Le roman Par amour, signé Valérie Tong Cuong, est un petit bijou de littérature. L’auteur aborde avec délicatesse les thèmes de la séparation, de la culpabilité et du déchirement, en temps de guerre à travers une fresque familiale touchante. La force de ce roman réside dans la douceur avec laquelle Valérie Tong Cuong nous raconte l’histoire de cette famille havraise, sous l’Occupation allemande, pendant la Seconde Guerre mondiale. Une fois en main, on le lit d’une traite. Le lecteur n’est pas nécessairement happé mais plutôt délicatement entrainé. Plongée dans ce roman, j’avais la sensation d’être confortablement installée dans une barque me laissant porter au rythme régulier des flots, vers une autre époque, d’autres lieux. Valérie Tong Cuong, excelle dans l’art de donner vie à ses personnages, à une époque, à ses décors. Elle nous fait voyager du Havre à l’Algérie, le dépaysement est total. La prose musicale et harmonieuse de l’écrivain rend accessible ce livre à tous. Ce n’est pas pour autant, que cette fluidité de l’écriture atténue la profondeur du récit, bien au contraire cela renforce l’intensité de la narration. J’ai découvert la plume de Valérie Tong Cuong grâce à cet ouvrage, je ne peux que le conseiller 🙂
Résumé
Par amour, n’importe quel être humain peut se surpasser. On tient debout, pour l’autre plus encore que pour soi-même. V.T.C
Valérie Tong Cuong a publié dix romans, dont le très remarqué Atelier des miracles. Avec cette fresque envoûtante qui nous mène du havre sous l’Occupation à l’Algérie, elle trace les destinées héroïques de gens ordinaires, dont les vies secrètes nous invitent dans la grand histoire.
JC Lattès
Une fresque familiale entre le Havre et l’Algérie coloniale
Avec son roman Par amour, Valérie Tong Cuong décortique avec brio la complexité et la dualité des sentiments des membres d’une même famille pendant l’Occupation allemande. Le récit se construit autour de deux soeurs : Émélie, l’ainée, et Muguette, la cadette. Émélie, est aussi sérieuse, que Muguette est évaporée. Émélie, est le socle de la famille, elle la porte à bout de bras, se montre fiable et raisonnable. Elle joue son rôle d’ainée et par là, de mère de substitution auprès de sa soeur, afin de l’aider à surmonter les épreuves qui jalonneront sa vie. Muguette a épousé un homme léger, absent du roman, puisque mobilisé puis fait prisonnier. Chacune des deux soeurs a deux enfants, un garçon et une fille. Émélie pourra compter sur son fils ainé : Jean, chez qui l’on retrouve des traits maternels, tels que l’engagement, la fiabilité et le courage. La cadette, Lucie, sera plus effacée et fera preuve de moins d’héroïsme que son frère. Celle-ci, n’aura que peu de scrupules à se séparer de sa famille pour se mettre en sécurité. Joseph, quant à lui, est le fils de Muguette. Il se montrera stoïque face aux terribles épreuves qu’il aura à surmonter. Il endossera le rôle du père – absent puisque coureur en temps de paix et envoyé au front en temps de guerre – et de la mère – puisque tuberculeuse – avec sa petite soeur, Marline. On découvre dès le début du roman, que Marline est frappée d’un mutisme, mis sur le compte du stress post-traumatique causé par la guerre. Seul l’amour d’une famille adoptive algérienne, pleine de chaleur, saura lui faire recouvrer la parole. Le rôle joué par les familles algériennes pendant la Seconde Guerre mondiale a été une vraie découverte, en ce qui me concerne. J’ai été touchée par la générosité prodiguée par ces familles à l’encontre des enfants ayant du fuir la métropole. Jouer le rôle de famille de substitution pour des enfants étrangers, alors que pour certains leurs progénitures combattaient au front, n’a pas du être évident. Valérie Tong Cuong, décrit avec réalisme la manière dont ces familles font preuve de générosité. Elle n’omet pas d’évoquer les réalités de l’époque. Elle décrit notamment la dureté avec laquelle les pieds-noirs s’adressaient aux musulmans, les traitant de bicot. Ce climat dans les colonies annonce les prémisses de ce qui donnera lieu quelques années plus tard à la guerre d’Algérie. Les deux personnages que j’ai le plus appréciés sont les deux ainés : Joseph et Jean. Ils endossent avec bravoure le rôle de chef de famille, et font preuve d’un courage à toute épreuve.
