« Assurément, si le lien qui nous unit est toujours aussi fort, nos cœurs avant longtemps finiront par se comprendre. » Publié à titre posthume en 1817, Persuasion est le dernier roman achevé de Jane Austen. Le destin de son héroïne, les fiançailles rompues et l’histoire d’amour entravée, trouvent écho dans la vie intime de la romancière anglaise, faisant de ce roman, si ce n’est son plus connu, certainement son plus personnel. Angleterre, 1806. Dans le comté de Somerset, alors que Sir Walter trompe l’ennui en feuilletant La liste des Baronnets, confortablement installé dans son château de Kellynch, sa fille cadette Anne se lie avec un jeune officier de marine. La froideur de son père, mais surtout les réticences de la tendre amie de la famille Lady Russell, craignant une mésalliance, persuadent la jeune femme de rompre son engagement. Cette versatilité trahit pour Frederick Wentworth – jeune homme vif et séduisant – une fragilité de caractère et une inconstance des sentiments. Piqué dans sa fierté, il ne pardonne pas à Anne d’avoir privilégié la sécurité à l’assurance d’un amour passionné. Le jugement hâtif qui l’a condamné habite les pensées de la jeune femme pendant sept longues années, pendant lesquelles elle échoue à contracter d’autres engagements et à étouffer le souvenir si doux d’un premier amour contrarié. Alors qu’elle s’est faite à l’idée d’une vie effacée, nostalgique et mélancolique, que son père et sa sœur, dont le snobisme n’a d’égal que la superficialité, goûtent à de petits plaisirs mesquins en société, le hasard les fait se retrouver. Le passé s’impose aux deux amants, laissant espérer, peut-être, qu’en faisant preuve de davantage de fermeté, ils sauront saisir cette nouvelle chance qui leur est donnée de s’aimer. La douceur de l’héroïne, sa pureté, et cette manière sincère d’aimer dépourvue de tout artifice, telle que l’ironie piquante, trait caractéristique des héroïnes de Jane Austen, qu’elles usent comme d’une protection face au danger de l’expression de sentiments profonds et vrais, font de Persuasion un classique anglais d’une délicatesse enveloppante et d’une finesse éblouissante.
Persuasion : le dernier roman de Jane Austen, mais aussi son plus personnel ?
Jane Austen (1775-1817) mourut à l’âge de 41 ans après avoir achevé Persuasion, et légué à la postérité une œuvre où se mêlent subtilement ironie mordante, traits d’esprit et éclosion du sentiment amoureux. Elle y exécute également le portrait d’une société peu émancipée, où le mariage semble être pour les femmes l’unique cause de soucis et débouché. Et pourtant, celle qui est considérée aujourd’hui comme la grande romancière du mariage…ne s’est jamais mariée ! Fiancée, elle le fut, une fois, mais rompit son engagement le lendemain matin. Dès lors, l’intrigue de Persuasion ne peut manquer d’être rapprochée de la vie intime de l’autrice. Anne Elliott n’a-t-elle pas quelque chose de Jane Austen ? Cette histoire de fiançailles rompues ne fait-elle pas écho à la sienne ?
Condition féminine & Rapports hommes-femmes.
– Nous vivons au foyer, paisiblement, une vie confinée, et nos sentiments au-dedans nous consument. Vous, vous êtes contraints à l’action. Vous avez une profession, un objet, des affaires, d’une sorte ou d’une autre, qui aussitôt vous font retourner dans le monde. Ces occupations, ces changements qui n’en finissent pas rendent les impressions moins durables.
– Je ne crois pas de ma vie avoir ouvert un livre qui n’avait rien à dire sur le sujet de l’inconstance des femmes. Chansons, proverbes parlent tous de leur humeur volage. Mais peut-être m’opposerez-vous qu’ils ont tous été écrits par des hommes.
– Peut-être en effet. Oui, s’il vous plaît, ne vous appuyez pas sur des exemples pris dans les livres. Les hommes ont pleinement utilisé l’avantage qu’ils avaient sur nous de raconter l’histoire à leur façon. Ils ont bénéficié d’une instruction mille fois supérieure. Ils ont tenu la plume. Je n’accorderai pas aux livres de prouver quoi que ce soit.
Le triomphe de l’amour ! La recette : constance des sentiments & fermeté de caractère.
Si plus jeune, Anne Elliott a pu se laisser influencer, jamais elle n’a douté de la véracité de ses sentiments. Ni d’ailleurs du bien-fondé des conseils prodigués. Le goût des retrouvailles n’a que plus de saveur, qu’un laps de temps conséquent s’est écoulé, permettant aux amants de grandir, de mûrir. D’apprécier des qualités qu’ils n’ont pas su retrouver dans les relations qu’ils ont pu nouer. La séparation, certes douloureuse, apparaît comme une bénédiction, la preuve d’une constance des sentiments et d’une inclination durable.
Mon évaluation : 4,5/5
Date de parution : 1817. Poche chez Folio dans la collection Folio Classique, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Marie-Claire Pasquier, 368 pages.
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