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Les Furies, Lauren Groff : les dessous d’un mariage aux apparences trompeuses

Les Furies, en anglais « Fate and Furies » (Fortunes et Furies), a été élu meilleur roman de l’année 2015 par Barack Obama. Il n’en fallait pas plus pour en faire un succès planétaire. Autant le dire tout de suite, je ne partage pas du tout l’avis général concernant l’ouvrage de Lauren Groff. Décrit comme subversif et corrosif, je le trouve pour tout dire passablement ennuyeux et long. Même très long pour être tout à fait honnête. Les critiques le présentent comme une critique acerbe du mariage et de ses non-dits. Personnellement je ne comprends pas pourquoi ce roman a été écrit. En le refermant j’ai juste été soulagée de l’avoir terminé. Je suis restée totalement hermétique au livre. Lauren Groff avec Les Furies ne m’a communiquée aucune émotion. La plume de l’auteur y est pour beaucoup puisque je la trouve saccadée, hachée, entrecoupée. Celle-ci marque une distance avec le lecteur. C’est toujours délicat d’émettre un avis négatif sur un livre, puisqu’il est évident que d’une part je respecte le travail de l’auteur et d’autre part cet avis n’engage que moi. Néanmoins, je vais tout de même m’efforcer d’expliquer pourquoi j’ai été déçue par Les Furies de Lauren Groff, ouvrage pourtant extrêmement prometteur sur le papier.

Résumé

« Le mariage est un tissu de mensonges. Gentils, pour la plupart. D’omissions. Si tu devais exprimer ce que tu penses au quotidien de ton conjoint, tu réduirais tout en miettes. Elle n’a jamais menti. Elle s’est contentée de ne pas en parler. »

Ils se rencontrent à l’université. Ils se marient très vite. Nous sommes en 1991. À vingt-deux ans, Lotto et Mathilde sont beaux, séduisants, follement amoureux, et semblent promis à un avenir radieux. Dix ans plus tard, Lotto est devenu un dramaturge au succès planétaire, et Mathilde, dans l’ombre, l’a toujours soutenu. Le couple qu’ils forment est l’image-type d’un partenariat réussi.

Mais les histoires d’amour parfaites cachent souvent des secrets qu’il vaudrait mieux taire. Au terme de ce roman, la véritable raison d’être de ce couple sans accrocs réserve bien des surprises.

Éditions de l’Olivier

booksnjoy - les furies - lauren groff

La promesse d’un ouvrage subversif et puissant…

Les Furies débute par la vision du jeune couple, récemment marié, formé par Lotto et Mathilde. Ils incarnent à eux deux tous les espoirs de la jeunesse. Totalement épris l’un de l’autre, il émane de leur couple une évidence et une grande vitalité. L’auteur dès le premier chapitre a des mots très beaux :

Entre leurs deux peaux, le plus fin des espaces, à peine assez pour l’air, pour ce voile de sueur qui à présent refroidissait. Et pourtant, un troisième personnage, leur couple, s’y était glissé.

Cette remarque pertinente de Lauren Groff sur la place que prend le couple dans le couple m’a fait penser à mes cours de mathématiques en classes préparatoires. En effet, la notion d’intersection – et non pas d’union – permet d’appréhender cette troisième entité du couple. La distinction est on ne peut plus simple : l’intersection, c’est ce qu’il y a en commun, l’union la totalité ! L’intersection entre Lotto et Mathilde, soit cette troisième entité « le couple », recoupe tout ce que chacun d’eux souhaite montrer à l’autre. Cela revient à tracer deux cercles et à ne prendre que ce que les cercles ont en commun. Il advient alors que tout ce qui est propre à chacun en dehors de cette intersection et qui reste donc caché à l’autre, n’est absolument pas visible au sein du couple. Et c’est cette partie immergée qui intéresse Lauren Groff. Ces non-dits, cachotteries, mensonges, secrets… Ces zones d’ombre du mariage qui échappent aux années. L’ouvrage semble prometteur, nous allons découvrir les dessous psychologiques d’un couple. La manière qu’à chacun de percevoir les événements et d’en tirer des conclusions sur lesquels il bâtira l’image même de son couple. J’aurais aimé voir ce sujet réellement traité, le couple décortiqué, mis à nu afin d’observer chacun des rouages de cette mécanique qu’est le couple. Mais comme vous vous en doutez, vu mon manque d’enthousiasme en introduction, Les Furies fut une lecture toute autre.

…qui s’est avéré plutôt ennuyeux 

Le titre anglais « Fate and Furies » (Fortunes et Furies) préfigure le découpage narratif du roman Les Furies en francais. La première partie, consacrée à la vision du mari, retrace le parcours auréolé de succès de Lotto devenu un éminent dramaturge après avoir échoué en tant que comédien. Lotto qui ne s’est jamais remis du décès prématuré de son père, a des comportements enfantins, se montre égocentrique et à la limite de la misogynie. Mathilde consacrera une grande partie de sa vie à le materner. Avant que celui-ci ne trouve sa voie, la discrète et parfaite Mathilde sera en charge de leur situation financière. Elle portera leur couple à bout de bras. La chance tournera un soir où, après avoir trop bu, Lotto lancera le premier jet d’une pièce de théâtre. Lue par Mathilde, celle-ci détectera immédiatement le potentiel de l’écrit providentiel et poussera son mari à devenir dramaturge. À partir de là, se succéderont de nombreuses pièces. Mathilde restera dans l’ombre de son mari, indispensable à son bien-être et occupant la place de soutien indéfectible. Se pose la question particulièrement intéressante de la place qu’occupe la femme d’un génie. Quel rôle joue dans le couple la femme d’un grand homme ? Mais là également, je ne trouve pas clair le point de vue de l’auteur. La première partie est longue, j’attendais avec impatience le retournement promis à la seconde partie. Je m’étais figurée une volteface à la Gone Girl. J’ai été plus que déçue. La deuxième partie qui s’ouvre sur Mathilde devenue veuve, est certes plus déroutante que la première mais je n’ai pas réellement été prise de cours. La fidèle épouse ayant évolué pendant une vingtaine d’années dans le sillage de son mari, se retrouve esseulée. On découvre alors ses petits secrets, ses origines, son parcours avant sa rencontre avec Lotto et leur mariage éclair. Se posent les questions suivantes : Sait-on véritablement avec qui l’on fait sa vie ? Est-il possible de passer sa vie auprès d’un inconnu dont les secrets les plus intimes restent perpétuellement tus et enfouis ? Cette partie, contrairement à la première, est bien plus intéressante. Cela s’explique tout simplement par la plus grande complexité psychologique qu’offre le personnage de Mathilde. D’une plus grande profondeur que Lotto, cela se ressent dans la partie qui lui est consacrée. J’ai commencé à apprécier l’ouvrage à partir de la page 300…

De l’enthousiasme à la déception : une écriture saccadée

J’accorde énormément d’importance à l’écriture de l’auteur quand je me plonge dans un ouvrage. Celle-ci peut tout à fait compenser une intrigue sans beaucoup d’intérêt ou des personnages antipathiques. Or là le problème est l’écriture elle-même. C’est même le gros point faible, je trouve, du roman. L’écriture est hachée, il faut souvent revenir en arrière pour déceler la connexion logique entre deux phrases ou deux paragraphes. J’ai également dû à plusieurs reprises relire une phrase dont le sens m’avait échappé et était peu clair. Il m’est même arrivé d’abandonner la lecture d’un paragraphe qui semblait tomber du ciel et avoir été placé au petit bonheur la chance dans le texte. Je me rends compte que je suis assez dure dans ma critique mais ayant lu les 427 pages du roman, je considère que j’ai un peu le droit de donner mon avis. 😉 Roman traduit de l’anglais, le manque de fluidité est peut-être à mettre sur le dos de la traduction.

Conclusion

Si je fais abstraction de la fin du roman, cet ouvrage s’est avéré plus décevant que je ne l’imaginais. Après tant d’éloges je m’attendais à un récit d’une autre envergure. Les 100 dernières pages peinent à compenser le restant du livre Les Furies de Lauren Groff. Dont même le titre sonne faux, exagéré. J’ai conscience de l’engouement pour ce roman donc je ne me permettrais pas de vous déconseiller de le lire peut-être décèlerez vous ce que je n’ai pas réussi à voir, qui sait ? 😉

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Croire au merveilleux, Christophe Ono-Dit-Biot : retrouver l’enfant en soi et se sauver grâce à la magie des mythes

Croire au merveilleux s’inscrit dans la suite de son précédent roman Plonger (2013). Christophe Ono-Dit-Biot avait déjà mis la barre très haut avec Plonger, lauréat du Grand prix du roman de l’Académie française 2013 et du Prix Renaudot des Lycéens la même année. Avec Croire au merveilleux il récidive. Devenu veuf, César ne se remet pas de la disparition de Paz. Morte noyée, la mère de son fils hante ses pensées. Croire au merveilleux est le roman d’une résilience, d’une renaissance. Celle d’un homme qui ayant perdu la femme qu’il aime, ne parvient pas à incarner une figure paternelle stable pour son fils. Fils dont les traits lui rappellent ceux de Paz. Cette ressemblance troublante empêche l’auteur de faire abstraction de la mort de sa compagne pour se consacrer pleinement à son fils. César, véritable esthète, entamera par le biais d’une rencontre appariée à son goût pour la culture gréco-latine un processus de deuil. D’une grande érudition, Christophe Ono-Dit-Biot nous emporte dans un récit où l’art, la mythologie antique, les paysages…ont des vertus thérapeutiques et sauvent les âmes égarées portant le poids d’un grande souffrance. Roman solaire d’une grande sensualité Croire au merveilleux est, sans mauvais jeu de mots, tout simplement merveilleux !! 😉

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Bel-Ami, Maupassant : l’ascension sociale d’un opportuniste (#ClassicBooks)

Je considère que Bel-Ami est le roman le plus abouti et le plus puissant écrit pas Guy de Maupassant. Roman réaliste à la plume incisive, l’auteur dépeint avec brio la société française bourgeoise du milieu du 19e siècle. En s’évertuant à se rapprocher au plus près du réel afin de réaliser une représentation fidèle de cette société, le roman gagne en puissance. C’est ce qui rend cette oeuvre intemporelle et terriblement d’actualité. Parvenu au sommet par l’intermédiaire des femmes, Bel-Ami retrace le parcours de cet arriviste. La société du 19e siècle est décortiquée. La montée du capitalisme est analysée avec virtuosité, l’argent occupe une place centrale tout au long du roman – de l’incipit à l’épilogue : l’argent ouvre et clôt Bel-Ami. L’influence exercée par les femmes est soulignée et mise en valeur tout au long du récit. Bel-Ami ne serait rien sans les femmes qui ont jalonné sa vie. Elles oeuvrent dans l’ombre, tirent les ficelles, manigancent… Le statut des femmes étant soumis à cette époque au code civil français de 1804, dit « Code Napoléon » qui exclut totalement les femmes de la vie politique, leur interdisant formellement d’exercer une quelconque influence dans ce domaine. Bel-Ami est un chef d’oeuvre de la littérature, si je devais choisir deux romans parmi tous ceux que j’ai eu l’occasion de lire jusqu’à présent, je citerais sans hésiter Bel-Ami et Au bonheur des Dames de Zola. Découverts au lycée je ne me lasse pas de les lire et relire. La richesse de Bel-Ami est telle qu’il ne suffit pas d’une ou de deux lectures pour en capter toute la profondeur. La densité de l’oeuvre est telle qu’elle nécessite d’être lue à différents moments de sa vie pour l’envisager d’un oeil différent à chaque fois.

