Et vous, comme réagiriez-vous si vous vous retrouviez nez à nez avec votre double ? Non pas votre reflet, mais celui que vous étiez il y a quelques années. Vous seriez sans doute décontenancé, un brin effrayé. Prêt à suivre de près celui qui vous a volé votre identité, à lever le voile sur cette rencontre fortuite et particulièrement dérangeante. C’est cette expérience que le narrateur raconte à Lena. Ou peut-être Magdalena. Puisque la femme à qui il confie son histoire, il ne l’a pas choisie au hasard. Portrait craché de la femme qu’il a aimé, il y a de ça des années et qu’il a fini par quitter. Envoûtant ce dernier roman de Peter Stamm. L’auteur joue avec son lecteur, c’est un prestidigitateur. Brouillant les pistes, louvoyant à travers le temps. Un temps fragmenté rendant possible les retours en arrière et bonds en avant, faisant coïncider passé et présent dans une simultanéité troublante. La construction du texte est exemplaire. Elle donne l’impression au lecteur d’évoluer dans un palais des glaces dans lequel les miroirs reproduiraient à l’infini le reflet du sujet qui s’y regarderait. L’intrigue est labyrinthique. Véritable kaléidoscope d’époques qui se télescopent, le passé se soustrayant au présent, effacé à la manière d’un fichier écrasé. Peter Stamm signe un roman brillant qui entremêle fantasme et réalité et où le lecteur désorienté finit par perdre pied. Une réflexion étourdissante sur la construction de l’identité et l’idée illusoire d’une réalité immuable. Pour apprécier la beauté de ce texte encore faut-il que le lecteur accepte de ne pas tout maîtriser. De se laisser envoûter par la subtilité de la construction et la finesse d’une écriture où tout est suggéré. La douce indifférence du monde est un roman d’atmosphère auréolé de mystère, progressant à la lisière du surnaturel. Peter Stamm se plaît à faire s’enlacer les destins, s’entrecroiser les acteurs, sans jamais donner les clés à son lecteur. Il ne laisse rien filtrer. La dernière page du roman tournée, le mystère reste entier.
Roman d’atmosphère
Au-delà de l’intrigue à proprement parler, des nœuds de tension ou des dénouements spectaculaires, peu révélateurs du talent d’un auteur, pour moi la force d’un roman réside dans la capacité de celui qui écrit à hypnotiser le lecteur, à créer une atmosphère propice à l’emporter. Peter Stamm impose d’emblée un style bien particulier. D’histoire il n’y en a pas. Il s’agit plutôt d’une errance, d’une ballade dans les souvenirs confus d’un homme persuadé d’avoir croisé son alter ego. De là, il s’interroge, doit-il tenter d’influer sur la destinée de son double ou laisser les choses se dérouler sans intervenir. Tout d’abord piquée, la curiosité vire à l’obsession. La douce indifférence du monde est une histoire d’emprise. De tension psychologique. Le rythme est lent, les scènes banales. Mais derrière cette apparente quiétude, se devine un homme tourmenté à l’esprit agité. Alors, tout cela ne serait qu’une illusion, le fruit d’un esprit malade en proie aux hallucinations. Une sorte de rêve éveillé. Mais comment expliquer tous les petits détails amassés, révélateurs de l’intimité de ces étrangers. Peter Stamm soulève mille questions. Le lecteur se met à douter. Il est balloté au gré du courant, oscillant entre le plausible et le fantastique. L’auteur maîtrise jusqu’au bout la mécanique de son roman, qui est tout simplement éblouissant.
Conclusion
Je préfère directement mettre les points sur les «i» et les barres sur les «t», le livre de Peter Stamm ne fera pas l’unanimité. Tout repose sur l’atmosphère créée par l’auteur. On est maintenu dans un brouillard opaque, avançant à l’aveugle sans que les éléments apportés ne répondent véritablement aux questions soulevées. En revanche, les amateurs de thrillers psychologiques y trouveront leur compte 😉
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