Couleurs de l’incendie est le second volume d’une saga familiale rocambolesque entamée avec le cynique, mais non moins savoureux, Au revoir là-haut. Récompensé par le Prix Goncourt en 2013. Plébiscité par le public et salué par la critique il avait connu un franc succès. En lice pour de nombreux prix littéraires, il avait finalement raflé le plus prestigieux. À l’annonce d’une suite, se posait dès lors la question légitime de sa valeur. Le second opus serait-il à la hauteur du premier ? Eh bien, pour moi c’est un OUI catégorique. Véritable page turner, ce roman est à la hauteur de mes attentes. Au revoir là-haut, mettait l’accent sur la difficulté pour les vétérans de la Grande Guerre de se réinsérer dans une société qui ne demandait qu’à les oublier. Cet opus, quant à lui, nous plonge dans le Paris tumultueux des années 30. Couleurs de l’incendie se concentre sur le destin de Madeleine Péricourt. Fille du richissime banquier Marcel Péricourt. Sœur du fantasque Édouard Péricourt – artiste homosexuel renié par son père et « gueule-cassée » de la guerre 14/18. Ex-épouse du lieutenant Henri d’Aulnay-Pradelle – dont l’activité florissante de profanateur de tombes s’est soldée par la case prison. Cette formidable fresque historique portée par une plume alerte et un souffle époustouflant, s’ouvre sur les obsèques du patriarche. Seule héritière d’une fortune familiale colossale, Madeleine Péricourt se retrouve à la tête d’un empire financier considérable. Mère célibataire et novice en affaires, elle fait figure de proie idéale pour les vautours qui gravitent autour de la famille Péricourt. Tous bien décidés à faire main basse sur l’héritage. À cette situation délicate, s’ajoute le handicap de son fils, devenu paraplégique suite à une chute au cours des obsèques de son grand-père. Vulnérable et isolée, Madeleine est victime d’un complot parfaitement huilé et voit sa situation d’héritière basculer. Animée par un esprit vengeur, elle entend faire payer le prix fort à ceux qui l’ont dupée. Pierre Lemaitre imagine un Paris où banquiers peu scrupuleux, politiciens véreux et voyous à la petite semaine composent un tableau pétulant. Et cela pour notre plus grand bonheur de lecteur.
Une suite à la hauteur des attentes !
À sa sortie, Au revoir là-haut avait connu une presse dithyrambique. Pierre Lemaitre, plus connu pour ses romans policiers s’était aventuré au roman historique et avait relevé le pari avec brio. Il choisit dans la suite d’Au revoir là-haut de faire de Madeleine Péricourt le personnage central de l’intrigue, et c’est une idée lumineuse. Résolument moderne, cette femme au destin hors du commun se révèle bien plus astucieuse dans Couleurs de l’incendie que celle découverte dans le premier ouvrage de la série. La Madeleine que le lecteur avait quitté en refermant Au revoir là-haut était une femme plutôt naïve. L’ex-épouse d’un arriviste qui avait fait de la profanation de tombe son fond de commerce. En effet, fin calculateur le lieutenant Henri d’Aulnay-Pradelle, de retour du conflit réalise le manque à gagner qu’il y aurait à signer un contrat avec l’État visant à enterrer correctement les soldats tombés au combat tout en remplissant les cercueils de pierres, voire de soldats allemands. Parallèlement, Édouard Péricourt, désavoué par son père pour ses penchants homosexuels et son ambition artistique, se lance dans une escroquerie de grande envergure, avec son compagnon d’infortune Albert Maillard, en simulant la livraison de Monuments aux morts. Monuments qui ne verront jamais le jour. Si le ton de ce premier opus était résolument cynique, le second se veut vengeur. Madeleine n’entend pas se faire flouer aussi facilement. Si sa candeur lui a coûté son héritage, elle ne compte pas laisser ses bourreaux impunis. Se met en place une lente machination sous la houlette de Madeleine. Pierre Lemaitre signe un roman réjouissant où chacun en prend pour son grade. Il passe ainsi toutes les strates de la société au peigne fin en prenant soin d’égratigner toutes les professions.
Un portraitiste de génie
J’ai été étonnée de découvrir que le récit s’articulait autour de Madeleine, sachant que celle-ci n’occupait qu’une place secondaire dans le premier tome. Légèrement en retrait, je craignais que le roman ne pâtisse du manque de fraîcheur de son héroïne. Quelle erreur ! C’est tout l’inverse. Le déclassement dont est victime Madeleine, la propulse au devant de la scène. On découvre une femme autonome et déterminée. Elle s’avère contre toute attente être une héroïne résolument moderne. Le duo formé par Madeleine et son fils handicapé est terriblement attachant. Pierre Lemaitre a un don pour planter ses personnages. Dresser le portrait d’une société à travers ses membres. Les années trente ne sont pas seulement des années d’effervescence artistique, ni de bouillonnement intellectuel mais également une période sombre où les conflits politiques font rage. Pierre Lemaitre dans Couleurs de l’incendie parvient avec doigté à dessiner les contours d’une société en pleine crise identitaire, encore aveugle aux bouleversements politiques majeurs qui se jouent en coulisse. Et, dont chacun mesurera bien assez tôt la portée.
Conclusion
Couleurs de l’incendie est certainement LE roman le plus attendu de cette rentrée littéraire d’hiver 2018. Vous commettriez une grave erreur en passant à côté de ce récit rocambolesque, où les retournements de situations et péripéties se succèdent sans laisser au lecteur le soin de reprendre son souffle. Un roman à lire d’urgence ! Maintenant, il ne nous reste plus qu’à espérer que Pierre Lemaitre ne nous livre pas l’ultime tome de la trilogie d’ici quatre ans.
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