Résumé

Georges Duroy, dit Bel-Ami, est un jeune homme au physique avantageux. Le hasard d’une rencontre le met sur la voie de l’ascension sociale. Malgré sa vulgarité et son ignorance, cet arriviste parvient au sommet par l’intermédiaire de ses maîtresses et du journalisme. Cinq héroïnes vont tour à tour l’initier aux mystères du métier, aux secrets de la mondanité et lui assurer la réussite qu’il espère. Dans cette société parisienne en pleine expansion capitaliste et coloniale que Maupassant dénonce avec force parce qu’il la connaît bien, les femmes éduquent, conseillent, oeuvrent dans l’ombre. La presse, la politique, la finance s’entremêlent. Mais derrière les combines politiques et financières, l’érotisme intéressé, la mort est là qui veille, et avec elle, l’angoisse que chacun porte au fond de lui-même.

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Un roman d’apprentissage réaliste 

Bel-Ami est un roman dit réaliste. Petit point culture ! 😉 Le réalisme est un mouvement artistique et littéraire qui voit le jour dès le milieu du 19e siècle et vise à offrir la représentation la plus fidèle possible de la réalité. Les principaux auteurs réalistes sont Guy de Maupassant, Stendhal, Flaubert et Émile Zola – ce dernier deviendra le plus illustre représentant du naturalisme. Stendhal dans son roman Le Rouge et le Noir explicite l’ambition de ce courant artistique en comparant le roman à un miroir reflétant la réalité sans chercher à la sublimer. La nature humaine est décrite de manière brute sans distorsions du réel visant à l’édulcorer. Le caractère intemporel de Bel-Ami est dû à cette quête de vérité et d’objectivité. La richesse des descriptions, la reproduction fidèle des traits humains concourent à rendre le récit parfaitement vraisemblable. Qu’importe l’époque, chaque lecteur observera des similitudes dans les comportements, les aspirations des personnages avec sa propre époque. Ce roman écrit en 1885 aurait tout aussi bien pu avoir été écrit aujourd’hui et se targuer d’offrir une représentation fidèle des rouages de notre société et des ambitions de chacun. Maupassant réalise une critique acerbe de la société parisienne du 19e où l’argent règne en maître. Il est au centre de toutes les préoccupations. Il se fait le fossoyeur d’une société gangrénée par l’argent, l’hypocrisie, la superficialité et la médiocrité. Monde qu’il connaît bien puisqu’il a lui-même était journaliste. C’est donc en fin connaisseur qu’il juge et condamne la presse de l’époque.

Les inspirateurs et véritables rédacteurs de la Vie Française étaient une demi-douzaine de députés intéressés dans toutes les spéculations que lançait ou que soutenait le directeur. On les nommait à la Chambre « la bande à Walter » et on les enviait parce qu’ils devaient gagner de l’argent avec lui et par lui. Forestier, rédacteur politique, n’était que l’homme de paille de ces hommes d’affaires ; l’exécuteur des intentions suggérées par eux. Ils lui soufflaient ses articles de fond qu’il allait toujours écrire chez lui pour être tranquille, disait-il. Mais, afin de donner au journal une allure littéraire et parisienne, on y avait attaché deux écrivains célèbres en des genres différents. Jacques Rival, chroniqueur d’actualité, et Norbert de Varenne, poète et chroniqueur fantaisiste, ou plutôt conteur, suivant la nouvelle école. Puis on s’était procuré à bas prix, des critiques d’art, de peinture, de musique, de théâtre, un rédacteur criminaliste et un rédacteur hippique, parmi la grande tribu mercenaire des écrivains à tout faire.

Bel-Ami, l’anti-héros par excellence 

Il est aisé de proposer une définition négative du personnage principal, ce qui revient à définir Bel-Ami par ce qu’il n’est pas. Bel-Ami est dénué de talent, amoral et n’a aucune valeur, autre que l’argent si tant est que l’on puisse définir l’argent comme une valeur. Journaliste médiocre, il joue de ses charmes auprès des femmes pour parvenir à ses fins. Il pourra compter sur le carnet d’adresse, l’étendue des connaissances, la finesse d’esprit et le talent de sa première femme. Rompue à cet exercice, elle manie avec dextérité l’art de l’écriture. Elle le suppléera dans ses fonctions de journaliste, palliant ainsi à sa médiocrité. Séducteur compulsif, il charmera tour à tour les femmes de son entourage, toutes présentes dès le chapitre 2 à l’occasion d’un diner organisé par Madeleine Forestier. Maupassant dévoile un large spectre de personnages féminins : de l’ingénue à la femme rusée exerçant son talent par l’intermédiaire du sexe masculin, de la femme mûre qui agace à la femme libre et légère en amour… Elles tissent la toile de fond sans quoi le roman n’aurait jamais pu voir le jour. Sans son « harem » Bel-Ami aurait été bien peu de chose. Il aurait vécu dans la misère qu’une rencontre fortuite lui a épargnée. Le hasard et la séduction sont les deux ingrédients de sa réussite. L’ambition dévorante de Bel-Ami n’est pas sans rappeler celle de Rastignac, personnage mis en scène par Balzac dans son roman Le Père Goriot.

Conscient de ses atouts, Bel-Ami ne se privera pas d’en user :

Comme il portait beau, par nature et par pose d’ancien sous-officier, il cambra sa taille, frisa sa moustache d’un geste militaire et familier, et jeta sur les dîneurs attardés un regard rapide et circulaire, un de ces regards de joli garçon, qui s’étendent comme des coups d’épervier.

Le roman se clôt sur Bel-Ami contemplant son oeuvre et sa fulgurante réussite. Narcissique et imbu de lui-même l’orgueil de notre héros est à son paroxysme :

Il ne voyait personne. Il ne pensait qu’à lui.

Voici un passage qui en dit long sur l’état d’esprit du personnage :

Mais une voiture passa, découverte, basse et charmante, traînée au grand trot par deux minces chevaux blancs dont la crinière et la queue voltigeaient, et conduite par une petite jeune femme blonde, une courtisane connue qui avait deux grooms assis derrière elle. Duroy, s’arrêta avec une envie de saluer et d’applaudir cette parvenue de l’amour qui étalait avec audace dans cette promenade et à cette heure des hypocrites aristocrates, le luxe crâne gagné sur ses draps. Il sentait peut-être vaguement qu’il y avait quelque chose de commun entre eux, un lien de nature, qu’ils étaient de même race, de même âme, et que son succès aurait des procédés audacieux de même ordre.

La place particulière qu’occupent les personnages féminins 

Les femmes dans Bel-Ami occupent une place primordiale. Elles jouent un rôle clé dans l’ascension de notre anti-héros narcissique. Comme je l’ai indiqué en introduction le « Code Napoléon » en vigueur à cette époque-là accorde aux femmes une place de second rang dans la société, les privant des libertés élémentaires et leur assigne un rôle d’épouse et de mère. Le cas de Madeleine Forestier est particulièrement intéressant. Talentueuse, fine diplomate à l’esprit aiguisé, elle sait s’entourer des personnes influentes. Aujourd’hui, elle aurait occupé une position sociale enviable. Elle n’a néanmoins pas d’autre choix que de rester dans l’ombre de ses maris tout en guidant leurs pas à distance. Indépendante,  brillante et autonome elle incarne une certaine image de la femme moderne. Dans un tout autre registre, Clothilde de Marelle incarne également une certaine modernité. Libre et légère elle fait fi des normes sociétales et entend jouir pleinement de sa vie. Pétillante et insouciante, Bel-Ami sera sincèrement attaché à sa maîtresse. Mais n’étant pas en mesure de lui apporter ce qu’il recherche, soit la gloire et l’argent – les deux étant souvent corrélés par ailleurs, elle n’a pas le profil idéal pour devenir sa femme.

Conclusion

Il est de ces romans dont le souvenir perdure éternellement, qui restent dans notre esprit longtemps après leur lecture. Bel-Ami en fait indubitablement partie. La richesse des descriptions n’alourdit pas la narration, rendue fluide par la souplesse de l’écriture. Les personnages donnent l’impression d’être réels. L’intrigue est passionnante. De plus, Maupassant a ce don particulier, contrairement à d’autres auteurs réalistes, d’avoir léguer à la postérité des œuvres accessibles. Par accessible, j’entends facile à lire. Il est plus aisé de commencer par du Maupassant que du Balzac ou du Zola. Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore je ne peux que conseiller la lecture de cette oeuvre magnifique.

Pour aller plus loin

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Looping, Alexia Stresi : Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro 2017

Alexia Stresi avec son ouvrage Looping signe un premier roman, coup de maître. L’auteure nous offre le portrait saisissant d’une femme hors du commun au destin fabuleux et au caractère bien trempé. Une femme indépendante, forte et moderne. Looping a d’ailleurs été salué par la critique dès sa sortie et sélectionné par le jury du Prix Goncourt du premier roman. Prix décerné par ailleurs à Maryam Madjidi pour son ouvrage Marx et la poupée. Ce roman est un petit bijou tant par le portrait de femme particulièrement réussi, que par la manière qu’à l’auteure de nous faire voyager. Looping a été l’occasion pour moi de découvrir une conteuse hors pair et une écrivain au talent indubitable.

Résumé

Au début du XXe siècle, Noelie voit le jour dans une ferme italienne. Née d’un père inconnu, élevée par une mère analphabète, elle semble destinée à la vie des paysans pauvres de l’Italie d’alors.

