Sucre noir le second roman de l’auteur franco-vénézuélien Miguel Bonnefoy, souffle un vent de fraîcheur sur cette rentrée littéraire. Tout comme son premier roman, Sucre noir s’inscrit dans un courant littéraire bien précis, celui du réalisme magique. Le chef de file de ce courant est l’auteur colombien, nobelisé en 1982, Gabriel García Marquez, dont le célèbre ouvrage Cent ans de solitude illustre à la perfection l’intervention d’éléments magiques, irrationnels ou surnaturels dans un cadre réaliste. La promesse de Sucre noir est une promesse d’évasion. Miguel Bonnefoy livre un récit d’aventures, nous partons à la recherche du trésor perdu du capitaine Henry Morgan, dont le navire s’est échoué trois siècles plus tôt sur une île des caraïbes. Guidés par l’appât du gain les chercheurs d’or et explorateurs en tout genre se succèdent sur fond de piraterie, de commerce de rhum et de culture de la canne à sucre. Nous plongeons dans un univers magique, à la fois poétique et sensuel. Sucre noir est un récit qui oscille entre la légende, la fable et le conte moralisateur. Puisqu’une morale, surplombant telle une épée de Dame Oclès le destin des personnages, transparaît en filigrane dans le texte pour s’imposer à la fin du récit. Sucre noir est également une fable fataliste dénonçant la surexploitation des ressources naturelles. Cette volonté de puissance inhérente à l’homme prend la forme d’une quête inassouvie qui n’aura de cesse qu’une fois que tout sera détruit. Si la promesse est tenue dans un premier temps, l’histoire peine à fonctionner dans la seconde partie. La magie cesse d’opérer à mesure que les pages défilent, l’intrigue se délite et le lecteur reste à distance. Mon avis concernant cet ouvrage est mitigé, puisque je trouve que l’auteur ne va pas au bout de son projet. Si le projet est séduisant sur le papier, on reste néanmoins sur sa fin.
Sur les traces d’un trésor enfoui, symbole d’une quête inaccessible.
De prime abord ce roman a tout pour plaire et tranche avec les ouvrages vedettes de cette rentrée littéraire. Nous découvrons une famille modeste, retranchée dans les terres caribéennes. Une jeune fille, Serena Otero, à peine sortie de l’enfance, se rêve un destin romanesque. Portée par une imagination débordante, elle attend son prince charmant impatiemment. Malheureusement pour elle, l’homme qui surgit dans sa vie, semble bien plus intéressé par la perspective de devenir riche, en déterrant le butin du capitaine Henry Morgan, que de ravir le coeur de la jeune fille. Par ailleurs, Severo Bracamonte ne remplit aucunement les critères de beauté et de sensualité tant de fois rêvés par la jeune femme. Le temps faisant son affaire, des liens se tissent entre les deux jeunes gens, de leur proximité une complicité et une intimité naissent. Une quête en chasse une autre. La quête amoureuse se substitue bientôt à la quête initiale. Cette dernière perd de son attrait puisqu’elle se révèle infructueuse et vaine. Cette première partie évoque habilement l’apprivoisement entre deux êtres. Miguel Bonnefoy décrit avec beaucoup de poésie la naissance du sentiment amoureux et les fantasmes de l’enfance qui laissent place à une réalité plus sobre mais plus concrète.
Severo Bracamonte, chargé à présent d’une mission familiale, ne pensait plus au trésor. La volonté de trouver la vie dans le ventre de sa femme lui fit bientôt oublier l’or dans celui de la terre.
Sucre noir traite avant tout de l’incompatibilité entre nos rêves d’enfants – ou nos désirs relevant du fantasme – et la réalité crue de l’existence. Ceux qui feront le choix de vivre déconnectés de la réalité, s’attribuant un destin héroïque, se verront rattrapés par celle-ci et connaîtront une fin tragique. Telle une malédiction, l’avidité est punie par un coup du sort. Le trésor n’est pas toujours celui auquel on pense. Miguel Bonnefoy évoque la richesse de la nature, l’accomplissement de Severo Bracamonte passera par le travail de la terre. Jusqu’à l’entrée en scène d’Eva Fuego, j’étais intriguée par cette histoire troublante baignée de fantastique et de poésie. L’écriture musicale et fluide porte admirablement l’intrigue.
Severo ajouta que la canne à sucre l’avait tellement envoûté qu’elle lui avait appris la sagesse, les rythmes lents de la nature, et les plantations étaient devenues pour lui plus précieuses que tout l’or du monde. Il disait cela avec une forme d’exaltation :
– Non, la terre n’est pas si vide ici.
Un conte qui ne tient pas ses promesses jusqu’à la fin.
À partie du chapitre X, j’ai eu l’impression que Miguel Bonnefoy opérait un tournant narratif se traduisant par un réalisme plus prégnant au détriment de la composante magique. La narration s’étiole, la construction est moins tenue. Miguel Bonnefoy s’attarde sur des descriptions techniques de l’entreprise familiale qui ne m’ont pas passionnées. Le personnage d’Eva Fuego m’a paru un peu trop caricatural, elle représente l’archétype de la femme guidée par une ambition et une avidité dévorantes qui ne laissent pas de place aux sentiments humains. Dénuée de sensibilité, elle n’hésite pas à éliminer ses adversaires, elle s’avère aussi experte dans l’art de tuer une volaille que dans celui de diriger une multinationale. Cela aurait pu fonctionner, mais quelque chose d’imperceptible change dans la narration. Le lecteur est tenu à distance, on ne parvient pas à se sentir concerné par le destin atypique de cette Amazone. Il y a comme un voile opaque qui se dépose sur l’histoire. Dans cette partie, je n’ai pas retrouvé la beauté de la langue qui faisait le charme de la première partie. J’ai trouvé que l’auteur retenait sa plume, ne se laissait pas complètement aller. La prose de l’auteur manque de lyrisme. De manière inattendue, le dernier chapitre clôt le roman d’une façon touchante, toute la force moralisatrice se déploie dans ces dernières pages de l’épilogue.
Conclusion
Sucre noir, a été une lecture agréable mais elle ne me laissera pas un souvenir impérissable. Si la première partie tient ses promesses, la seconde s’avère un peu décevante. J’aurais aimé que Miguel Bonnefoy donne libre cours à sa prose lyrique et poétique. On sent comme une retenue recherchée de la part de l’auteur, qui ampute la narration de sa composante magique.
>>> RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 (#RL2017)
Mon évaluation : 3/5
Date de parution : 2017. Grand format aux Éditions Rivages, 200 pages.
CONTE
Qu'en pensez-vous ?