Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître : le premier roman d’Olivier Bourdeaut, En attendant Bojangles, est tout simplement jubilatoire ! L’auteur nous fait découvrir un univers surréaliste, bigarré et ingénu. Lire ce roman équivaut à plonger tête la première dans le monde merveilleux d’Alice au pays des merveilles. On est happé, entraîné dans une succession de situations décalées, de dialogues loufoques, de démonstrations d’amour féroces, et tout ça sur le rythme endiablé du titre « Mr. Bojangles » de Nina Simone. Ce livre est mon premier gros coup de coeur de l’année 2017, il est à lire, relire et rerelire !
« – Donnez-moi le prénom qui vous chante ! Mais je vous en prie, amusez-moi, faites-moi rire, ici les gens sont tous parfumés à l’ennui ! »
« – Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien, ce serait dommage de nous en priver. »
Résumé
Devant leur petit garçon, ils dansent sur « Mr. Bojangles » de Nina Simone. Chez eux, il n’y a de place que pour le plaisir et la fantaisie. Celle qui mène le bal, c’est la mère, feu follet imprévisible. Elle les entraîne dans un tourbillon de poésie pour que la fête continue, coûte que coûte. L’amour fou n’a jamais si bien porté son nom.
Gallimard
Une folie maîtrisée
L’auteur aborde avec brio le thème pourtant douloureux et délicat de la folie. La singularité du roman réside dans le fait que le père ne cherche pas à imposer la réalité à sa femme, ni le fils à sa mère. Au contraire, ils se prêtent complètement au jeu. La folie est envisagée non pas comme une maladie mais comme une source d’amusement. Les complications et préoccupations sont reléguées au second plan, si ce n’est le dernier. Le mari appelle sa femme tous les jours par un prénom différent : Renée, Georgette, Marguerite, Hortense, Colette, Constance, Eugénie… Ils protègent l’univers qu’elle s’est créee pour que la magie ne cesse jamais d’opérer. Leur rôle est d’alimenter sans arrêt son quotidien en fantaisies et loufoqueries.
Le père : « Et moi dans ce cirque, j’avais accepté d’endosser le rôle de Monsieur Loyal, d’enfiler une redingote à breloques, de mettre en scène les envies, les concours, les orgies, les fantaisies et, avec ma baguette, tenter de diriger ces folles opérettes. Pas une journée sans son lot d’idées farfelues, pas une soirée sans dîners improvisés, sans fêtes impromptues. »
Dès le début le mari a pris le parti d’accepter sa folie, elle fait partie intégrante de leur vie. Il fait un pari sur l’avenir : celui de maîtriser cette démence le temps qu’il le pourra. Il ne leur reste plus alors qu’à profiter du laps de temps qu’elle leur laissera. Ce livre est une course contre la montre. Chaque moment est précieux, il faut le savourer, ils ne peuvent pas se permettre de vivre séparés.
Le père : « J’étais conscient que sa folie pouvait un jour dérailler, ce n’était pas certain mais, avec un enfant, mon devoir était de m’y préparer, il ne s’agissait plus désormais de mon seul destin, un bambin y serait mêlé, le compte à rebours était peut-être lancé. Et c’est sur ce « peut-être » que tous les jours nous dansions et faisions la fête. »
Des personnages déjantés
La mère est terriblement attachante. Elle est consciente de qui elle est, et peut s’avérer étonnante de lucidité.
« De toute façon, j’ai toujours été un peu folle alors un peu plus un peu moins, ça ne va pas changer l’amour que vous avez pour moi, n’est-ce pas ? »
Elle joue son rôle à la perfection, se met en scène et nous offre des moments savoureux :
« […] Papa lui apporta une couronne en carton de la galette des rois, mais elle la refusa et s’exclama en riant :
– Je suis la reine des fous, apportez-moi plutôt une passoire ou un entonnoir, à chacun son royaume, à chacun son pouvoir ! »
L’amour qui lie le père et la mère est indéfectible. Et c’est cet amour qui est retranscrit à travers les yeux de leur petit garçon, témoin de la folie de la mère et de la connivence du père. Ce roman donne une belle leçon d’humanité. On ne cesse pas d’aimer parce que l’autre est imparfait. C’est justement cette originalité, l’extravagance de cette femme qui l’a charmé et envoûté. En attendant Bojangles, est empreint d’humour et de légèreté. C’est cette frivolité qui permet d’édulcorer la souffrance et la tristesse qui finissent par tomber comme un couperet. Cette union originale frappe par sa marginalité, son refus d’adhérer aux règles élémentaires de la société et de la vie en communauté. Le courrier reste fermé, les impôts impayés.
« Je voyais bien qu’elle n’avait pas toute sa tête, que ses yeux verts délirants cachaient des failles secrètes, que ses joues enfantines, légèrement rebondies, dissimulaient un passé d’adolescente meurtrie, que cette belle jeune femme, apparemment drôle et épanouie, devait avoir vu sa vie passée bousculée et tabassée. Je m’étais dit que c’était pour ça qu’elle dansait follement, pour oublier ses tourments, tout simplement […] Je m’étais dit que j’étais moi aussi légèrement frappé de folie et que je ne pouvais décemment pas m’amouracher d’une femme qui l’était totalement, que notre union s’apparenterait à celle d’un unijambiste avec une femme tronc, que cette relation ne pouvait que claudiquer, avancer à tâtons dans d’improbables directions. »
La poésie du récit et le travail sur les sonorités
La prose de l’auteur est sublime. L’écriture est mélodieuse, on sent que l’auteur a travaillé l’harmonie de son livre en jouant sur les sonorités. Cette musique renforce la dimension poétique. Le lecteur relèvera un très grands nombres d’assonances. Par assonance on entend la répétition de voyelles à la fin de chaque phrase. L’assonance, de même que l’allitération a pour visée l’harmonie imitative, la répétition du même timbre vocalique. L’auteur nous livre un récit aux consonances harmonieuses. Il existe une affinité entre les sons, une uniformité. Cette maîtrise de la langue, du rythme et du récit attestent du talent fou de l’auteur. Il dirige son récit avec une facilité déconcertante. Il joue avec les sonorités. Le rythme ne s’essouffle jamais, la dynamique est maintenue. En attendant Bojangles est une lecture en flux tendus, à un rythme effréné.
Conclusion
Si vous ne vous l’êtes pas déjà procuré, un seul conseil courez chez votre libraire le plus proche l’acheter ! 😉 Promis, vous ne le regretterez absolument pas. Olivier Bourdeaut fait mouche avec son premier roman, En attendant Bojangles. Rien d’étonnant à ce qu’il ait remporté pas moins de trois prix littéraires : le Grand Prix RTL-Lire 2016 / le Prix France Télévisions 2016 et Le Prix du roman des étudiants France Culture-Télérama 2016.
>>> Chronique du second roman d’Olivier Bourdeaut par ici !
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