Brit Bennett livre un premier roman déroutant, qui malgré certaines maladresses offre des passages d’une perspicacité fulgurante. Le cœur battant de nos mères interroge la place de la femme dans la société, le rapport à la maternité ainsi que les subtilités de la sexualité féminine. Nadia a dix-sept lorsqu’elle tombe enceinte de Luke, dont la carrière sportive s’est arrêtée prématurément des suites d’une blessure à la jambe marquant par la même occasion faute de moyens suffisants la fin de ses études universitaires. Quelques mois plus tôt, la mère de Nadia s’est tirée une balle dans la tête sans laisser de mots, ni d’explications, insinuant un sentiment d’abandon indélogeable dans le cœur de sa fille. Seule face à la disparition brutale de sa mère et au mutisme de son père, qui trouvera son réconfort en participant activement à la vie de la communauté noire religieuse à laquelle il appartient, Nadia tente de venir à bout de sa douleur en testant ses limites. Sur le point d’intégrer l’université, c’est également seule qu’elle devra faire ses choix et se déterminer. Brit Bennett écrit un roman sur la détermination, la capacité qu’à chacun de faire des choix, avec la part d’inconnu que cela comporte. Ses décisions prises dans la précipitation et l’urgence détermineront la trajectoire de sa vie. Le cœur battant de nos mères est également un roman sur la rivalité amicale. Brit Bennett a su saisir avec finesse les liens inextricables qui unissent Nadia, Luke et Aubrey – sa meilleure amie. L’auteure s’attaque avec férocité à la complexité des relations amicales et à l’ambiguïté du sentiment amoureux, offrant ainsi une analyse des comportements humains nuancée aux antipodes d’une vision manichéenne appliquant une séparation nette entre le mal et le bien, la duplicité et la sincérité. Néanmoins, sur certains aspects je trouve ce roman anachronique, puisque le secret qui plane sur la narration ne justifie pas tous ces non-dits. Au 21e siècle, je trouve cela dérangeant de traiter l’avortement de cette façon-là, il existe un décalage très net entre le propos de l’auteur et notre époque. En faire un tabou est symptomatique d’une régression.
Un page turner efficace et une analyse psychologique fine des comportements humains
Le cœur battant de nos mères se lit très facilement, le lecteur est emporté par une narration rapide et efficace. Brit Bennett analyse le désir féminin d’une plume alerte, elle excelle également dans l’art de décrire l’alchimie qui naît entre deux êtres, la complicité muette qui s’installe entre Nadia et Luke. L’auteure met le doigt sur ce lien charnel qui se tisse délicatement, sur le mécanisme d’attirance répulsion qui est à l’œuvre entre Nadia et Luke, tous deux conscients de l’incompatibilité de leur union. L’un est promis à de brillantes études suivies d’une carrière fulgurante tandis que l’autre a dû renoncer très tôt à ses rêves de jeunesse. L’un part, l’autre reste. Celui qui part éprouve une nostalgie tenace tandis que l’autre évolue tout en imaginant ce qu’aurait pu être sa vie. Ce roman est teinté d’une certaine fatalité. Chacun pour obtenir ce qu’il désire devra sacrifier une partie de lui-même. La liberté ne peut s’accompagner d’une stabilité et à contrario la sécurité ne sera acquise qu’au prix du renoncement à l’impétuosité. Ces thèmes sont souvent abordés en littérature, néanmoins la singularité de Brit Bennett réside dans sa capacité à décrire les profils psychologiques des personnages, ce qui guident leurs actions. On se glisse dans la peau de chacun d’eux à tour de rôle, l’auteure parvient à susciter de l’émotion chez le lecteur. Brit Bennett rend compte avec subtilité de la complexité des relations amicales, entre amitié et rivalité. Nadia renvoie à Aubrey ce qu’elle ne sera jamais, une femme libre, autonome, dont chaque décision prise est le fruit d’un processus rationnel. Une femme dont les possibilités sont infinies et qui très tôt aura conscience du désir qu’elle suscite et s’y laissera aller sans culpabilité. Nadia enviera chez son amie ce qu’elle n’a pas. L’attention naturelle qu’elle suscite autour d’elle, sa capacité à attirer l’empathie et la sympathie. Au-delà de la rivalité à l’œuvre entre les deux femmes, se matérialisant sous la forme d’un triangle amoureux, une amitié sincère les lie.
Un roman déroutant et anachronique
La façon qu’à l’auteure d’appréhender un sujet délicat tel que l’avortement m’a laissé un goût amer. La réaction de Luke m’a parue infantile. S’il juge bon d’abandonner Nadia à son sort en se déchargeant sur elle du poids de sa culpabilité, il ne parvient pas à faire le deuil de « leur bébé » huit ans plus tard… Cette façon également qu’à l’auteur d’employer l’expression « notre bébé », de façon répétitive comme une sorte de litanie dans la bouche de Luke manque cruellement de vraisemblance. Certains passages sont à la limite du grotesque, notamment lorsque Luke tente de faire le deuil de l’enfant qu’il n’a jamais connu en allumant une bougie. La quatrième de couverture spécifie que « les trajectoires des trois jeunes vont se croiser puis diverger, tendues à l’extrême par le poids du secret ». Cette insistance sur le caractère terrible du secret est racoleuse. Brit Bennett fait de cet évènement le nœud de l’intrigue à la manière d’un roman qui aurait pu être écrit il a plusieurs décennies.
Le narrateur est incarné par un groupe âgé de femmes pieuses appartenant à la communauté noire religieuse du Cénacle. Je n’ai pas compris ce choix de l’auteure qui n’apporte rien à la narration. L’avis d’un groupe de femmes âgés sur une question telle que l’avortement ne m’a pas particulièrement éclairée. J’ai trouvé leurs interventions par moment totalement déplacées, en décalage avec le récit. Ce choix narratif pèse sur le récit et dépose un voile de nostalgie inutile.
Les critiques concernant cet ouvrage sont dithyrambiques, ce que je ne m’explique pas. La plume de l’auteur est certes fluide et entraînante, mais il n’y a pas de style à proprement parlé. Peut-être est-ce un effet de la traduction, néanmoins le manque de style et de recherche de la langue ne justifient pas à mes yeux l’engouement qu’il suscite.
Conclusion
Le cœur battant de nos mères, pour les raisons évoquées plus haut, n’est pas un coup de cœur. Néanmoins, j’ai apprécié cette lecture, la façon qu’à l’auteur d’appréhender les relations humaines, de disséquer les différentes formes que peut prendre l’amitié et l’amour.
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PREMIER ROMAN
Valérie
novembre 11, 2017Mes élèves participant au Prix Elle des lycéennes, je l’ai lu. Je le trouve très en dessous des deux autres qu’elles ont reçu: le Nohant et Summer.
Books'nJoy
novembre 11, 2017Je partage votre avis, j’ai du mal à comprendre l’engouement pour ce roman ainsi que les critiques dithyrambiques de la presse… C’est un roman agréable à lire mais à mon sens, de par le style de l’auteure et son écriture plutôt simple, ce n’est pas un « grand » livre. Le Nohant est en effet au-dessus, néanmoins Summer ne m’a pas convaincue 🙁