Soixante ans plus tard, Noelie invite à déjeuner des célébrités de Cinecittà, ses amis du gouvernement, des ministres libyens du pétrole, des poètes, des huiles du Vatican et des amis d’enfance, restés ouvriers agricoles. Entre-temps, elle aura parcouru le Sahara à dos de chameau, piloté des avions pour rendre visite à des Bédouins, amassé une fortune pour faire vivre ses rêves.

Qui est-elle ? D’où lui vient cette force, et son talent pour la vie ?

De ce qu’elle ne dit pas.

Éditions Stock

booksnjoy - looping - alexia stresi

Un portrait féminin à la modernité détonante et à la liberté revendiquée

Looping est l’occasion pour Alexia Stresi de nous présenter son héroïne avant-gardiste, Noelie. Noelie se démarque des femmes de son époque en refusant de se cantonner à la place qui lui est allouée par la société machiste de l’époque. Éprise de liberté, elle s’approprie à sa manière les codes sociaux et s’octroie le droit de conserver son indépendance tout en respectant les règles tacites qui structurent cette société. Loin d’être une idéologue, elle n’affiche pas une volonté de renverser l’ordre social afin de favoriser l’émancipation de la femme. Non, Noelie cherche sa propre émancipation et la concrétisation de ses projets. Elle n’a absolument pas pour ambition d’être la figure de proue d’un quelconque mouvement féminin contestataire, là n’est pas l’objectif de ce roman. La prise en main de son destin lui suffit amplement. Et c’est un fabuleux destin justement qu’elle se forge, fait de voyages en avion qu’elle pilote toute seule, de rencontres poétiques dans le désert avec des Touaregs, de contrats signés avec des hommes d’affaires libyens… Ces périples elle ne les vit pas seule. Son époux l’épaule et la soutient constamment dans la mise en oeuvre de ses différents projets qui souvent inclus des poules 😉 Ce couple est en avance sur son temps, loin de l’image que l’on peut avoir des unions du milieu du XXe siècle. Cette quête de liberté, elle la poursuit donc de concert avec son mari. Les progressions et succès de Noelie n’altèrent en rien sa dynamique de couple. Lorsque celle-ci fera le triste constat du manque d’aptitudes de son mari pour les affaires, ça n’altérera en rien l’estime et le respect qu’elle éprouve pour lui. Le gain de l’un n’implique pas une perte réciproque pour le conjoint. Cette dynamique vertueuse atteste de la modernité d’une union bien en avance sur les moeurs de son époque.

Même dans sa façon de s’habiller Noelie parvient à exprimer sa singularité. Son style vestimentaire n’est pas sans rappeler celui d’une autre femme au destin hors norme, Coco Chanel. Celle-ci vécut à la même époque que notre héroïne et affirma sa modernité par un style minimaliste et épuré que partage Noelie. La recherche du confort primant sur les froufrous et l’élégance se devant d’être naturelle.

À l’intérieur du petit milieu colonial, où régnait un strict conformisme vestimentaire non moins que de vues, Noelie détonnait. On accepta qu’elle porte le pantalon et qu’elle remplace les élégants colliers de perles par d’abstraits bijoux africains. S’il n’était pas en vogue d’avoir un style à soi, Noelie avait déjà trouvé le sien, et réussit à l’imposer. Elle n’en dérogerait plus, adaptant seulement sa tenue aux saisons et à ses moyens financiers. Que ce soit en voilage ou en cachemire, son long corps maigre serait toujours revêtu d’un large pantalon et d’une chemise ample, noirs ou blancs tous les deux. Ses cavaliers lui reconnaissaient une classe folle, et tombaient tous sous le charme.

Il est aisé de s’imaginer l’incapacité pour un businessman d’arrêter de faire des affaires même quand le conjoncture n’est pas favorable à ses projets. Il l’est moins d’observer cette soif de défis chez une femme à la limite de l’obsession et de la névrose. Il faudra attendre l’épilogue pour détenir les clés de compréhension de cette rage  de vivre.

Un roman solaire comme une promesse de dépaysement et d’éveil des sens

Looping nous fait voyager à travers des décors solaires d’une grande poésie et des époques chargées historiquement. De la ville d’Imperia – située dans la Ligurie, région d’Italie située dans le nord-ouest de la péninsule – à la Libye d’avant son Occidentalisation, à l’Italie dévastée d’après-guerre, nous suivons notre héroïne qui connut moult déracinements. Ce sont justement ces arrachements successifs qui seront à l’origine de sa capacité d’adaptation hors norme.

Alexia Stresi décrit avec intensité la Libye italienne et nous offre un tableau saisissant. Les descriptions sont d’un tel réalisme que pour peu le lecteur se mettra à humer les effluves émanant de Tripoli, l’air iodé, l’odeur de jasmin… Cette Libye non encore industrialisée par les alliés, qui ne tarderont pas à percevoir le potentiel de cette région de par la richesse de son sous-sol, se révèle être d’une très grande richesse olfactive. Tous les sens sont en alerte. Après l’odorat, la vue. Il me semblait discerner la lente marche des Touaregs accompagnés de leurs chameaux dans le désert libyen. L’écriture est d’une efficacité redoutable puisque l’auteure restitue à la perfection les impressions, les ressentis de Noelie et communique au lecteur des émotions brutes.

À la Libye succédera l’Italie vaincue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Cette Italie dévastée et ruinée se muera en l’Italie où tous les espoirs sont permis, celle de la « dolce vita ». Il en est fini des années fascistes, une page de l’histoire italienne se tourne. Cette nouvelle impulsion va se traduire par une prospérité nouvelle. On parlera alors de miracle économique. À partir des années 50, l’Italie connaîtra des années d’insouciance et de bouillonnement artistique. Ce sera l’occasion de balades en famille, chacun sur sa Vespa – symbole de la « dolce vita ». Le film de Federico Fellini La Dolce Vita marque l’apogée de cette période. L’auteure évoque notamment le film Vacances Romaines (1953) qui valut l’Oscar de la meilleure actrice à la fabuleuse Audrey Hepburn.

Un style sec et une écriture ciselée

Nulle surprise pour ceux qui ont déjà lu certains de mes précédents articles – Un fils parfait / VIP / Chanson douce – j’affectionne particulièrement les auteurs à la plume mordante et tranchante. Dénués de pathos et d’artifices, je les trouve d’une efficacité redoutable. Alexia Stresi est de ces auteurs. Looping dévoile une écriture qui va droit au but, un style simple et percutant. Il délivre un message brut. Pour un coup d’essai c’est un coup de maître de la part d’Alexia Stresi. Ce que je trouve impressionnant pour un premier roman, c’est qu’on a l’impression que le roman dans sa globalité est le fruit d’un seul et unique jet. L’auteure semble parfaitement maîtriser son récit et ce sans aucune hésitation ou approximation.

Conclusion

N’ayant pas encore lu les autres romans nominés au Prix du Goncourt du premier roman, je ne peux pas vous dire comment je situerais celui-ci face à ses concurrents. Néanmoins, Alexia Stresi met la barre très haut avec son roman Looping. Dont le titre évoque cette soif de liberté que l’héroïne étanchera en pilotant l’avion de son mari. Je ne peux que vous conseiller la lecture de ce magnifique ouvrage. J’espère que l’auteur nous offrira un second roman incessamment sous peu et de la même trempe.

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Grande section, Hadia Decharrière : un premier roman autobiographique qui nous plonge en enfance

Grande section est le premier roman d’Hadia Decharrière. L’auteure saisit l’occasion de ce premier roman pour nous livrer un récit autobiographique particulièrement délicat. Le lecteur est balloté entre le Moyen-Orient, la France et les États-Unis au gré des pérégrinations de cette famille globe-trotteuse. Ce témoignage bouleversant retrace la vie d’Hadia Decharrière jusqu’à ses six ans, soit, l’âge de sa fille qui fait sa rentrée en grande section de maternelle. C’est justement cet événement qui ravive les plaies non cicatrisées depuis l’enfance que l’auteure avait tenté en vain de colmater ou tout du moins d’ignorer pendant des années. En accompagnant sa fille en grande section de maternelle, l’auteur replonge dans ses souvenirs empreints de nostalgie et de tristesse. Elle évoque avec pudeur la mort d’un père partit trop tôt et la douleur incommensurable dont l’intensité n’a pas diminué malgré le temps écoulé. Si cette douleur reste toujours aussi vive trente ans plus tard, c’est peut-être que tout simplement le temps ne rendra pas plus acceptable ce qui est insurmontable pour une enfant de six ans. Cette chronique est pour moi particulièrement délicate à réaliser puisque j’ai conscience que ce roman est à la fois délicat et émouvant, néanmoins ce qui est le risque d’un récit autobiographique c’est qu’il garde le lecteur à distance et c’est malheureusement ce que j’ai ressenti. Je ne me suis pas sentie concernée par le parcours de cette famille. Les problématiques évoquées me sont restées hermétiques et n’ont pas fait écho en moi. J’ai apprécié cet ouvrage certes, mais ce n’est pas un coup de coeur. Ce qui est pourtant paradoxal vous me l’accorderez 😉 c’est que je le recommande tout de même car je crois sincèrement que ce type de récit sera perçu différemment en fonction de la sensibilité de chacun et de son vécu.

Résumé

« Ma fille n’aura pas la même grande section que moi. Pour elle la grande section sera ce qu’elle est supposée être, la récré avant le CP, l’inspiration avant le plongeon, le calme avant la tempête. »

Septembre 2014, une mère accompagne sa fille le jour de la rentrée des classes. Subitement, ses 6 ans se rappellent à elle : de septembre à juin, elle revit ces quelques mois entre la Syrie et les États-Unis, ses souvenirs de France, ces instants où tout a basculé.

Que reste-t-il de l’enfance ?

