« Tout, finalement, découle de ce sentiment de terreur qui submerge l’homo sapiens devant la nature qui tout à coup le dépasse, qu’il ne comprend plus : pris de rage et d’effroi, il se met à détruire. Il domine, assiège et contrôle pour ne plus avoir peur. » L’appropriation de l’espace par l’homme – qu’il soit numérique ou écologique – est le grand sujet de Pierre Ducrozet. Alors que dans L’invention des corps la création ex nihilo de l’espace numérique permettait à l’homme de transcender sa condition d’être limité, et le transhumanisme apparaissait comme une alternative alléchante à l’inéluctable déchéance de nos facultés, Pierre Ducrozet prend la tangente. Il réfléchit à une nouvelle manière d’habiter le monde, en l’épousant, en s’accordant avec lui, plutôt qu’en l’asservissant. Le credo de son nouveau roman : accepter au lieu de lutter. Adam Thobias, professeur émérite et grand spécialiste des questions environnementales, est mandaté par les instances internationales pour opérer la transition écologique à l’échelle mondiale. Pour élaborer le « nouveau contrat naturel » – modèle alternatif reposant sur une organisation humaine en adéquation avec le monde environnant, il se voit allouer un budget mirobolant et prend la tête d’une équipe d’experts. Le réseau Télémaque. Un circuit de communication fermé, où vingt-quatre collaborateurs, dispersés dans le monde entier – des montagnes du Kamtchatka à la jungle birmane, de l’Arabie saoudite à Barcelone en passant par Shanghai, sont chargés d’espionner et de collecter un maximum de données. Sites sensibles, gisements pétroliers, esclavage forcé, populations spoliées… Les pratiques criminelles des acteurs du capitalisme débridé, avides d’énergie pour alimenter un système économique essoufflé, sont recensées. À quoi est destiné ce matériel hautement confidentiel ? Quel dessein poursuit Adam Thobias, qui s’insurge contre l’inertie des gouvernements depuis quarante ans ? Militant ou écoterroriste ? Activiste brillant ou illuminé ? Loin de proposer une vision manichéenne consistant à rejeter tous les apports de la modernité, Pierre Ducrozet propose une réflexion ontologique intelligente et exaltante : il revient à l’homme de se servir du mouvement permanent favorisé par la mondialisation, du flux d’idées constant comme d’un levier pour penser le monde autrement.
Notre modèle ne peut pas fonctionner. Tous les piliers sur lesquels reposent nos démocraties sont rongés : le pacte économique (la chance pour tous est un leurre), le pacte politique (la représentation est une farce), le pacte légal (la corruption est le mal universel), le pacte bio-écologique. Sur ces colonnes brisées, aucune société ne peut plus s’établir.
L’hyper-capitalisme est une guerre, avec plusieurs fronts, des batailles et des morts, une avancée tranquille vers le néant.
Du même auteur…
- L’invention des corps (Prix de Flore 2017)
Découvrez d’autres ouvrages de la rentrée littéraire 2020 (#RL2020)
- Fille de Camille Laurens
- Un jour ce sera vide d’Hugo Lindenberg
- Les frères Lehman de Stefano Massini
- La fabrique des salauds de Chris Kraus
Date de parution : 2020. Éditions Actes Sud, 368 pages.
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