Nathacha Appanah nous plonge dans l’enfer de l’île de Mayotte. Lauréat de treize prix littéraires, Tropique de la violence sonde la noirceur de l’âme humaine. Celle d’une jeunesse engluée dans une réalité où tout espoir semble avoir déserté. À mille lieux des paysages paradisiaques, des lagons d’un bleu profond et des plages de sable fin au cœur de l’océan Indien, une toute autre réalité se dessine. La ville de Kawéni, surnommé Gaza, est le plus grand bidonville français. S’y entassent des milliers d’habitants dans le chaos le plus complet. Cette portion de terre où la population vit dans la misère est connue pour être le lieu d’accueil quotidien d’immigrés fraîchement débarqués. Les clandestins accostent sur les plages de Mayotte à bord de « kwassa », canots de pêche transportant ceux prêts à risquer leur vie pour atteindre l’eldorado français. Exacerbant ainsi les tensions. Les infrastructures ne sont pas adaptées, les rues sont surpeuplées. Kawéni est devenue un terreau propice à la violence. Une véritable bombe à retardement. Des jeunes sèment la terreur. Moïse, dont la mère s’est évaporée après l’avoir confié à une infirmière stérile désirant ardemment un enfant, est élevé dans un cadre protégé. Ignorant la colère qui gronde à l’extérieur du foyer. Le jour où sa mère décède brutalement, sa vie bascule. Il croise la route de Bruce, le chef de Gaza. Il entame alors une descente aux enfers. À travers le destin de cet adolescent, on découvre un territoire français en proie à une crise migratoire complexe et laissé à l’abandon par les autorités. L’île de Mayotte se nourrit de ses habitants, suçant leur sang jusqu’à leur faire perdre la tête. Distillant son poison, altérant la raison. L’île semble dotée d’une force quasi mystique. Elle altère le jugement de ses habitants, fait ressortir les plus vils comportements. La folie les gagne tous. Nathacha Appanah décrit avec précision la misère et la souffrance de ceux qui vivent dans ce paradis maudit. Un lieu où tout espoir est mort-né.
Le récit d’une descente aux enfers
Lorsque Moïse quitte son foyer, laissant le corps de sa mère se décomposer, il garde encore intacte son âme d’enfant. Elle ne survivra que peu de temps face à l’enfer qui l’attend. Sa mère a tenu à le préserver, le tenant écarté des drames qui sont en train de se jouer. Moïse est sourd à la tension qui plombe l’atmosphère. Et pourtant la colère gronde. Les habitants voient leur ville leur échapper, envahie par ceux qu’ils appellent maintenant des clandestins, venus des îles voisines des Comores. La réalité ne va pas tarder à le rattraper. Il comprend alors la chance qu’il a d’avoir été élevé dans un foyer aimant. D’avoir eu accès à tout ce qui lui semblait aller de soi, mais que ceux qui l’ont recueillis n’ont pas eu la chance d’expérimenter. Creusant ainsi un fossé entre eux. Faisant naître une jalousie tenace chez Bruce, pour qui ce garçon aux yeux de couleurs différentes, l’un marron, l’autre vert, couleur du djin, est l’incarnation du démon. Il savait qu’en acceptant sa présence, il se mettait en danger. Le garçon est une menace. Moïse souffre en silence. Il perd tous ses repères. Il subit la violence des jeunes, qui comme lui n’ont plus rien. Jusqu’au jour où il décide de prendre son destin en main et mettre fin à son cauchemar. Déclenchant une fureur sans précédent.
Mayotte : terre d’accueil des immigrés clandestins
Nathacha Appanah fait de la crise migratoire à Mayotte le cadre narratif de son dernier roman. Elle y dénonce l’immobilisme du gouvernement français, qui ferme les yeux sur l’afflux massif de migrants se déversant régulièrement sur l’île de Mayotte. Le fait qu’aucune mesure adaptée ne soit envisagée pour sauver la population de la misère et empêcher la ville de Kawéni de sombrer dans l’insalubrité. L’auteure décrit minutieusement la vie dans le bidonville. Les jeux de pouvoir dont le jeune Moïse fera les frais. Devenant le larbin du chef de Gaza. Les jeunes y sont livrés à eux-mêmes. Survivant grâce à de petits larcins. Faisant la manche. Rackettant, agressant les habitants. L’insécurité est telle, que les habitants se claquemurent chez eux. Fixent des barres de fer aux fenêtres et des cadenas aux portes. D’ailleurs, le seul commerce qui semble fonctionner correctement est celui de la ferronnerie. Et pour cause… Le récit est découpé en différents témoignages. Chaque personnage se confie, évoque une lente désillusion. Il y a ceux qui débarquent pétris de bons sentiments. Prêts à prendre le problème à bras le corps, et qui se confrontent rapidement à la complexité de la situation. Ils prennent conscience que leurs actions influent à la marge sur le réel. La violence à laquelle ils sont confrontés est bien loin de celle qu’ils avaient imaginée. Tellement il semble inconcevable que le gouvernement français laisse prospérer la délinquance et la violence en toute impunité au sein d’un de ses départements. Si la vision de Mayotte diffère d’un personnage à l’autre, tous ont commun de faire l’expérience d’une désillusion. La terre est porteuse d’une malédiction. Épuisant tous ceux qui essaient d’avancer. Avant qu’ils ne finissent par céder. Les plus chanceux rentrent chez eux, riches d’anecdotes à raconter, tandis que les autres n’ont d’autres choix que de faire aller.
Conclusion
En peu de mots, Nathacha Appanah parvient à nous émouvoir. En nous racontant le destin tragique d’un adolescent sur l’île de Mayotte, son calvaire après le décès de sa mère, elle évoque la situation dramatique de l’île. En proie à une crise migratoire sans précédent. Tropique de la violence est d’autant plus précieux, que peu de romans traitent de ce sujet d’actualité. Je vous le recommande !
Valérie
juin 15, 2018Je ne dirais pas que j’ai été émue, je n’ai pas été emportée d’ailleurs mais je relirai l’auteure et j’ai aimé l’écouter parler de son roman.
Books'nJoy
juin 22, 2018J’ai beaucoup aimé l’écriture crue de l’auteure sur un sujet tellement dur dont on ne parle pas souvent, mais ce n’est pas non plus un coup de cœur. Toutefois, comme vous, ce roman m’a donné envie d’en découvrir plus sur l’auteure et ses précédents romans, ainsi que les suivants 😉