Franck Bouysse, dans « Né d’aucune femme », sonde la noirceur de l’âme humaine, dans une langue étincelante, affilée, de telle sorte à en révéler les plus sombres secrets. Chaque page tournée creuse le fossé entre le bien et le mal. Ici, les deux se confondent rarement. Le gris n’existe pas, ou alors uniquement pour illustrer une certaine forme de lâcheté. Le mal n’altère pas la beauté par touches successives jusqu’à l’engloutir tout à fait, mais surgit de l’obscurité pour terrasser ceux qui enrayent sa progression. Le mal chez Franck Bouysse, c’est le diable, la sécheresse du cœur, la cruauté poussée à son paroxysme. Un délire, une fantasmagorie. Un désir de puissance, de lignée à engendrer, quitte pour cela à mystifier la réalité. À maintenir vivants les morts et à torturer les vivants, leur soutirant les derniers restes d’une humanité pétrifiée. « Né d’aucune femme », c’est le journal de Rose. Sa vie d’esclave sexuelle mise en mots. Les cahiers, confiés à un curé, retracent une vie de misère. Une lente descente en enfer, initiée par une trahison première. Celle de son père qui, en échange de quelques pièces destinées à soulager la précarité d’une vie de paysan sans fils pour le soulager, vend son aînée au plus offrant. Cet échange est la première étape de son calvaire. Le temps s’écoule, l’étau se resserre, le monde de Rose se rétrécit jusqu’à se circonscrire au mince périmètre de ses pensées. C’est le seul moyen qu’elle a trouvé pour s’extraire d’un cauchemar dans lequel elle ne cesse de s’enliser et de récupérer une forme de liberté. Elle saisit rapidement que sa mission ne consistera pas à s’occuper du foyer. En l’achetant le maître l’a dépossédée de son corps. Il ne lui appartient plus. Il est à lui tout entier. Dépouillée, Rose se heurtera à la folie d’une famille guidée par un projet insensé. Le roman de Franck Bouysse est saisissant. Il se lit d’une traite, les mains crispées, le cœur battant. « Né d’aucune femme » glace les sangs. Récit d’une femme entre les mains d’hommes lâches, pathétiques, défiant Dieu en se croyant tout-puissants.
Mon évaluation : 4/5
Date de parution : 2019. Grand format à La Manufacture de Livres, format poche au Livre de Poche, 336 pages.
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