène Zimmer, pour son premier roman Fairy Tale, a décidé de s’attaquer avec férocité à un sujet délaissé par la littérature contemporaine, celui d’une France déclassée, incarnée par un couple et ses trois enfants. Elle brosse un portrait de femme aux antipodes de ceux récemment réalisés tels que Looping d’Alexia Stresi – lauréat du Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro 2017 dans la catégorie roman français, Moura signé Alexandra Lapierre – lauréat de l’édition 2016 du Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro, Baronne Blixen de Dominique de Saint Pern ou encore La femme qui fuit signé Anaïs Barbeau-Lavalette… Des femmes volontaires, indépendantes et intrépides, véhiculant une image ultramoderne de la femme. Non, ici rien de tel. Hélène Zimmer nous fait plonger dans le quotidien poisseux et étouffant de son héroïne Coralie. Un mari au chômage depuis plus de deux ans, donc inéligible aux indemnités chômage, un patron qui la harcèle quotidiennement, trois enfants dont l’aînée avec qui le dialogue semble au point mort. Dans Fairy Tale on touche au plus près au quotidien d’une famille française moyenne aux portes de la misère sociale. L’écriture crue et ciselée d’Hélène Zimmer donne dès les premières phrases le ton du roman. Elle ne prend pas de pincettes et adopte le langage de cette France délaissée, les insultes fusent, on est confronté à une surabondance de « putain », « putain de sa race », de beuglement, d’engueulades, et j’en passe… Le résultat est saisissant, Fairy Tale détonne ! Hélène Zimmer y dresse le portrait sociologique d’une France où règne l’exclusion sociale. Un portrait corrosif d’une France que l’on préfère ignorer. L’auteure fait preuve d’une maturité incroyable en disséquant avec minutie les comportements de ces Français moyens. Fairy Tale est le résultat d’un travail d’investigation et d’observation impressionnant. J’irais même jusqu’à faire un parallèle avec l’oeuvre de Zola qui s’inscrit dans une volonté de s’approcher au plus près du réel. On retrouve ici une représentation crue et brute de la réalité sans pathos, ni enjolivement, ambition propre au courant réaliste et naturaliste.
Le roman audacieux d’une jeune auteure
Ne connaissant pas cette auteure, je me suis penchée sur sa bio. Et je dois dire que j’ai été impressionnée par la carrière d’Hélène Zimmer, âgée de 27 ans. Elle entame des études de lettres – son goût pour les Lettres, elle l’a reçu en héritage, une fois achevées, elle écrit et réalise un premier long métrage sorti en 2015 et intitulé À 14 ans. Elle entretient des rapports étroits avec le monde du cinéma au sein duquel, elle a tour à tour était actrice, réalisatrice et a contribué à l’écriture de divers scénarios. Artiste surdouée ? On est en droit de s’interroger au regard du premier roman détonnant qu’elle vient de publier. D’ailleurs Fairy Tale, salué par la critique, a reçu le Prix Marie-Claire en 2017.
Un sujet casse-gueule parfaitement maîtrisé
Ce qui frappe dans Fairy Tale c’est le choix du sujet. Hélène Zimmer nous fait partager le quotidien ordinaire, pour ne pas dire médiocre de Coralie vendeuse dans une grande enseigne de centre commercial. On entre dans sa vie étriquée, qu’elle partage entre son job peu réjouissant, où elle subit les remarques acerbes de son nouveau patron, et sa vie de famille tout aussi peu enviable. On découvre comment, par une succession de choix, plus ou moins conscients, l’on peut se retrouver prisonnier de sa propre vie. Jusqu’à l’asphyxie. Coralie se montre résignée et n’oppose aucune résistance à sa condition. Elle subit sa vie sans même essayer d’en prendre le contrôle. On assiste à la lente descente aux enfers de cette femme apathique. Hélène Zimmer ne laisse aucune chance à son héroïne. On sort déconcertée par ce personnage en proie à une totale passivité au regard des événements qui surviennent dans sa vie. Idée malicieuse de la part de cette auteure, la participation du mari à un programme de télé réalité. Fairy Tale c’est le nom du programme qui devrait permettre à Loïc – l’époux – de trouver du travail. Là également Hélène Zimmer brosse un portrait au vitriol de l’industrie des médias. Elle dénonce l’instrumentalisation par les médias de la détresse humaine, la manipulation intrinsèque à ce genre de programmes ayant pour fin de divertir un public de masse. Elle met en pièces la télé réalité, reflet d’une réalité imaginée, qui n’a aucune prise avec le réel. Rien que pour la manière avec laquelle l’auteure décrit le tournage, je vous conseille de vous plonger dans ce roman, il en vaut largement le détour, vous ne serez pas déçus.
Un style cru et une écriture clinique
Dénué de sentimentalisme superficiel, Fairy Tale est écrit dans un style cru. Les dialogues sont très présents, ce qui permet à l’auteure de créer cette atmosphère repoussante. Les uns et les autres s’invectivent continuellement, la vulgarité des échanges est soulignée. Tout le champ lexical de la mastication, déglutition… est développé. Les descriptions sont d’un réalisme sidérant, ce qui explique pourquoi je rapproche le travail d’Hélène Zimmer de Zola.
Le serveur apporte enfin l’andouillette de Fernanda. Les autres mâchent avec ardeur. Empoignent leur verre de vin de leurs mains graisseuses. Les mots sont rares. Les couverts s’entrechoquent. Les dents font mousser les pelletées de viande. Le vin rouge, trop clair, facilite la descente. Le jus coule sur les mentons. Coralie plisse les yeux, éblouie par le soleil qui se reflète sur la carrosserie des voitures. Elle enfourne le dernier bout de son burger qu’elle tasse à l’aide de quelques frites. Régurgite.
Coralie remplit son tube digestif comme si chaque bouchée le creusait davantage. Elle met en pièce le reste de la pizza. Se gave jusqu’au débordement.
Pauvreté psychologique des personnages
Seul bémol, la faiblesse des portraits psychologiques. Cette faiblesse peut s’expliquer tout simplement par le manque de richesse intérieure des personnages, qui de ce fait ne pratique pas l’introspection. Mais, je maintiens que j’aurais adoré découvrir les mécanismes en amont qui conduisent à une telle passivité face à l’existence et à un tel abandon de soi.
Conclusion
Rien que le fait que ce roman soit un ovni ambitieux devrait convaincre n’importe quel lecteur initialement récalcitrant ! 😉 Hélène Zimmer publie un ouvrage certes dérangeant, mais audacieux, et qui mérite d’être lu. Cette écrivain prometteuse est à suivre de près.
PREMIER ROMAN
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