JC Lattès

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Une enfance désorientée, un témoignage émouvant

Hadia Decharrière est née en 1979 au Koweït. Koweït qu’elle quittera l’année de sa naissance pour le sud de la France. Précédemment, ses parents durent fuir Beyrouth l’année où éclata la guerre du Liban, soit en 1975. Hadia Decharrière évoque Beyrouth et le Koweït avec une certaine distance puisqu’elle ne se rendra jamais à Beyrouth, même adulte, et qu’elle quittera immédiatement après sa naissance le Koweït. Beyrouth, cette ville où ses parents vécurent leurs premières années en tant que couple marié, restera de l’ordre de l’imaginaire. Ce refus catégorique de s’y rendre, n’est-il pas le fruit d’un désir enfantin de ne pas toucher aux souvenirs que l’on s’imagine heureux ? L’auteure ne se rendra au Koweït que quelques années plus tard et évoque dans Grande section ce lien si particulier qui la lie à son lieu de naissance. Comme si se rendre sur son lieu de naissance sans pour autant y avoir véritablement vécu pouvait faire affleurer des émotions enfouies et inconscientes. En 1979, sa famille émigre en France, à Cannes sur la côte méditerranéenne. Les premières années de la vie de l’auteure entre le Koweït et le sud de la France sont décrites comme heureuses. Les affaires de son père s’avèrent fructueuses, son succès ne se dément pas et son ascension au sein des affaires familiales est fulgurante. La mission que celui-ci s’est donnée de protéger sa famille est pleinement remplie.

Au succès succédera la déchéance, à la liberté l’emprisonnement. C’est ainsi, que les années noires commenceront. Des années marquées par des déménagements successifs pour Damas, les États-Unis et enfin la France.

Normalement, quand on change de pays, on est accompagné de l’espoir d’y trouver un futur meilleur. Que l’on y soit contraint ou qu’on l’ai envisagé en toute liberté, vivre ailleurs ouvre de nouveaux horizons et donne naissance à des possibilités inédites. réfugiés fuyant les persécutions sanguinaires, expatriés s’éloignant des impositions trop sévères, migrant délestant le passé pour l’avenir, que leur combat soit impératif ou superflu, profond ou superficiel, prosaïque ou spirituel, l’espérance demeure, et accompagne chacun. Au cours de sa vie, mon père fut un peu tout ça à la fois. il quitta l’archaïsme syrien pour la modernité de Beyrouth, fuit la guerre civile libanaise pour la paix koweïtienne, abandonna son passé oriental pour la réussite occidentale, retourna au pays panser ses plaies, puis malgré lui, dut se préparer à effectuer un dernier voyage, contraint et inconnu.

Le message d’amour d’une petite fille à son papa

Hadia Decharrière évoque avec pudeur et douceur ce père partit trop tôt, alors âgé de 43 ans. Grande section est le témoignage de cette petite fille qui s’adresse à son papa. Elle dénonce ce sentiment d’injustice qu’éprouve une enfant de 6 ans privé de son repère et obligée de grandir sans père. Ce cri du coeur, cette frustration m’a touché. L’auteure aborde avec humour et sans jugements de valeur les particularités, limites et parfois défaillances de ses parents.

Hadia Decharrière mentionne avec humour et subtilité les antagonismes culturels et idéologique entre l’Orient et l’Occident qui déchirent son père :

Maman, délestée de sa mélancolie stuporeuse sera de nouveau heureuse ; elle vivra avec tes modernités et tes orientalistes, ces jumeaux ambivalents qui coexistent comme ils peuvent. Tu es syrien, mais tu veux vivre comme dans une chanson de Joe Dassin. Tu n’es pas pratiquant, mais nous ne mangeons pas de porc. Tu n’es pas croyant, mais tes filles et épouse portent les cheveux courts. Tu habites à Damas, et tes enfants sont scolarisés à l’école française.

Elle décrit avec lucidité et poésie une mère effacée mais aimante, présente tout en étant absente. Une mère qui lorsque son pilier sera emporté par la maladie abandonnera la partie et n’aura la force que de se maintenir en vie. Elle aurait pu lui en vouloir de ne pas s’être plus investie dans sa vie, de ne pas avoir trouvé la force de puiser dans ses réserves pour se lever de son lit. Mais Hadia Decharrière fait preuve d’une profonde empathie et d’une capacité d’analyse sur sa propre famille hors norme. Elle conçoit que cette femme dès son plus jeune âge contrainte au silence et à la soumission n’aie plus la force de porter sa famille après le départ de celui qui lui avait tant apporté.

On n’aborde pas non plus la fatigue de maman qui ait aussi fort que la Belle au bois dormant, elle ne sort plus de son lit, elle n’en sortira pas pendant douze ans.

Hadia Decharrière a, jusqu’à la rédaction de ce témoignage, fait preuve d’une très grande résilience. Sans se plaindre elle a su composer avec ce qu’elle avait et se construire une « belle » vie. À trente-six ans l’auteure dispose d’une situation professionnelle stable – étant devenue chirurgien-dentiste – et d’une situation familiale enviable – mariée à l’homme qu’elle a connu adolescente et de cette union est née une petite fille. Avec ce roman elle marque un tournant et décide d’entamer un véritable travail de deuil. Elle ne tente plus d’étouffer les souvenirs qui la submergent sans prévenir et l’empêchent de vivre librement. Faire revivre de tels souvenirs d’enfance demande un courage incroyable et c’est cela que je salue à travers ce témoignage.

Une construction décousue

Je pense que la construction de l’ouvrage explique en grande partie la difficulté que j’ai éprouvée à entrer dans le roman. En effet, j’avais l’impression de suivre le cours des pensées de l’auteure, de passer d’un souvenir à un autre sans corrélation particulière. J’avais le désagréable sentiment de passer du coq à l’âne. Page 157 vous trouverez un exemple concret illustrant mon propos. Hadia Decharrière y mentionne la douleur qu’elle ressent lorsqu’on évoque le cancer – liée à son histoire familiale – puis, sans aucune transition, bifurque sur la chute du mur de Berlin !? Il y a de quoi être décontenancé. Je ne vois pas vraiment ce que l’effondrement du mur de Berlin vient faire là, ni ce qu’il apporte au propos de l’auteure. Je déplore également les retours en arrière successifs qui à défaut de structurer la lecture la rende laborieuse. À certains moments je ne savais plus si nous étions en France, au Liban, en Syrie ou au Koweït. Ce manque de construction entraîne des répétitions, ce qui alourdit considérablement le récit selon moi. Ce que je déplore c’est le manque de repères spatio-temporels. Dans un récit autobiographique où les lieux se succèdent, ces repères sont indispensable pour faciliter la lecture.

Conclusion

Vous l’aurez compris mon avis est mitigé concernant ce roman autobiographique. D’un côté j’ai été touchée par le message d’amour que l’auteure adresse à son père et impressionnée par la lucidité dont elle fait preuve lorsqu’elle évoque sa mère mais d’un autre côté j’ai trouvé la construction décousue. Je n’ai pas été happée par le roman et malgré mes efforts, je suis malheureusement restée à distance du récit. Pour être tout  fait sincère j’ai trouvé Grande section un peu brouillon. 🙁 Néanmoins, je le répète je le conseille toute même. Je pense que chacun l’abordera différemment en fonction de son histoire familiale et de son vécu.

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Quand sort la recluse, Fred Vargas : son meilleur polar !

La sortie d’un nouveau Fred Vargas c’est toujours un événement 🙂 Alors pour la sortie de Quand sort la recluse, je me suis précipitée en librairie me le procurer et une fois rentrée l’ai littéralement dévoré ! J’ai adoré ce polar et sans préambule j’annonce qu’elle a signé ici son meilleur ouvrage. Évidemment, comme toujours mon avis est purement personnel. Donc si vous restez sceptique face à mon engouement pour ce roman policier, je n’ai qu’un chose à vous conseiller, lisez-le ! Tous les ingrédients inhérents à l’univers si particulier de Fred Vargas sont présents. Et la magie opère. Celle à qui l’on attribue la création d’un nouveau genre littéraire, le rompol, mobilise toutes ses connaissances historiques, archéozoologiques et médiévales au service de l’enquête du commissaire Adamsberg. Pour tous ceux qui souhaitent découvrir l’univers de Fred Vargas et ce que l’on entend par rompol, je vous conseille de commencer par cet article : La série du commissaire Adamsberg, Fred Vargas.

Résumé

« – Trois morts, c’est exact, dit Danglard. Mais cela regarde les médecins, les épidémiologistes, les zoologues. Nous, en aucun cas. Ce n’est pas de notre compétence.

– Ce qu’il serait bon de vérifier, dit Adamsberg. J’ai donc rendez-vous demain au Muséum d’Histoire naturelle. 

– Je ne veux pas y croire, je ne veux pas y croire. Revenez-nous commissaire. Bon sang mais dans quelles brumes avez-vous perdu la vue ?

– Je vois très bien dans les brumes, dit Adamsberg un peu sèchement, en posant ses deux mains à plat sur la table. Je vais donc être net. Je crois que ces trois hommes ont été assassinés. 

– Assassinés, répéta le commandant Danglard. Par l’araignée recluse ? »

Flammarion

booksnjoy - quand sort la recluse - fred vargas

Une enquête déroutante et riche en rebondissements !

Fred Vargas dans son ouvrage Quand sort la recluse s’est surpassée en matière d’inventivité. Figurez-vous que l’arme utilisée par le bras vengeur n’est autre qu’une araignée, « la recluse », également connue sous l’appellation scientifique Loxosceles rufescences ou encore « araignée violon » en raison de la forme de son corps. Seul petit bémol, celle-ci est non agressive, non attaquante et solitaire. Son venin n’est pas mortel sauf si la personne mordue est âgée et dispose d’un système immunodéficient. De plus, d’après les calculs effectués par un infâme arachnologue censé éclairer la lanterne de notre cher commissaire Adamsberg, il s’avère qu’il ne faudrait pas moins de vingt-deux recluses pour tuer un homme. En espérant que celles-ci mordent et acceptent de vider la totalité de leur poison sur la personne en question. Prouesse intéressante mais qui au demeurant semble inconcevable ! Néanmoins, les cadavres s’accumulent et le mode opératoire reste inchangé. Les agents vont devoir redoubler de patience et d’intelligence pour voir à travers les brumes de cette enquête, tout sauf évidente. Les écueils, culs-de-sacs, fausses pistes seront nombreux. L’enquête sur cette mystérieuse recluse va suivre une trajectoire sinueuse au gré des « proto-pensées » du commissaire.

Une brigade hors norme où chacun laisse s’exprimer sa singularité

Petite piqûre de rappel pour ceux qui avaient oublié le caractère extravagant de cette brigade atypique.

