Journaliste à Elle, magazine au sein duquel elle dirige la rubrique «Livre», chroniqueuse littéraire pétillante dans la célèbre émission Le Masque et la Plume et sur Télématin, où elle tient la rubrique «Mots», Olivia de Lamberterie a ce don exceptionnel de faire aimer les livres. Alors quel plus beau cadeau aurait-elle pu faire à ce frère disparu que de lui bâtir un tombeau fait de mots ? Matériau précieux dont elle s’enivre quotidiennement. Elle qui affirme ne jamais en être rassasiée, s’abreuver continuellement pour y puiser une certaine vérité, se voit couper l’herbe sous le pied lorsqu’elle comprend que son frère s’est suicidé. De la journaliste on a l’image d’une femme solaire et douce. C’est une autre facette qu’elle dévoile dans ce premier roman. Issue d’une famille bourgeoise, on l’imaginait privilégiée, préservée, comme évoluant dans un cadre ouaté. Et pourtant, la fatalité la rattrape ce matin du 14 octobre 2015. Ce n’est pas la première fois que le destin s’acharne sur sa famille. D’ailleurs la mort rode comme un spectre et s’abat principalement sur les hommes. Leur ôtant peu à peu l’envie de vivre. La mélancolie se diffuse insidieusement en eux, empoisonne les moments les plus heureux. Les plonge dans une atmosphère crépusculaire. La nuit finit par étendre tout à fait son emprise. Rien n’y fait, c’est un combat à armes inégales. Il est perdu d’avance. Le frère chéri, l’enfant prodige ne fait pas exception. Olivia de Lamberterie, fervente adepte de la pensée magique et ivre de vie, n’entend pas qu’on oublie l’homme rayonnant, l’ami excessif, le père aimant et le frère bourré de talent. Prendre la plume revient à le rendre vivant. À chanter le bonheur qu’il y avait à vivre auprès de lui, à lui rendre son éclat et à en finir avec la langue de bois. D’une grande sensibilité, la plume d’Olivia de Lamberterie immortalise un être lumineux, entier, un frère terriblement aimé dont elle respecte le choix. Même si cela implique de vivre amputée d’une partie de soi. Un premier roman extrêmement touchant.
Immortaliser par les mots
En prenant la plume, Olivia de Lamberterie tente de mettre des mots sur une douleur sourde qui l’étreint profondément. La perte d’un être cher, c’est toujours une épreuve, mais quand il s’agit d’un frère cadet, alors les choses prennent un autre sens. On fait l’expérience d’une temporalité inversée. Ce sont les parents qui devraient partir en premier, pas les derniers arrivés. Alex est le dernier d’une fratrie composée de trois sœurs. Cocon familial protégé. Les enfants grandissent dans un environnement familial serein, au cœur des beaux quartiers parisiens. Choyés, aimés, dorlotés. Certes, mais les silences pèsent. Car chez les Lamberterie, il y a des choses qui se disent et d’autres que l’on garde pour soi. Décence oblige. Pourtant une ombre plane au-dessus de la famille. Celle de ces hommes qui se sont donnés la mort. Plus qu’une manie, c’est une malédiction. Des suicides en série. La maladie frappe une première fois. Alex a à peine trente ans. Le signal d’alarme est tiré. Répétition de ce qui arrivera une dizaine d’années plus tard. Je crois que c’est à ce moment précis où en tant que lectrice je n’ai pas les moyens de saisir l’effroi qui a du traverser Olivia de Lamberterie. Car il me semble inconcevable d’imaginer ma sœur vouloir partir. Et pourtant comme l’auteure le dit si bien, cette décision ne nous appartient pas. Un passage m’a particulièrement saisi. Olivia de Lamberterie croise Anna Gavalda dans les rues de Paris, et celle-ci exprime une évidence avec une simplicité désarmante : «Oui, c’est triste, mais c’est ce qu’il voulait, alors c’est bien.» Tout simplement. La décision lui revient. Ni plus, ni moins. Et cela Olivia de Lamberterie a l’intelligence de ne pas le questionner. De ce frère flamboyant, il ne faut se souvenir que des bons moments. Ces instants de grâce volés à la maladie. Les mots ont ce pouvoir là. Immortaliser l’être aimé. Bloquer le temps pour un instant. Les mots permettent d’influencer la temporalité, de figer le temps. Stop. Arrêt. Rembobiner. Alex revit, Alex sourit. Alex est vivant. Est-ce une manière de vivre dans le passé ? Au contraire, je ne pense pas. C’est la meilleure manière d’apprivoiser la mort et de continuer à avancer sans pour autant l’occulter. Je partage ceci avec Olivia de Lamberterie, que les êtres chers, ceux qui ont réellement compté sont là. Toujours présents. Extension de nous-même ou réincarnation fantasmée, ils ne nous quittent pas. Belle manière de ne jamais les oublier. Le triomphe de la vie sur la mort. Avec toutes mes sympathies est un texte à la fois douloureux et lumineux. Il tient plus de l’hymne à la vie que de l’oraison funèbre. Une belle manière de célébrer son frère.
Conclusion
Si jamais vous n’avez jamais eu la chance de lire, écouter ou regarder Olivia de Lamberterie parler livres, il faut impérativement y remédier. Car rares sont ceux qui le font avec autant de talent. C’est le choix du roi, vous pouvez l’écouter sur France Inter, la regarder sur France 2 ou la lire dans Elle. L’émission Le Masque et la Plume est un régal. Petit bijou du dimanche soir, à écouter sans modération. Les chroniqueurs s’écharpent joyeusement avec une mauvaise foi qui frise l’indécence 😉 Olivia de Lamberterie tient également la rubrique «Mots», dans laquelle elle évoque ses coups de cœur. Et enfin, vous pouvez lire ces critiques dans le magazine Elle. À la fois bienveillante et sincère, Olivia de Lamberterie a cette capacité à trouver le ton juste pour parler littérature. Parce qu’elle m’a offert des moments de lecture formidables et parce qu’elle participe à cette transmission de l’amour des mots, je lui suis infiniment reconnaissante de nous confier son histoire. Elle fait une entrée en littérature remarquable et j’espère sincèrement que d’autres romans suivront. En attendant, je vous laisse découvrir celui-ci 🙂
PREMIER ROMAN
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