La célèbre formule « Familles, je vous hais » d’André Gide aurait pu figurer en exergue de ce premier roman, tant elle résume efficacement le propos de Charlotte Pons. La concision de la narration ne laisse pas augurer de la densité des propos évoqués. Relativement court, servi par une langue délicate et un ton juste, Parmi les miens aborde des sujets sérieux sans que l’auteure ne force le trait. À travers la position particulière de l’ainée, Charlotte Pons nous fait entrer dans l’intimité d’une famille démunie face à une situation de crise. Suite à un accident, la mère est plongée dans le coma, sans que rien ne laisse présager une possible rémission. L’auteure construit son propos en partant de l’épicentre, l’accident, puis les sujets s’agrègent, viennent enrichir le propos, qui, à mesure que les cercles concentriques s’éloignent de l’onde de choc, gagne en profondeur. En partant de cet événement Charlotte Pons interroge la nature des liens qui unissent les membres d’une même famille. Liens de parenté, qui à l’œuvre du temps, ont perdu en intensité. Elle ausculte les réactions, les crispations qui naissent de la promiscuité imposée par cette situation délicate où chacun se retrouve contraint de composer. La tension est palpable, la moindre remarque propice à déclencher un regain d’animosité. Chaque accrochage devient l’occasion d’évacuer un trop plein de nervosité. Surtout lorsque l’ainée laisse échapper un malencontreux « autant qu’elle crève ». Trop tard, une fois prononcés, les mots ne peuvent être retirés. Ils s’immiscent dans les esprits et planent sur le récit. Au fil des jours, les échanges s’enveniment, les secrets affluent mais la question reste en suspens : Que fait-on de maman ? Surgit alors le sujet épineux du droit à mourir dignement. L’euthanasie, la complexité des liens familiaux et le flou entourant la personnalité de nos parents, dont nous ne disposons que de bribes, sont autant de sujets cruciaux abordés. Charlotte Pons signe un premier roman plus puissant qu’il n’y paraît.
La complexité des liens familiaux
La famille est un thème littéraire sur lequel les auteurs sont intarissables. Une source inépuisable de situations mise à la disposition des écrivains. La multiplicité des combinaisons étant infinie, chaque situation se prête au jeu de l’auscultation. Charlotte Pons imagine une famille tout ce qu’il y a de banal. Un père, une mère et leur enfants, un fils et deux filles. Manon est l’aînée, suivent chronologiquement Gabriel et Adèle. Dès les premières pages, la colère sourde et l’agacement de Manon sont perceptibles. Rien ne sert de dramatiser la situation, il faut rationaliser. En tant qu’aînée la lourde de tâche de prendre des décisions elle se l’est naturellement octroyée. Elle ne peut se retenir de lancer des petits pics, de souligner l’ironie d’une situation même si elle égratigne les autres au passage. Un peu brute de décoffrage, elle n’en est pas moins terriblement attachante. Derrière l’apparente dureté, se cache une profonde maladresse. Consciente que sa mère avait formulé le souhait d’être débranchée plutôt que gardée inanimée, et au fait de son état de santé, elle provoque un tollé en émettant l’hypothèse d’une mort assistée. Sidérée par son manque de tact, sa sœur lui reproche de manière véhémente son manque de compassion. Que cherche-t-elle ? À tuer sa mère ? Son père, taiseux de nature, s’enfonce un peu plus dans le silence. Il reste mutique. Il est là, sans réellement être présent aux évènements, les subissant passivement. Tandis que Manon essuie les sarcasmes de son frère avec qui la situation ne s’est pas améliorée. Proches dans l’enfance, le frère et la sœur se sont considérablement éloignés. Il aura suffi d’un comportement à risque pour laisser s’insinuer la méfiance dans leurs rapports. Et comment faire autrement ? Petit à petit, le lecteur devient le spectateur de cette vie de famille étalée devant ses yeux. Par moment, Manon fait une pause dans les confessions qu’elle livre au lecteur, un arrêt sur image, puis zoom sur un détail. Ce dernier prend la forme d’une révélation, d’une conversation, d’un bout de vie, une sorte de clé de compréhension de son histoire familiale. Élevée dans une famille peu encline aux manifestations de tendresse et aux épanchements affectifs, la froideur de sa mère devient un élément explicatif de son désintérêt à devenir mère à son tour. Mis bout à bout, les morceaux du puzzle de leur vie familiale s’imbriquent. L’ensemble finit par former un tout cohérent éclairant leurs comportements. Charlotte Pons évoque avec habileté l’entrelacs des liens familiaux, ce qu’ils ont d’ambigu. On se retrouve dans les situations évoquées, ainsi que dans les comportements adoptés.
Le sujet épineux de l’euthanasie
Peu évoqué en littérature, le thème de l’euthanasie est pourtant un sujet de société qui mériterait d’être questionné par les romanciers. La législation française n’autorisant pas les malades en fin de vie à choisir la manière par laquelle ils souhaitent partir, des choix alternatifs s’offrent à eux. Il est possible d’aller en Suisse où l’euthanasie est autorisée ou bien comme l’explique Charlotte Pons d’avoir recours à des méthodes illégales. Dès le début, le lecteur comprend que la mère est condamnée. Il connaît également ses dernières volontés. Néanmoins, au sein de la famille, chacun doit se faire à l’idée de cette possibilité. Si certains vont la rejeter de but en blanc, d’autres vont l’adopter. Charlotte Pons pose la question centrale du choix de la personne concernée, doit-on rester fidèle à son choix initial même si celle-ci n’est plus là pour le réitérer ? Comment vivre avec le sentiment de culpabilité ? La question clivante aura tendance à diviser, mais Charlotte Pons a le mérite de la poser.
Conclusion
Parmi les miens est un premier roman prometteur. Il a permis à Charlotte Pons de se révéler en tant qu’auteure. Le sujet de la maladie et de la fin de vie, est certes peu joyeux, mais rendu intéressant par sa prose délicate. S’atteler à de tels sujets pour un premier roman était un pari risqué, que Charlotte Pons a parfaitement relevé. J’attends le prochain avec impatience 😉
PREMIER ROMAN
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