Colombe Schneck renoue avec son histoire familiale en signant un roman très réussi qu’elle consacre cette fois-ci à son père, Gilbert Schneck. Les guerres de mon père s’inscrit dans la suite logique de son premier roman, L’increvable monsieur Schneck. Ce dernier avait été l’occasion pour l’auteure de lever le voile sur le flou entourant l’assassinat de son grand-père Max Schneck, en 1949. Fait divers dont les journaux de l’époque avaient fait des gorges chaudes. À la une s’affichaient des titres racoleurs et oh combien diffamatoires relatant les dérives d’une relation amoureuse homosexuelle qui s’était soldée par le cadavre de Max Schneck, homosexuel « notoire » et juif qui plus est, découpé en morceaux puis baladé par son jeune amant dans une valise… On comprend dès lors la nécessité pour Colombe Schneck de se pencher sur cet événement tragique de son histoire et de rétablir la vérité. Gilbert Schneck, quant à lui, avait seize ans lorsqu’il devient orphelin de père. Les drames, il en a connu, mais cette fois-ci il lui faut faire l’expérience de la honte. Colombe Schneck a réalisé un véritable travail de fourmi en se lançant dans la reconstitution de son histoire familiale. Histoire jalonnée par les blancs et dont elle ne dispose que de fragments. Car c’est bien de cela dont il s’agit. Dans une langue aérée et fluide, elle reconstitue morceau par morceau son héritage. Elle mène une enquête minutieuse. De l’exil de ses grand-parents, aux rafles menées par l’administration française, qui par un miraculeux hasard conjugué à l’aide précieuse de familles de résistants ont épargné son père, aux atrocités de la guerre d’Algérie, l’histoire de la famille Schneck fait s’entrecroiser la petite et la grande histoire. Celle également d’un peuple sans cesse contraint de tout abandonner pour se reconstruire ailleurs. Colombe Schneck retrace un destin familial douloureux et tortueux. Elle rend, par son travail de romancière un vibrant hommage à son père.
Un travail de reconstruction, une quête de vérité nécessaire
Face à une histoire familiale si mouvementée, il est compréhensible de chercher à faire émerger une trajectoire, un sens, une direction. Un grand-père assassiné dans des circonstances douteuses par un jeune homme qu’il connaissait bien. Une grand-mère éperdument amoureuse de son mari mais qui face aux incessantes infidélités d’un époux volage ne voit pas d’autres solutions que de demander le divorce. Un père terriblement aimant, parti trop tôt, qui ne pourra jamais répondre aux questions restées en suspens. Il faut à Colombe Schneck beaucoup de volonté pour se plonger dans ce travail de reconstitution. Travail fastidieux, qui a dû nécessiter de collecter en amont quantité d’information. Colombe Schneck mène une véritable enquête accumulant les preuves, témoignages, documents administratifs pour donner forme à son projet. Ce qui par moment peut donner un ton factuel au propos de l’auteure. Propos qui – je trouve – auraient gagné à être plus romancés, moins figés.
Colombe Schneck remonte jusqu’à l’exil auquel ont été contraints, chacun de leur côté, ses grands-parents. Juifs tous deux. La chute de l’Empire Austro-Hongrois au lendemain de la Première Guerre mondiale a accéléré l’antisémitisme déjà ancré dans la culture populaire. La menace persistante qui pèse sur eux, les contraint à tout abandonner pour éviter les pogroms. Arrivé en France, son grand-père, séducteur impénitent, tombe sous le charme de Paula devenue Paulette. Très vite les noces sont célébrées, le mariage consommé et la désillusion de Paulette constatée. En effet, Max Schneck n’est pas homme à se faire passer la corde au cou. Sa liberté, il y tient. De cette union, un enfant né. Un an avant qu’Hitler ne soit nommé chancelier du Reich, Gilbert voit le jour. L’enfant toujours souriant fait le bonheur de ses parents. Mais les événements en Europe ravivent les vieilles peurs qui avaient été abandonnées en même que leur nouvelle identité validée. Max, non naturalisé français, a conservé son statut d’étranger, doublé de ses origines juives cela le condamne à être déporté. Lui, qui toute sa vie a su passer entre les mailles du filet, parviendra à y échapper. Colombe Schneck retrouve la trace de sa grand-mère et de son père pendant la période de l’occupation. Elle explique, preuves à l’appui, l’acharnement de l’administration française à traquer les juifs. À classer, à effectuer des recensements, à déshumaniser leurs tâches. Avec stupeur, on découvre que la légion d’honneur a été attribué à un des hauts fonctionnaires en charge de l’extermination des juifs !?! Colombe Schneck obtient les noms de ceux qui ont aidé d’une manière ou d’une autre son père à survivre pendant cette période. On ne peut qu’imaginer l’émotion qu’a dû ressentir l’auteure en touchant au plus près de la vie de son père. De pouvoir enfin mettre des noms sur ceux qui ont fait qu’aujourd’hui elle est là. À écrire cet ouvrage. À leur rendre hommage. La mission qu’elle s’est assignée va la conduire jusqu’à la guerre d’Algérie. À travers les yeux de son père, si doux, on assiste aux violences commises par l’État français. Un état français, qui ne sort pas grandi de cet ouvrage. Collabo puis tortionnaire, Colombe Schneck ne l’épargne pas et en fait le coupable désigné des malheurs qui ont jalonnés la vie de son père.
Un roman passionnant
Au-delà des vertus cathartiques pour l’auteure d’un tel travail, je tiens à souligner que Les guerres de mon père se dévore. L’écriture fluide happe le lecteur dès la première page. L’auteure jongle entre son histoire familiale et son histoire personnelle. Se mettant en scène subtilement dans sa quête. Distillant des détails sur sa vie privée. La construction du roman est habile et concourt à la fluidité de sa lecture. Le style aéré de l’auteure m’a conquise. Seul bémol, on ne parvient pas forcément à cerner la personnalité psychologique de Gilbert Schneck. Malgré les recherches conduites par sa fille, ainsi que les anecdotes partagées, sa personnalité m’échappe. Toutes les clés ne nous sont pas données pour comprendre l’homme qui se cache derrière ce masque bienveillant. Peut-être est-ce tout simplement parce que l’auteure ne les a pas elle-même.
Conclusion
Les guerres de mon père, est un très beau roman autobiographique de cette rentrée littéraire d’hiver que je vous conseille vivement de vous procurer.
Qu'en pensez-vous ?