Des sentiments complexes décortiqués avec justesse
Valérie Tong Cuong dissèque avec minutie la dualité des sentiments qu’implique la guerre. En effet, à chaque fois qu’un choix est fait, qu’une décision est prise, le personnage est tiraillé non pas entre le bien et le mal – qui en temps de guerre sont des notions relativement creuses et abstraites – mais entre le sentiment de faire ce qui est juste et la culpabilité qui en découle. Joffre, après la capitulation de la France dès l’été 1940, rentre chez lui vaincu. Ce retour, qui fait écho à une défaite amère pour les soldats français, va se solder chez lui par un éloignement de sa femme et de ses enfants. Il se montrera agressif à leur encontre, ne parvenant pas à trouver les mots pour évoquer sa frustration et la culpabilité d’avoir échouer à défendre les intérêts de son pays. Seule l’évocation de forces résistantes, parvient à le sortir de sa torpeur. Néanmoins, les choix qu’il fera supposeront une mise à distance de sa famille. On imagine la difficulté de mener une double existence, qui implique de ne récolter que la désapprobation de la part des siens, qu’il tente par là même de protéger. D’un côté, Joffre, passera pour un traitre et un « collabo », auprès de sa propre famille, du fait de sa collaboration feinte avec les allemands. D’un autre côté, il devra assumer le danger, qu’implique son engagement dans la résistance, pour sa famille. J’ai choisi un passage où le désespoir et la culpabilité de Joffre sont flagrants :
« L’idée me traversait de loin en loin, de part en part, que peut-être mon geste n’avait rien à voir avec Anton, mais plutôt avec moi, avec cette cuisante défaite dont la brûlure ne se calmait pas – peut-être que j’avais seulement trouvé l’occasion d’être un héros puisque je ne l’avais pas du tout été sur le champ de bataille, et peu en résistance. »
Sa femme, Émélie, sera, elle aussi, déchirée par le poids des décisions à prendre au nom de la protection de sa famille. Elle prendra en main la guérison de sa soeur, atteinte de tuberculose, ainsi que l’envoi de ses neveux en Algérie. Valérie Tong Cuong, retranscrit avec virtuosité, cet enchevêtrement de sentiments contraires. Le thème de la séparation est omniprésent dans ce roman. Les mères devant se séparer de leurs enfants, les maris partis au combat, la maladie, la mort… Ce qui rend ce roman très beau, c’est la manière avec laquelle l’auteur valorisent les liens familiaux et l’amour que se portent chacun des membres de cette famille. Il n’y a aucun jugement, aucune dureté de ton. Elle a construit le roman de telle sorte que chaque personnage a un chapitre qui lui est consacré – ou plusieurs selon l’importance de celui-ci. Dès lors, on voit à travers leurs yeux le cours des événements. Cette focalisation interne est particulièrement judicieuse, car elle permet au lecteur de s’attacher aux personnages. On a accès à leur ressenti, ce qui nous donne des clés de compréhension.
La fille cadette de Muguette, Marline, sera déchirée entre l’amour maternel et son attachement pour sa famille d’adoption. N’étant qu’une enfant, il lui est compliqué de faire la part des choses. L’absence atténue le manque. Et la nature, ayant horreur du vide, cherche à combler le manque d’affection maternelle en y substituant l’amour d’une mère par procuration. Marline, se sent donc déchirée entre son désir de rester auprès de cette famille algérienne et celui de retourner chez elle auprès des siens. On conçoit sans peine, la douleur que cela a du être pour ces familles, de se séparer d’enfants, qu’ils ont vu grandir pendant toute la durée de la guerre.
Conclusion
Le roman de Valérie Tong Cuong m’a transportée ! L’écriture mélodieuse y est pour beaucoup, j’y consens, mais elle n’est pas l’unique raison de mon engouement pour cet ouvrage. Je me suis attachée aux personnages, j’ai vibré au rythme de leur vie. Une fois qu’on commence ce roman, impossible de le lâcher, on a envie de connaitre le destin de cette famille. L’auteure éveille la curiosité du lecteur tout au long du récit, sans jamais que celui-ci ne s’essouffle. La famille survivra-t-elle à la guerre ? Ses membres resteront-ils soudés face à l’adversité ? Autant de questions que je laisse en suspens, pour vous encourager à lire cet ouvrage d’une grande poésie 🙂
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