Kaouther Adimi signe un des romans forts de cette rentrĂ©e littĂ©raire intitulĂ© Nos richesses. Elle ressuscite l’Ă©diteur algĂ©rien Edmond Charlot et par la mĂȘme occasion rend hommage au libraire humaniste qui fonda en 1935 Ă Alger la librairie Les Vraies Richesses, nom directement inspirĂ© du texte Ă©ponyme de Giono. Giono prĂ©conisait dans ce texte un retour Ă l’essentiel, Edmond Charlot s’en donne les moyens. Puisque qu’y a-t-il de plus essentiel qu’un livre, que la diffusion de la culture, que la transmission ? L’auteure nous entraĂźne dans un rĂ©cit savamment orchestrĂ© oĂč se mĂȘle la petite et la grande histoire. Si dans un premier temps elles semblent Ă©voluer parallĂšlement sans que l’une n’entrave la trajectoire de l’autre, Edmond Charlot n’Ă©chappera pas aux Ă©vĂ©nements en AlgĂ©rie. La petite histoire, c’est celle d’un visionnaire, d’un amoureux de la littĂ©rature qui choisit d’y consacrer sa vie. La grande, c’est celle d’un pays en proie Ă des luttes intestines, qui aprĂšs avoir sacrifiĂ© ses hommes au nom de la libertĂ© de la France, se battra pour son indĂ©pendance. Nos richesses est un texte Ă la fois riche et puissant, formulĂ© dans une langue dĂ©pouillĂ©e, dĂ©nuĂ©e de pathos, qui va Ă l’essentiel. Edmond Charlot fait partie de ces figures qu’on ne peut laisser sombrer dans l’oubli, Kaouther Adimi fait un vĂ©ritable travail de mĂ©moire en l’en exhumant. Ă travers son travail d’Ă©diteur, il oeuvra toute sa vie pour la diffusion d’une culture mĂ©diterranĂ©enne, fut l’Ă©diteur des plus grands auteurs parmi lesquels Albert Camus. Kaouther Adimi pour notre plus grand plaisir lui redonne vie et honore la mĂ©moire d’un homme hors du commun. Elle distille dans ce roman une sĂ©rie d’anecdotes savoureuses et rĂ©vĂšle un talent de conteuse hors pair.
Résumé
En 1935, Edmond Charlot a vingt ans et il rentre Ă Alger avec une seule idĂ©e en tĂȘte, prendre exemple sur Adrienne Monnier et sa librairie parisienne. Charlot le sait, sa vocation est d’accoucher, de choisir de jeunes Ă©crivains de la MĂ©diterranĂ©e, sans distinction de langue ou de religion. PlacĂ©e sous l’Ă©gide de Giono, sa minuscule librairie est baptisĂ©e Les Vraies Richesses. Et pour inaugurer son catalogue, il publie le premier texte d’un inconnu : Albert Camus. Charlot exulte, ignorant encore que vouer sa vie aux livres, c’est aussi la sacrifier aux alĂ©as de l’infortune. Et Ă ceux de l’Histoire. car la rĂ©volte gronde en AlgĂ©rie en cette veille de Seconde Guerre mondiale. En 2017, Ryad a le mĂȘme Ăąge que Charlot Ă ses dĂ©buts. Mais lui n’Ă©prouve qu’indiffĂ©rence pour la littĂ©rature. Ătudiant Ă Paris, il est de passage Ă Alger avec la charge de repeindre une librairie poussiĂ©reuse, oĂč les livres cĂ©deront bientĂŽt la place Ă des beignets. Pourtant, vider ces lieux se rĂ©vĂšle Ă©trangement compliquĂ© par la surveillance du vieil Abdallah, le gardien du temple.
