Qui se souvient de Jean Harlow ? Cette blonde platine à la carrière fulgurante, fauchée par la maladie au zénith de sa gloire. Son premier rôle, elle le doit au milliardaire Howard Hughes, qui l’a fait tourner dans Les anges de l’enfer. Le film la propulse au rang d’icône. Elle a à peine vingt ans. Sa beauté s’imprime sur la pellicule. La rondeur parfaite de ses seins, ce blond – quasi blanc – aux reflets incandescents et la couleur diaphane de sa peau sont sa marque de fabrique. Jean Harlow sera le premier sex-symbol hollywoodien. Quelques années plus tard, une autre blonde plantureuse marchera dans ses pas. Jean Harlow est une étoile filante du cinéma hollywoodien. Encensée dès ses débuts, adulée pour sa plastique parfaite, son histoire est celle d’un corps balloté, mutilé, sur lequel tous les regards sont rivés. Fardeau trop lourd à porter, surtout que Jean Harlow n’aspire qu’à une chose, être maman. Réconfort que la vie refuse de lui accorder. Elle est ferrée. Possession de la MGM. Des producteurs tyranniques qui entendent régenter sa vie au millimètre près. Sa liberté ? Elle l’a sacrifié sur l’autel de la célébrité. Régine Detambel réhabilite l’actrice cantonnée aux rôles de prostituées. Son jeu d’actrice se résumant à afficher son décolleté. Ce roman bref, d’une concision absolue, tout entier tourné vers son sujet, relate, dans un style clinique, un destin broyé par le star system hollywoodien. À travers la vie consumée de Jean Harlow, c’est l’envers du décor qui nous est révélé. Une industrie vorace, prête à dévorer les icônes qu’elle crée. Personnalités aussi vite encensées, qu’elle sont remplacées. Régine Detambel a t-elle choisi d’écrire ce livre au regard des événements récents survenus dans le monde du 7e art ? Puisque le timing est parfait. Elle dresse le portrait d’une époque que l’on pensait naïvement révolue. Le vrai sujet du roman est le corps de la femme violenté. Un outil que l’on maltraite. Dont l’unique corollaire est de plaire. La valeur d’une femme étant étroitement lié au désir qu’elle suscite.
Le corps de la femme : objet de désir et instrument de pouvoir
Il existe un paradoxe saisissant lorsqu’on évoque le corps de la femme. En particulier lorsque celui-ci est son instrument de travail. Tel est le cas des actrices, qui capitalisent dessus. À force d’être dévoilé, scruté sous toutes les coutures, admiré, critiqué, idolâtré, modelé, persécuté, affiné, shooté, gainé, palpé, ce corps qui leur appartient, ne leur devient-il pas étranger ? Jean Harlow sera l’une des premières actrices à en faire les frais. Pour accéder au rang de star, il lui faut troquer sa liberté. Au vue des critiques acerbes dont elle fait l’objet, elle comprend rapidement que ses talents d’actrice se résument à la profondeur de ses décolletés. Dès lors, son seul souci consiste à protéger ce qui fait son succès. Son beau-père la bat, son premier mari, le soir de leurs noces, la roue de coups, soit, mais que cela ne se voit pas, surtout. Le lendemain elle est attendue sur les plateaux. Afficher des bleus disgracieux sur ce corps sulfureux est inenvisageable. Élevée par une mère asphyxiante, un père qui s’est effacé devant un beau-père libidineux, qui lorgne la poitrine généreuse de sa belle-fille, tout en lui extorquant de l’argent. Jean Harlow n’aura connu des hommes que le pire. Son père la délaissait, son beau-père la convoitait et son premier mari la battait. Faute de pouvoir la satisfaire sexuellement, ce dernier cherchait à asseoir son autorité autrement. Sa satisfaction il la tirait des coups qu’il lui infligeait. Le corps de Jean Harlow est la cause de tous ses tourments. Puisque sous les raccords maquillage, les robes corsetées au décolleté pigeonnant et les lumières aveuglantes des plateaux de tournage, la réalité fait moins rêver. Son corps la fait souffrir atrocement. Douleurs au ventre, aux reins, au dos. Le statut hautement enviable de star de la MGM, de vedette de cinéma à l’époque de l’âge d’or d’Hollywood, implique de faire des concessions. Jean Harlow décède a seulement vingt-six ans. Elle fut la première icône glamour, jouissant d’une telle renommée, à finir broyée par l’industrie qui l’a élevée au rang de sex-symbol. À travers les lignes de ce plaidoyer, c’est toute une industrie qui est dénoncée. La place du corps de la femme dans la société est interrogée. En un siècle a-t-on réellement évolué ? Ou avance-t-on dorénavant masqué ?
Le 7e art : les choses ont-elles véritablement changé ?
L’année 2017 aura été marquée par le dévoilement successif de plusieurs affaires de viols dans le monde du cinéma. Attouchements, harcèlements, viols… La liste des crimes commis est longue et les inculpés nombreux. Harvey Weinstein est un de ces prédateurs. Corollaire positif, les langues se sont déliées. Les femmes victimes de harcèlements sexuels se sont senties plus libres d’en parler et plus à même d’être écoutées sans pour autant être jugées. Et pourtant, il semble évident que l’affaire Harvey Weinstein n’est pas un cas isolé. Mais seulement la face émergée de l’iceberg. Combien de femmes ont accepté de se prêter au jeu pour ne pas être sanctionnées ? Ne pas voir leur carrière s’arrêter ou ne jamais décoller ? Une sorte d’omerta régnait sur le monde du cinéma. De Jean Harlow à aujourd’hui, on est en droit de se demander si les choses ont réellement changé.
Conclusion
En écrivant Platine, Régine Detambel a parfaitement su capter les changements qui bousculent le monde du cinéma. Elle décrit une icône des années trente, terriblement actuelle. Les thèmes soulevés restent inchangés. La question du corps de la femme, de la sexualité, du pouvoir masculin et de son emprise sur ce qui ne lui revient pas de droit. Cette manière de s’approprier ce qui n’est pas à soit. Sous prétexte de s’en arroger les droits, moyennant compensations financières. Je ne connaissais absolument pas cette actrice hollywoodienne avant de découvrir ce roman, et je remercie sincèrement l’auteure d’avoir su rétablir la vérité et rendre hommage à cette femme au destin brisé.
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