  • Danglard compense son manque de forme physique par un savoir encyclopédique et une élégance à  toute épreuve.
  • Veyrenc, à la chevelure bigarrée, vient du même coin des Pyrénées que le commissaire et partage un secret d’enfance avec celui-ci. Héritage de famille, il versifie à longueur de journée.
  • Voisenet, qui est au demeurant un très bon flic, a vu sa carrière en ichtyologie contrariée par son père. Ainsi il voue une passion peu commune aux poissons d’eau douce, jusqu’à ramener au commissariat dans Quand sort la recluse une murène de l’Atlantique à robe marbrée ! 😉
  • Retancourt est une surfemme. Dotée d’un physique hors norme, elle a appris à apprécier le commissaire et est devenue un véritable pilier pour celui-ci.
  • Froissy tout comme Mercadet est extrêmement douée en informatique. Sa peur de manquer de nourriture la pousse à cacher un peu partout dans la brigade des conserves, pâtés, terrines, charcuteries, fromages, biscuits…
  • Mercadet est un excellent informaticien hypersomniaque. En effet, incapable de se maintenir éveillé plus de trois heures consécutives, celui-ci fait des « siestes » dans une pièce aménagée spécialement pour lui.
  • Estalère est le candide de la brigade. Il voue un culte au commissaire et à Retancourt. Son unique compétence réside dans sa capacité à se rappeler les goûts de chacun en matière de café.

Un brigade divisée sous hautes tensions 

La Brigade criminelle de Paris, située dans le 13e arrondissement et dirigée par le commissaire Adamsberg est dans cet ouvrage plus que jamais en proie à des tensions internes. Les discordes, présentes dans les précédents ouvrages, ne font que s’amplifier sous la houlette du commandant Danglard. Les vingt-sept agents se répartissent généralement selon un clivage net entre les cartésiens et les « pelleteurs de nuage ». Les cartésiens réclament des éléments tangibles justifiant du bon fondement d’une enquête. Leur chef de file est le commandant Adrien Danglard. Les « pelleteurs de nuage » quant à eux suivent Adamsberg dans les méandres de ses pensées obscures et nébuleuses. En effet, le commissaire ne réfléchit pas à proprement parlé mais laisse venir à lui des sortes de « proto-pensées » qu’il compare à des bulles de gaz présentes dans son cerveau. Cette manière d’investiguer n’est pas au goût de tous les membres de la brigade. Ceux-ci y voient au mieux une certaine originalité, au pire une manifestation de l’incompétence du commissaire. C’est dans ce climat délétère au sein de la brigade que le commandant Danglard va provoquer une véritable scission et mettre à mal l’autorité d’Adamsberg. L’étroite amitié qui lie ces deux hommes sera malmenée. Portant une affection particulière au commandant Danglard, celui-ci m’a beaucoup manqué dans ce roman…

Quand sort la recluse accorde plus d’importance aux affects que les précédents ouvrages de l’auteure. On en apprend plus sur la vie personnelle des membres de la brigade. Le commissaire se devra même d’interférer dans la vie personnelle d’un de ses agents afin de le protéger d’une menace extérieure. Le retrait du commandant Danglard est compensé par les liens plus étroits qui se tissent entre Adamsberg et Veyrenc – qui se sont connus étant enfants. Le lieutenant Violette Retancourt, qui avait été d’un grand secours dans Sous les vents de Neptune, occupe une place de plus en plus importante au fil des enquêtes, et ce, pour mon plus grand plaisir. J’apprécie particulièrement Retancourt qu’Adamsberg compare à une déesse dotée d’une résistance peu commune.

Un polar légendaire et animal 

Les animaux occupent une place centrale chez Fred Vargas. Quand sort la recluse ne fait pas figure d’exception. D’ailleurs, lorsque Fred Vargas sur le plateau de La grande Librairie est interrogée par François Busnel sur cet élément si particulier, elle élude la question. Et finit par répondre que c’est certainement parce que les animaux sont partout. Réponse peu satisfaisante me direz-vous quand on sait qu’Adamsberg s’est tout de même lié d’amitié avec un sanglier dans Temps glaciaires. Je pencherais plus pour une déformation professionnelle puisque l’on se souvient que Fred Vargas est archéo-zoologue de formation 🙂

La Boule – chat neurasthénique et impotent – a élu domicile sur la photocopieuse de la Brigade. Il refuse de se déplacer pour se nourrir obligeant ainsi le lieutenant Retancourt à le porter trois fois par jour jusqu’à sa gamelle. Dans Pars vite et reviens tard, le plus connu de ses polars, des rats porteurs du bacille de la peste envahissaient Paris et semer la terreur dans la capitale. L‘Homme à l’envers, mettait en scène la menace de loups-garous menaçant la population d’attaques violentes. Dans les bois éternels, Fred Vargas se concentre cette fois sur les bovidés et les cervidés. Tout au long du roman policier Sous les vents de Neptune, les membres de la brigade feront sans cesse référence aux crapauds tandis qu’Adamsberg fera une obsession sur un poisson marin. Cette liste non exhaustive est interminable. Dans son dernier ouvrage, ce sera la recluse ou araignée violoniste.

Les références aux légendes, mythes, croyances du Moyen-Âge sont constantes. Le terme de recluse a été l’occasion pour l’auteure de jouer sur le côté animal et légendaire. Puisque la recluse ne fait pas uniquement référence à l’animal mais bien à une certaine figure féminine appartenant à ce qui nous semble être une autre époque. Fred Vargas jongle en permanence entre les récits légendaires appartenant à l’imaginaire collectif et la réalité quotidienne de la brigade.

Conclusion

Je le redis Quand sort la recluse est tout simplement excellent ! Alors que j’ai tendance chez Fred Vargas à mettre au second plan l’enquête pour me concentrer sur les interactions entre les agents de la brigade, Quand sort la recluse fait figure d’exception. L’intrigue est déroutante et parfaitement maîtrisée. Découvrir une facette plus personnelle de la brigade et de ses membres renforce l’attachement que l’on a pour les personnages. Le talent de l’auteure s’est pleinement exprimé à travers cet ouvrage et on ne peut que lui demander de ne pas s’arrêter en si bon chemin et de continuer à nous émerveiller.

De la même auteure…

  • Chroniques des précédents ouvrages de l’auteure ici !

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Rouge armé, Maxime Gillio : guérilla urbaine en Allemagne de l’Ouest

Rouge armé, signé Maxime Gillio, est un polar résolument politique. L’auteur nous fait voyager à travers l’Europe centrale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’Europe est ruinée, dévastée et pillée par les Alliés. Ceux-ci se servent abondamment et se partagent une Allemagne exsangue. L’Allemagne de façon générale et Berlin en particulier, deviendront le symbole de la guerre froide qui opposera le bloc de l’Est au bloc de l’Ouest pendant un demi-siècle. C’est en plein coeur de ce contexte politique que Maxime Gillio a décidé de situer la « véritable » intrigue de son roman. Rouge armé ou plutôt la Fraction armée rouge, connue sous le sigle RAF, fait référence à une organisation terroriste allemande d’extrême gauche qui sévit en RFA de 1968 à 1998. Cette guérilla urbaine a été l’auteure de nombreux attentats à l’encontre du gouvernement allemand. Maxime Gillio nous plonge dans une période politique tumultueuse et décisive. Il maîtrise son sujet, ce qui rend la lecture fluide et agréable.

Lecture dans le cadre des Explorateurs du polar organisé par Lecteurs.com 😀   

Avant de vous faire part de mon avis concernant Rouge armé de Maxime Gillio, je tiens à remercier l’équipe de Lecteurs.com. C’est dans le cadre des Explorateurs du polar que j’ai reçu cet ouvrage et par la même occasion pu découvrir un auteur que je ne connaissais pas jusque là. Le principe est on ne peut plus simple puisqu’il suffit de se connecter au site Lecteurs.com, donner des indications concernant ses goûts littéraires puis choisir parmi une liste préétablie d’ouvrages. Ma mission est la suivante : une fois l’ouvrage reçu et lu, je chronique pour Lecteurs.com. Mon avis se doit évidemment d’être purement objectif, sinon cela n’a aucun intérêt 😉 Maintenant que j’ai fait quelques précisions concernant ma lecture, place à la chronique. C’est parti !

Résumé

« Patricia, journaliste au Spiegel, enquête sur les personnes qui, dans les années soixante, ont fui l’Allemagne de l’Est au péril de leur vie. Inge est passée de l’autre côté du Mur quarante ans plus tôt et accepte de lui raconter son enfance, son arrivée à l’Ouest, son engagement… Mais certains épisodes de la vie d’Inge confrontent Patricia à ses propres démons, à son errance. Leur rencontre n’est pas le fruit du hasard. Dans les méandres de la grande Histoire, victimes et bourreaux souvent se croisent. Ils ont la même discrétion, la même énergie à se faire oublier, mais aspirent rarement au pardon. »

Ombres Noires

booksnjoy - rouge armee - maxime gillio

Une construction complexe mais maîtrisée

Les confidences d’Inge à Patricia sont l’occasion pour le lecteur de se plonger dans le passé de cette femme. À travers l’histoire de sa famille, l’auteur retrace les bouleversements de cette période de bouillonnement politique. Le récit commence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et nous entraîne jusqu’aux années de plomb. La construction du roman implique une multitude de retours en arrière, de sauts chronologiques et de changements de période d’un chapitre à l’autre. Cela peut surprendre, voire décontenancer le lecteur. À certains moments, je ne savais plus du tout à quelle époque on était et quels personnages j’allais retrouver. Cette façon de jouer avec la temporalité a pu rendre ma lecture fastidieuse par moment. Néanmoins, tout finit par s’emboîter parfaitement. Ce livre me fait penser à un gigantesque puzzle. L’auteur nous guide à travers les époques. Chaque chapitre, chaque révélation nous donne la possibilité de récupérer une des pièces manquantes. Le puzzle prend forme au fil des pages. La construction narrative est ainsi admirablement maîtrisée. Je tiens à préciser que Rouge armé n’est pas ce que l’on peut appeler un thriller. Si le lecteur recherche du suspens, de la tension et des rebondissements, je ne pense pas qu’il soit pleinement satisfait. Le rythme est lent certes mais ce n’est pas pour autant particulièrement dérangeant. Je pense que si l’enchaînement des plans avait été plus rythmé, on aurait perdu en clarté. Le rythme se cale sur les confidences d’Inge. Je n’étais pas sur le qui-vive, mais plutôt curieuse de découvrir où l’auteur nous entraîne. Évidemment, on se doute que la rencontre entre ces deux femmes n’est pas fortuite. Que Patricia cache un mobile. Cette interrogation perdure au fil des pages mais je ne trouve pas que l’essentiel du roman se situe là. Pour moi, l’essentiel est dans les chamboulements politiques, la haine entre les peuples et les tensions nées de l’atomisation de l’Europe Centrale et Orientale de la seconde moitié du 20e siècle.