Ăditions du Seuil
Le portrait formidablement rĂ©ussi d’un humaniste, Ă©diteur surdouĂ©, esprit Ă©clairĂ© qui dĂ©cida dans une pĂ©riode trouble de consacrer sa vie Ă sa passionÂ
Kaouther Adimi rĂ©habilite la figure d’un homme qui sombra injustement dans l’oubli. Un homme guidĂ© par un projet ambitieux, celui de diffuser la culture mĂ©diterranĂ©enne Ă travers le monde. L’amour de la littĂ©rature et des livres est au coeur du roman, renforcĂ© par l’inscription qui surplombe la vitrine de cette minuscule librairie de la rue Charras Ă Alger : « Un homme qui lit en vaut deux. » Edmond Charlot consacra toute sa vie Ă sa passion au dĂ©triment de sa vie personnelle qu’il mit entre parenthĂšses. Il s’exila Ă Paris, loin des siens et de son pays natal, pour dĂ©velopper son projet et assoir l’influence des auteurs qu’il publiait. Loin de limiter ses fonctions Ă son mĂ©tier d’Ă©diteur, il frĂ©quenta et lia de rĂ©elles amitiĂ©s avec les plus Ă©minents Ă©crivains du Maghreb. AntimatĂ©rialiste, idĂ©aliste, spiritualiste, le monde dans lequel il Ă©volue est celui des idĂ©es. IdĂ©es qui triomphĂšrent en 1962. Faute de moyens suffisants, Edmond Charlot rivalisa d’ingĂ©niositĂ©. Ce n’est pas sans humour qu’il confirme l’adage selon lequel la nĂ©cessitĂ© est mĂšre de l’invention :
GrĂące aux amis pilotes, je diffuse mes livres au Liban, en Ăgypte, en AmĂ©rique du Sud. Avant de partir en missions, ils passent aux Vraies Richesses prendre des ballons de livres et les vendent ensuite Ă des libraires sur place. Je suis un Ă©diteur international !
Un contexte socio-politique qui eut raison du travail d’une vie
La vie d’Edmond Charlot s’Ă©tend des annĂ©es qui prĂ©cĂšdent la 2nde guerre mondiale Ă la dĂ©cennie noire qui engloutit le pays dans les tĂ©nĂšbres. Le climat politique dĂ©lĂ©tĂšre en AlgĂ©rie apparait en filigrane tout au long du rĂ©cit jusqu’Ă atteindre un pic de violence. Kaouther Adimi dresse un tableau en double teinte de l’AlgĂ©rie. D’un cĂŽtĂ© l’on dĂ©couvre une AlgĂ©rie aux idĂ©es modernes, terreau fertile de la culture mĂ©diterranĂ©enne. De l’autre un pays divisĂ©, archaĂŻque, renfermĂ© sur lui-mĂȘme. Cette impossible cohabitation sera un des prĂ©misses annonciateurs des Ă©vĂ©nements tragiques qui secoueront le pays. Au-delĂ du contexte politique sous haute tension qui rĂ©gne en AlgĂ©rie Ă cette Ă©poque, Kouther Adimi fait le constat peu glorieux du monde de l’Ă©dition. SphĂšre qui ne semble pas Ă©chapper aux dĂ©rives racistes et rapports de domination. Edmond Charlot, considĂ©rĂ© comme une menace par les maisons d’Ă©dition classiques, eu Ă subir la concurrence acharnĂ©e et dĂ©loyale de celles-ci, qui non contentes de voir un Ă©diteur algĂ©rien se faire une place dans ce monde fermĂ© tentĂšrent par tous les moyens de lui faire obstacle. Il Ă©tait alors inconcevable dans cette France conservatrice de voir une structure dirigĂ©e par des algĂ©riens s’Ă©lever au rang de maisons d’Ă©dition telles que Gallimard, Juliard, Hachette… Edmond Charlot tout au long de sa vie n’eut de cesse de combattre les coups bas de ses concurrents, de trouver des ressources pour pallier au manque de matiĂšres premiĂšres – tel que le papier – l’empĂȘchant de publier correctement, de trouver des subterfuges pour Ă©chapper Ă l’autoritĂ© politique. Il composa avec les dĂ©sidĂ©ratas de chacun, les conflits d’intĂ©rĂȘt et autres sources de nuisances, sans jamais baisser les bras. L’histoire nous prouve une fois de plus que la meilleure volontĂ© du monde, l’Ă©nergie consacrĂ©e aux plus purs dessins, ne suffisent pas Ă vaincre la folie des hommes. Sombre constat pour un si beau projet. Heureusement, la littĂ©rature est encore lĂ pour nous remĂ©morer ces instants de grĂące.
Conclusion
Kaouther Adimi vise juste en publiant Nos richesses pour la rentrĂ©e littĂ©raire 2017. L’actualitĂ© politique peu reluisante justifie de rappeler l’importance de la littĂ©rature, de la culture et de la transmission. Vecteur d’Ă©lĂ©vation intellectuelle, la culture et son corollaire la transmission, semblent essentielles pour nous sortir du climat dĂ©lĂ©tĂšre dans lequel nous Ă©voluons.
>>> RENTRĂEÂ LITTĂRAIRE 2017 (#RL2017)
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