Le cadre narratif : l’affrontement entre les 2 blocs Est vs Ouest 

C’est ce qui m’a le plus plu dans Rouge armé. D’un point de vue historique, sociologique et politique cette période est extrêmement riche. L’agitation qui règne en Europe n’est pas seulement politique mais également sociale, culturelle et intellectuelle.L’affrontement du bloc de l’Est et du bloc de l’Ouest apparaît comme un sujet galvaudé en littérature. Néanmoins, ici l’auteur ne cherche pas à vanter les mérites de l’Ouest sur l’Est mais analyse la montée en puissance des mouvements contestataires en Allemagne de l’Ouest. C’est ce qui fait l’intérêt du livre. La vision de l’auteur n’est pas binaire, il n’y a pas le bien d’un côté et le mal de l’autre. La preuve, ces contestations politiques naissent en RFA. En lisant ce roman j’ai pu recréer une sorte de fresque chronologique débutant à la sortie de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à l’effondrement du Mur de Berlin. Les éléments de cette fresque suivent une véritable logique. En nous contant l’histoire européenne sur cette période, on nous donne les clés de compréhension des tensions qui surviendront à posteriori. Je me suis rendue compte à quel point les frontières politiques étaient mouvantes. Si je devais émettre un souhait, ce serait que l’auteur décortique encore plus cette période d’instabilité politique et de contestation étudiante. J’aurais adoré suivre de plus près la Fraction armée rouge, de sa formation à sa dissolution.

Deux personnages féminins marqués au fer rouge

Rouge armé met en scène deux femmes : Inge et Patricia. Inge est un vieille dame au passé extrêmement lourd et douloureux, dont la famille a été frappée d’ostracisme et s’est vue dans l’obligation de fuir la Tchécoslovaquie. Sa mère et son frère sont passés par les camps pour finir par s’installer en Allemagne. Patricia quant à elle, est enfermée dans un processus d’autodestruction. Son parcours et par conséquent ce qui la lie à Inge n’est révélé qu’à la toute fin donc je ne vais pas vous spoilier le roman. 😉 Autant j’ai beaucoup aimé le personnage de la vieille dame au caractère bien trempé et à la volonté farouche, autant Patricia ne m’a pas convaincue. Pire, je l’ai trouvée agaçante. J’aurais préféré que les passages qui lui sont consacrés soient dédiés à la vie d’Inge. C’est d’ailleurs pour cela que l’épilogue m’a laissée sur ma faim. Lorsque j’ai découvert les motivations de Patricia, je les ai évidemment comprises mais de là à aller aussi loin, cela manquait cruellement de crédibilité en ce qui me concerne. Encore une fois, ce n’est que mon avis et je conçois tout à fait que la fin ait pu contenter d’autres lecteurs. Le contraste de maturité entre les deux femmes est abyssal, pourtant au jeu de celle qui a écopé de la vie la plus sombre et torturée je pense que Inge gagne haut la main. À partir de ce constat, il m’était compliqué de ressentir de la compassion pour Patricia.

booksnjoy - rouge arme - maxime gillio

Conclusion

En relisant ma chronique, je me rends compte que je donne l’impression de ne pas avoir aimé Rouge armé, ce qui n’est absolument pas le cas. Il est vrai que certains éléments ne m’ont pas convaincue, néanmoins dans l’ensemble j’ai beaucoup apprécié cette lecture. La construction est parfaitement maîtrisée, l’écriture est très fluide et le sujet traité particulièrement intéressant. C’est un roman policier que je recommande vivement. Je suis ravie d’avoir eu l’occasion de découvrir cet auteur. Cette lecture m’a donnée envie de lire d’autres ouvrages écrits par Maxime Gillio.

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En attendant Bojangles, Olivier Bourdeaut : un tourbillon de folie

Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître : le premier roman d’Olivier Bourdeaut, En attendant Bojangles, est tout simplement jubilatoire ! L’auteur nous fait découvrir un univers surréaliste, bigarré et ingénu. Lire ce roman équivaut à plonger tête la première dans le monde merveilleux d’Alice au pays des merveilles. On est happé, entraîné dans une succession de situations décalées, de dialogues loufoques, de démonstrations d’amour féroces, et tout ça sur le rythme endiablé du titre « Mr. Bojangles » de Nina Simone. Ce livre est mon premier gros coup de coeur de l’année 2017, il est à lire, relire et rerelire !

« – Donnez-moi le prénom qui vous chante ! Mais je vous en prie, amusez-moi, faites-moi rire, ici les gens sont tous parfumés à l’ennui ! »

« – Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien, ce serait dommage de nous en priver. »

Résumé

Devant leur petit garçon, ils dansent sur « Mr. Bojangles » de Nina Simone. Chez eux, il n’y a de place que pour le plaisir et la fantaisie. Celle qui mène le bal, c’est la mère, feu follet imprévisible. Elle les entraîne dans un tourbillon de poésie pour que la fête continue, coûte que coûte. L’amour fou n’a jamais si bien porté son nom.

Gallimard

booksnjoy - en attendant bojangles - olivier bourdeaut

Une folie maîtrisée 

L’auteur aborde avec brio le thème pourtant douloureux et délicat de la folie. La singularité du roman réside dans le fait que le père ne cherche pas à imposer la réalité à sa femme, ni le fils à sa mère. Au contraire, ils se prêtent complètement au jeu. La folie est envisagée non pas comme une maladie mais comme une source d’amusement. Les complications et préoccupations sont reléguées au second plan, si ce n’est le dernier. Le mari appelle sa femme tous les jours par un prénom différent : Renée, Georgette, Marguerite, Hortense, Colette, Constance, Eugénie… Ils protègent l’univers qu’elle s’est créee pour que la magie ne cesse jamais d’opérer. Leur rôle est d’alimenter sans arrêt son quotidien en fantaisies et loufoqueries.

Le père : « Et moi dans ce cirque, j’avais accepté d’endosser le rôle de Monsieur Loyal, d’enfiler une redingote à breloques, de mettre en scène les envies, les concours, les orgies, les fantaisies et, avec ma baguette, tenter de diriger ces folles opérettes. Pas une journée sans son lot d’idées farfelues, pas une soirée sans dîners improvisés, sans fêtes impromptues. »

Dès le début le mari a pris le parti d’accepter sa folie, elle fait partie intégrante de leur vie. Il fait un pari sur l’avenir : celui de maîtriser cette démence le temps qu’il le pourra. Il ne leur reste plus alors qu’à profiter du laps de temps qu’elle leur laissera. Ce livre est une course contre la montre. Chaque moment est précieux, il faut le savourer, ils ne peuvent pas se permettre de vivre séparés.

Le père : « J’étais conscient que sa folie pouvait un jour dérailler, ce n’était pas certain mais, avec un enfant, mon devoir était de m’y préparer, il ne s’agissait plus désormais de mon seul destin, un bambin y serait mêlé, le compte à rebours était peut-être lancé. Et c’est sur ce « peut-être » que tous les jours nous dansions et faisions la fête. »

Des personnages déjantés

La mère est terriblement attachante. Elle est consciente de qui elle est, et peut s’avérer étonnante de lucidité.

« De toute façon, j’ai toujours été un peu folle alors un peu plus un peu moins, ça ne va pas changer l’amour que vous avez pour moi, n’est-ce pas ? »

 Elle joue son rôle à la perfection, se met en scène et nous offre des moments savoureux :

« […] Papa lui apporta une couronne en carton de la galette des rois, mais elle la refusa et s’exclama en riant :

– Je suis la reine des fous, apportez-moi plutôt une passoire ou un entonnoir, à chacun son royaume, à chacun son pouvoir ! »

L’amour qui lie le père et la mère est indéfectible. Et c’est cet amour qui est retranscrit à travers les yeux de leur petit garçon, témoin de la folie de la mère et de la connivence du père. Ce roman donne une belle leçon d’humanité. On ne cesse pas d’aimer parce que l’autre est imparfait. C’est justement cette originalité, l’extravagance de cette femme qui l’a charmé et envoûté. En attendant Bojangles, est empreint d’humour et de légèreté. C’est cette frivolité qui permet d’édulcorer la souffrance et la tristesse qui finissent par tomber comme un couperet. Cette union originale frappe par sa marginalité, son refus d’adhérer aux règles élémentaires de la société et de la vie en communauté. Le courrier reste fermé, les impôts impayés.

« Je voyais bien qu’elle n’avait pas toute sa tête, que ses yeux verts délirants cachaient des failles secrètes, que ses joues enfantines, légèrement rebondies, dissimulaient un passé d’adolescente meurtrie, que cette belle jeune femme, apparemment drôle et épanouie, devait avoir vu sa vie passée bousculée et tabassée. Je m’étais dit que c’était pour ça qu’elle dansait follement, pour oublier ses tourments, tout simplement […] Je m’étais dit que j’étais moi aussi légèrement frappé de folie et que je ne pouvais décemment pas m’amouracher d’une femme qui l’était totalement, que notre union s’apparenterait à celle d’un unijambiste avec une femme tronc, que cette relation ne pouvait que claudiquer, avancer à tâtons dans d’improbables directions. »

La poésie du récit et le travail sur les sonorités   

La prose de l’auteur est sublime. L’écriture est mélodieuse, on sent que l’auteur a travaillé l’harmonie de son livre en jouant sur les sonorités. Cette musique renforce la dimension poétique. Le lecteur relèvera un très grands nombres d’assonances. Par assonance on entend la répétition de voyelles à la fin de chaque phrase. L’assonance, de même que l’allitération a pour visée l’harmonie imitative, la répétition du même timbre vocalique. L’auteur nous livre un récit aux consonances harmonieuses. Il existe une affinité entre les sons, une uniformité. Cette maîtrise de la langue, du rythme et du récit attestent du talent fou de l’auteur. Il dirige son récit avec une facilité déconcertante. Il joue avec les sonorités. Le rythme ne s’essouffle jamais, la dynamique est maintenue. En attendant Bojangles est une lecture en flux tendus, à un rythme effréné.

booksnjoy - en attendant bojangles - olivier bourdeaut

Conclusion

Si vous ne vous l’êtes pas déjà procuré, un seul conseil courez chez votre libraire le plus proche l’acheter ! 😉 Promis, vous ne le regretterez absolument pas. Olivier Bourdeaut fait mouche avec son premier roman, En attendant Bojangles. Rien d’étonnant à ce qu’il ait remporté pas moins de trois prix littéraires : le Grand Prix RTL-Lire 2016 / le Prix France Télévisions 2016 et Le Prix du roman des étudiants France Culture-Télérama 2016.

>>> Chronique du second roman d’Olivier Bourdeaut par ici !

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Mousseline la Sérieuse, Sylvie Yvert : les mémoires apocryphes de la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette

En rédigeant les mémoires apocryphes de « Mousseline la Sérieuse », surnom donné par Marie-Antoinette à sa fille, Sylvie Yvert réhabilite un illustre personnage de l’Histoire de France injustement jeté aux oubliettes. À partir des feuillets laissés par Marie-Thérèse-Charlotte de France à la prison du Temple, dont elle sera la seule survivante, l’auteure se lance dans la rédaction de son journal fictif. Le résultat est savoureux ! De par son érudition et sa connaissance précise de cette période particulièrement instable politiquement, Syvie Yvert nous entraîne dans une biographie dense et surprenante. Pléthore de textes, mémoires, écrits, fictions, biographie ont pour objet le couple royal tombé sous la guillotine. Néanmoins, celle qui leur survécut jouit d’une notoriété moindre. Celle que l’on surnomme « Mousseline la Sérieuse », vécut de 1778 à 1851. Elle naquit sous la monarchie, vécut son abolition et perdit tous ses proches. Elle connut trois révolutions, la République, l’Empire, la Restauration, la monarchie de Juillet, une Seconde République pour enfin s’éteindre un an avant la promulgation du Second Empire ! Il était temps de se plonger dans la vie tumultueuse et jalonnée d’épreuves de « Madame Royale ».

Résumé

Marie-Antoinette, sa mère, la surnommait « Mousseline la Sérieuse ». Et en effet, Marie-Thérèse-Charlotte de France ne se départit jamais d’une certaine tristesse, d’un goût pudique pour la solitude. Est-ce d’avoir vécu tant d’épreuves ? L’irruption brutale de la Terreur révolutionnaire dans une enfance dorée, l’exécution de ses parents, la mort de son jeune frère Louis XVII… Tellement de souffrances accumulées dès le début de son existence. Elle seule survécut à la prison du Temple, fut bannie, vécut 73 ans et trois révolutions. Les pages les plus tourmentées de l’Histoire de France s’écrivirent sans elle : c’est ce affront qu’elle lave ici, l’encre de ses larmes.

Éditions Héloïse d’Ormesson et Pocket

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Repères chronologiques 

La vie de l’ainée de Marie-Antoinette et de Louis XVI s’étend de la fin du 18ème siècle jusqu’à la moitié du 19ème. Étant une période riche en événements historiques et en révolutions, je me suis dit qu’une piqûre de rappel ne ferait de mal à personne 😉

  • 4 sept. 1791 : Louis XVI prête serment à la Constitution, cela marque le début de la monarchie constitutionnelle
  • 10 août 1792 : Prise des Tuileries, chute de la monarchie et suspension de Louis XVI
  • 1792-1804 : 1ère République
  • 9 Nov. 1799 : coup d’État du 18 brumaire début du Consulat
  • 1804 : proclamation de l’Empire, Napoléon Bonaparte Empereur des français 
  • 1814 : abdication de Napoléon Bonaparte – Restauration des Bourbons
  • 20 mars 1815 – juil. 1815 : les Cent-jours, second règne impérial de Napoléon 1er
  • 1815 – 1830 : Seconde Restauration – Louis XVIII revient sur le trône puis lui succédera Charles X
  • 27/28/29 juillet 1830 : Trois Glorieuses
  • 1830 – 1848 : monarchie de Juillet – avénement de Louis-Philippe
  • 1848 – 1851 : Deuxième République
  • 1852 – 1870 : Second Empire – Napoléon III
  • 1870 – 1940 : Troisième République

Contrainte à l’exil par trois fois, elle ne pourra rester indifférente à la succession ininterrompue de régimes politiques en France. Sa survie relève du miracle.

La réhabilitation d’une figure illustre et injustement évincée de l’Histoire de France

Son devoir de mutisme lié au maintien de son rang et sa discrétion naturelle, en ont-ils fait une « oubliée » de l’Histoire ? En effet, dès son plus jeune âge, « Mousseline la Sérieuse » adopta des attitudes d’adulte, lui conférant ainsi une certaine aura. Elle ne pourra se départir de l’image d’une jeune fille discrète et sérieuse. Le tragique des événements permet très certainement d’expliquer son manque d’insouciance pour une jeune fille de son âge. Elle connut un destin tragique marqué par la fin de la monarchie à l’âge de 10 ans, une captivité qui dura 3 ans. Elle dut faire le deuil de ses parents, mais également de son frère. Pendant près d’un an, on lui cacha la mort de ses proches. Elle vécut ainsi dans une totale incertitude quant à ce qui l’attendait. En proie à la tristesse, elle ne laissa rien paraître de son désarroi. Elle dut recevoir la fierté maternelle en héritage.

L’Histoire de France entrevue à travers le prisme de la subjectivité  

C’est sous la forme d’un journal retraçant les mémoires de « Mousseline la Sérieuse » que Sylvie Yvert a décidé de faire revivre cette femme. Je trouve que la singularité de l’oeuvre réside dans le choix fait par l’auteure de « prendre la plume à sa place ». Observer le cours de l’Histoire à travers les yeux d’une enfant, âgée de seulement 10 ans au moment de la Révolution, offre une nouvelle perspective. En guise d’avertissement, Sylvie Yvert précise que les mémoires sont fictives et construites à partir d’un « fragment de dix-huit feuillets qu’elle a rédigés en prison à l’âge de seize ans ». Même si se pose la question de la véracité et de l’authenticité des propos, il est indéniable que l’auteure maîtrise son sujet et s’efforce de coller au plus près du réel. Ces mémoires sont censés avoir été écrits en 1850, Mousseline la Sérieuse étant alors âgée de 70 ans. Par conséquent, son auteure nous relate des faits qu’elle a vécus tout en ayant en tête le cours implacable de l’Histoire. Marie-Thérèse-Charlotte de France n’ayant pas le don d’ubiquité et n’étant pas omnisciente, ce roman historique ne donne pas une vision exhaustive des événements. Je trouve cela à la fois intéressant mais également limitant. C’est frustrant pour le lecteur de rester cloîtré dans la prison du Temple auprès de la famille royale, sans que l’auteure ne décortique les rouages de la folie meurtrière de la Terreur officiant à l’extérieur. Finalement, on ressent la frustration qu’ont dû ressentir les membres de la famille royal bercés d’illusions quant à leur avenir. On ne voit pas de l’intérieur la montée en puissance de la folie meurtrière et vengeresse. Celle-là même qui conduira les monarques à l’échafaud. Finalement, en adoptant le point de vue limité de « Mousseline la Sérieuse », nous passons à côté de la fermentation des esprits qui conduisit à l’une des périodes les plus sombres de l’histoire de France. Cette période est d’ailleurs particulièrement détaillée dans les biographies consacrées à Marie-Antoinette et Fouché réalisées par le biographe de génie Stefan Zweig. Je ne le cache pas l’écrivain autrichien est mon auteur préféré. 😀  Il dissèque avec virtuosité les tréfonds de l’âme humaine, en excluant toute sentimentalité. Il analyse, quasiment de manière clinique, les convulsions de ce pan de l’histoire. Je conseille à tous les lecteurs souhaitant obtenir plus amples informations sur cette période de lire ces deux biographies. Elles mettent en lumière les intentions de ceux qui mirent la France à feu et à sang sous couvert d’égalitarisme.

Des monarques « réhumanisés »  

Marie-Antoinette est passée à la postérité sous les traits d’une reine « écervelée, capricieuse et vaniteuse » au train de vie dispendieux. « Mousseline la Sérieuse » corrige le portrait de cette souveraine méprisée. D’autres auteurs se sont évertués à clamer son innocence concernant certaines affaires rocambolesques et comportements irresponsables que le peuple lui avait attribués. Dans Le Collier de la reine d’Alexandre Dumas ainsi que dans la biographie qui lui est consacrée par Stefan Zweig, elle apparaît comme la victime de sombres manipulations, ayant pour fin de la discréditer. On la découvre digne et fière face aux terribles épreuves auxquelles elle doit faire face. Il est d’ailleurs de notoriété publique, que ses geôliers tombèrent sous son charme. Les républicains les plus endurcis finirent par éprouver de la pitié et de l’empathie pour cette femme. Celle qui fut considérée comme une débauchée par le peuple français, se distinguera par son sang-froid. Les événements lui donneront l’occasion de se révéler à elle-même.

Louis XVI est présenté sous les traits d’un monarque bon et miséricordieux, dont la seule préoccupation réside dans le bien-être de ses sujets. La description réalisée fera certainement grincer des dents nombre de lecteurs. Cependant, rappelons-nous que nous sommes censés lire les mémoires de sa fille 😉  De plus, il faut rendre justice à ce monarque qui fut le moins violent de tous. Il refusera à chaque fois que l’occasion lui sera présentée d’utiliser la force pour endiguer les révoltes du peuple français. Il consentira à donner satisfaction au peuple et acceptera tous les compromis. Était-il doté d’une lucidité exceptionnelle quant à l’issue qui lui était destinée ? Ou tout simplement trop las pour chercher à contrecarrer les plans de ses oppresseurs ?

Une deuxième partie un peu décevante

La période qui s’étend de la prise de la Bastille à la fin de la captivité de « Mousseline la Sérieuse » est très agréable à lire. La seconde partie du roman historique qui porte sur la vie de princesse de 1795 à 1851 a été quelque peu fastidieuse à lire. Le fait de ne voir l’histoire qu’à travers les yeux de cette femme devient dérangeant puisque l’auteure n’aborde qu’en superficialité la période la plus agitée de l’Histoire de France. Alors que la première partie de l’ouvrage englobe 246 pages, la seconde partie n’a nécessité que 83 pages. Cette seconde partie ne m’a donc pas convaincue. Les propos sont redondants, surtout lorsque la narratrice évoque les raisons pour lesquelles elle donne l’image d’une femme froide et distante. Personnellement, j’aurais préféré que l’ouvrage se termine à la fin de la première partie. La deuxième partie n’apporte en réalité rien de nouveau et passe rapidement sur ce qui aurait du faire l’essence même de son propos.

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Conclusion

J’ai un avis quelque peu nuancé sur cet ouvrage retraçant la vie de « Mousseline la Sérieuse ». Alors que la première partie de l’ouvrage est dense et passionnante, la seconde partie a altéré l’enthousiasme que j’avais en lisant la première. Néanmoins, je conseille au lecteur de se procurer cet ouvrage et de s’y plonger, du moins jusqu’à la fin de la première partie. 😉 J’ai ajouté la photo d’un de mes livres préférés, auquel celui-ci m’a fait penser. Cet ouvrage n’est autre que la sublime biographie écrite par Stefan Zweig et consacrée à Marie-Antoinette.

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Les Indésirables, Diane Ducret : l’urgence de vivre

Dina Ducret – auteure du fameux Femmes de dictateur, nous livre avec Les Indésirables un témoignage sincère et émouvant de la vie de ces femmes étrangères maintenues captives sous le régime de Vichy. Alors, que leur identité – origines, religions… – et leur statut – sans enfant – leur a valu toutes sortes d’inimitiés, elles vont faire preuve d’un courage et d’une solidarité immense face à l’adversité. Ce roman retranscrit cette urgence de vivre, cette nécessité de garder espoir, quand on n’a plus rien à quoi se raccrocher, qu’on est dépossédé de tout. Internées dans le Camp de Gurs – sous administration française – elles feront preuve d’une capacité de résilience incroyable. Elles sauront tirer profit du moindre événement susceptible d’améliorer leurs conditions de vie. Maintenues captives dans un camp initialement conçu pour les opposants au régime de Franco, elles seront amenées à cohabiter avec eux. Même dans les conditions les plus précaires, les facultés naturelles de l’homme ne s’amenuisent pas. Bien au contraire, dans ce camp de concentration, des idylles vont naître, des couples se former et des amitiés indéfectibles se lier.  Diane Ducret nous offre un très beau roman sur l’espoir, l’amitié et la solidarité féminine.

Résumé

Nous avons ri, nous avons chanté, nous avons aimé. Nous avons lutté, mon amie, c’était une belle liste  je me suis sentie plus vivante à tes côtés que je ne le fus jamais.

Un cabaret dans un camp au milieu des Pyrénées, au début de la Seconde Guerre Mondiale. Deux amies, l’une aryenne, l’autre juive, qui chantent l’amour et la liberté en allemand, en yiddish, en français… cela semble inventé ! C’est pourtant bien réel. Eva et Lise font partie des milliers de femmes « indésirables » internées par l’État français. Leur pacte secret les lie à Suzanne « la goulue », Ernesto l’Espagnol ou encore au commandant Davergne. À Gurs, l’ombre de la guerre plane au-dessus des montagnes, le temps est compté. Il faut aimer, chanter, danser plus fort, pour rire au nez de la barbarie.

Flammarion

booksnjoy - les indesirables - diane ducret

Un mutisme étonnant face au sort de ces femmes indésirables et une reconnaissance tardive

La force de ce roman réside dans la capacité incroyable qu’à l’être humain de puiser dans ses ressources pour tenir face à l’adversité. Galvaudé comme sujet de roman me direz-vous ? Pas tant que ça. En effet, il existe une multitude d’ouvrages qui abordent ce pan de l’histoire de France et la thématique de la résistance passive – consistant à se maintenir en vie pour ne pas capituler. Néanmoins, la singularité de ce roman réside dans le sujet choisi. En réalisant des recherches j’ai trouvé peu d’informations traitant de ce thème. Excepté un documentaire réalisé par Bénédicte Delfaut, le sort de ces femmes considérées comme indésirables semble avoir sombré dans l’oubli. Diane Ducret leur redonne leur place légitime dans l’histoire et donne du sens à leur combat en retraçant leur vie. Elle leur permet d’entrer dignement et reconnues dans la postérité.

Ivres de vie, les Indésirables font un pieds de nez à la barbarie

Suzanne dites « la goulue », petite, ronde, rousse, incarne avec justesse cette rage de vivre. C’est un des personnages qui m’a le plus marqués. Pétulante, elle insuffle un vent de légèreté et de frivolité. Alors que les wagons déversent leur lot de femmes désoeuvrées prêtes à être enfermées, Suzanne fait le choix de se joindre à ces femmes. Tombée amoureuse au premier regard d’un bel espagnol interné dans le camp pour ses convictions politiques, elle décide de le retrouver. Elle entre alors volontairement dans l’enfer des camps de concentration ! Elle, qui n’est en aucun cas considérée comme appartenant au groupe des femmes indésirables. Ayant conscience qu’à l’extérieur elle ne trouvera pas d’hommes avec qui partager sa vie, elle ne voit aucun inconvénient à vivre sa passion romantique dans un camp d’internés aux conditions de vie déplorables. Dotée d’un humour ravageur, cette qualité inouïe lui permet de relativiser les épreuves subies.

« Et à qui tu vas te plaindre ? dit Suzanne. Tu vas remplir le carnet de doléances des femmes insatisfaites ? Fais la queue, y a déjà du monde. Si tu veux te plaindre auprès de Grumeau, tu connais le prix. »

« On devrait se plaindre aux Allemands de nous avoir mis un commandant si mal monté. Quitte à être violée, autant que ce soit un gars qui connaisse son affaire. »

« Pour sûr, les Allemands, cela doit être eux qui ont inventé les sardines en boîte. Ils sont champions dans l’art d’entasser, commente Suzanne. »

Lise incarne la candeur et la naïveté propres aux jeunes filles. Eva, avec qui elle s’est dès le début liée d’amitié, lui servira de socle et de repère dans cet environnement hostile dans lequel elles évolueront. Lise fera ses expériences de femmes dans le Camp de Gurs, y vivra ses premiers émois et découvrira sa féminité. Eva, quant à elle, marquée au fer rouge par la vie, sera empreinte d’une certaine gravité. Stérile des suites de complications gynécologiques et de par la volonté de ses parents de ne pas faire scandale, elle s’octroie le statut d’exilée. Autant d’attributs qui pour une femme à cette époque lui confère le statut d’Indésirable. Eva est issue d’une famille de sympathisants nazis. Guidée par des valeurs humaines et morales, elle refuse d’y renoncer même si cela doit impliquer de se sacrifier. Elle préfère couper avec ses origines familiales qui auraient pu l’épargner si elle avait fait preuve de lâcheté.

Les prémices de la résistance incarnée par le commandant Davergne 

 Le commandant Davergne, chef de camp du 1er juin 1939 au 26 novembre 1940, jouera un rôle clé dans l’administration du camp de Gurs. Apprécié par les allemands pour sa droiture et son respect de l’autorité, il rejoindra néanmoins la résistance dès 1940. En effet, cela n’est pas mentionné dans le roman mais le commandant Davergne entrera dans la résistance au sein de l’ORA – organisation de résistance de l’armée. Entièrement dévoué à ses prisonniers, doté d’une grande humanité, il est sensible à la misère de ses internés. Il s’efforce d’alléger les peines des détenues. Il a su créer une sorte de bulle protectrice, un univers parallèle qui échappe en partie à la barbarie. Peu avant l’arrivée des soldats allemands, il donnera l’opportunité aux ressortissants étrangers de rejoindre l’Afrique du Nord. Pour cacher son implication et protéger les prisonniers, il les déclarera mort de dysenterie et mettra le feux aux documents administratifs attestant de la présence de ces ressortissants étrangers au sein du camp de Gurs.

« Peu avant l’aube, Davergne, averti de l’arrivée de la commission, a organisé le transfert d’un contingent de Brigades internationales. Depuis des mois qu’il se préparait à cette éventualité, il avait trouvé un moyen non officiel de les faire passer en Afrique du Nord, dans la partie des colonies placée sous contrôle français et anglais.

« Nous avons subi des pertes considérables liées à l’épidémie de dysenterie », explique-t-il aux Allemands, prenant soin de couvrir sa bouche de son mouchoir blanc, ce qui a pour effet de faire presser le pas aux membres de la commission, qui barrent ainsi en hâte des milliers de noms suivis de la mention décédé.

Davergne sait, hélas !, que la supercherie sera dévoilée sitôt communiqué aux autorités militaires de Paris le rapport de visite. La commission partie, il s’avance au pas de charges vers les voitures de son personnel, un broc dans chaque main, siphonne le réservoir de la Citroën de Grumeau, verse ensuite le pétrole sur le parquet de sa baraque, dans laquelle est archivé le registre des prisonniers. Il imbibe son mouchoir et badigeonne les murs du sol au plafond. Un incendie fera disparaître tout ce qui permettrait d’identifier ceux qu’il a libérés. »

Le beau transcende la barbarie

Diane Ducret nous offre des moments de pure grâce. Ainsi, Eva ivre de rage face aux sévices subis par les femmes de son baraquement de la part de Grumeau, s’en va fustiger les méthodes appliquées au sein du camp auprès du commandant Davergne. Celui-ci finit par céder et consent à faire entrer un piano dans le camp en réparation des exactions commises par ses gardes. Ce piano est l’instrument de l’espoir, il va leur permettre de se produire en spectacle. De retrouver le goût de vivre.

L’auteure fait de l’art le moyen de transcender l’horreur du quotidien dans les camps de concentration. Il permet de s’échapper de la réalité et de s’élever. L’art a le pouvoir de sublimer la réalité, notre perception s’en trouve modifiée.

« Hans ne manque pas une occasion de vanter les vertus curatives de l’art : « Peu importe l’organe par lequel elle frappe les sens, ce peut être l’ouïe, l’odorat ou la vue, la beauté peut guérir les hommes de tous les maux ! Aussi faut-il, ici plus qu’ailleurs, les baigner dans tout ce que l’art a produit de meilleur. » Pendant quelques heures, les infirmes, les chrétiens, les fiévreux allaient mieux. »

Conclusion 

L’auteure, avec son roman Les Indésirables, aborde un sujet délicat avec justesse et nous livre un récit émouvant et teinté d’humour. Les personnages sont hauts en couleur et terriblement attachants. L’auteure ne fais pas l’erreur de tomber dans le pathos, même si je trouve qu’elle aurait pu approfondir certains passages. J’aurais aimé une description plus fournie de l’impact libératoire que procure le cabaret chez ces détenues. Certains passages auraient mérité que l’on s’y attarde un peu plus. C’est le seule reproche que je trouve à faire 😉 Néanmoins, dans l’ensemble j’ai beaucoup apprécié cette lecture, suivre le parcours de ces femmes indésirables et leur lutte pour se maintenir en vie.

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